dimanche 19 avril 2020

Révolte du Ghetto de Varsovie: un combat héroïque au coeur des ténèbres.

                                              Dans le ghetto, pendant la révolte

Le 19 avril, date du début du soulèvement du ghetto de Varsovie en 1943, symbolise l'extermination des Juifs d'Europe par les nazis

Elle est commémorée cette année dans les conditions particulières de la pandémie du Covid19, comme les autres génocides, marqués chaque année en avril.
La pandémie donne d'ailleurs lieu à un déferlement de propagande antisémite et complotiste, reprenant les thèmes les plus archaïques et nauséabonds en la matière.  
La révolte d'avril 1943 se produisit dans les conditions terribles d'un ghetto déjà en partie vidé de ses habitants. 
En effet, depuis le 23  juillet 1942, jour après jour, cinq à six mille personnes sont emmenées par les nazis, du ghetto vers la "Umschlagplatz"  ou "place du transbordement" puis déportées vers le camp d'extermination de Treblinka. 

Le début du ghetto et l'œuvre immense d'Emmanuel Ringelblum
Le ghetto de Varsovie a été instauré le 12 octobre 1940, qui correspondait cette année-là à la grande fête juive de Yom Kippour.
Les nazis, dans leur rage antisémite, utilisaient souvent les dates des fêtes religieuses juives afin de procéder à des persécutions particulières ou de marquer leur "connaissance" du judaïsme.
Les nazis annoncèrent à la population juive qu'elle devait déménager dans ce "quartier juif" exigu qui fut ceint de barbelés. Le 16 novembre, on y transfère de force les Juifs, soit un tiers de la population de la ville, qui doivent se concentrer sur sur 2,4 % de sa superficie : 450 000 personnes sont alors coupées du reste du monde.
   
L"Aktion" comme l’appelaient les nazis, de déportation vers la mort, débuta le 22 juillet 1942. Cette date correspondait au jour de Tish'a Beav, qui commémore par le deuil et le jeûne la destruction du Temple juif de Jérusalem par l'armée romaine en l'an 70 de notre ère.

Chaque 22 juillet à Varsovie, une marche démarre du monument de l'"Umschlagplatz", lieu d'où partaient les convois de déportés puis parcourt l'ancien espace du ghetto, dont il ne subsiste strictement rien.
Elle se termine devant le centre culturel et de mémoire dédié à Emmanuel Ringelblum, héroïque historien du ghetto et animateur du réseau "Oneg Shabbat" qui en préserva la mémoire. 
Au moment où la Pologne est envahie par les Allemands en 1939,  Emmanuel Ringelblum a trente-neuf ans, c'est un spécialiste reconnu de l’histoire du peuple juif.
Il vit alors à Varsovie avec sa famille et a très vite compris le sort que les nazis réservent aux Juifs d’Europe. 
Il aurait pu quitter la Pologne avec sa famille mais sa femme et lui décident de rester pour témoigner «pour les générations futures». Leçon de courage, terrible choix, puisqu’en allant jusqu’au bout de sa mission d’historien, d’écrivain et de témoin, il meurt assassiné par les nazis dans la prison Pawiak en 1944 avec sa femme et son fils.
Ringelblum avait créé un groupe de travail culturel du nom d’« Oyneg Shabbos »  ( c'est à dire le plaisir du Shabbat).
Ce nom était en fait une couverture. L’objectif était de décrire précisément les terribles conditions de vie des Juifs dans le ghetto. Les activistes encouragèrent tous les habitants du ghetto à écrire eux-mêmes ce qu’ils vivaient au quotidien et à leur remettre leurs écrits. En janvier 1943, alors que sévissait la seconde grande rafle du ghetto, sentant «l’inéluctable fin», Emmanuel Ringelblum et les membres d’Oyneg Shabbos enfermèrent les milliers de documents et de témoignages recueillis pendant toutes ces années dans des bidons de lait en fer qu’ils cachèrent sous la terre, avec l’espoir qu’ils seraient retrouvés «un jour». Après la guerre, grâce à la ténacité de Rachel Auerbach, rescapée du ghetto, membre du groupe, une partie des archives fut retrouvée. Elles ont été classées au Patrimoine Mondial de l’Unesco. 
Un livre récemment paru du philosophe Georges Didi-Huberman commente les images contenues dans ces archives. 
 
Une révolte préparée

La déportation des Juifs de Varsovie s’inscrivait dans le cadre de la plus vaste "Aktion Reinhardt", organisée par les nazis en Pologne occupée; celle-ci inclut la construction des camps d'extermination de Belzec (mars 1942), Sobibor (mai 1942) et Treblinka (juillet 1942). 
Ce dernier camp joue un rôle particulier dans l'extermination des Juifs de Varsovie. 280 000 Juifs déportés de la capitale polonaise y seront assassinés. 

L'Aktion de Varsovie prit fin temporairement le 21 septembre suivant, à nouveau durant le jour de la plus importante fête juive, Yom Kippour.
Après cette grande déportation, le ghetto de Varsovie est réduit à un camp de travail où 36 000 Juifs survivent officiellement et où 20 à 25 000 clandestins se cachent. Son sursis tenait d’une part à la pénurie de main-d’œuvre gratuite dont l'administration nazie voulait disposer, et d'autre part à la nécessité d’une pause afin de recenser et d’expédier vers le Reich les biens volés dans le ghetto. 

Quelques jours après le début de la déportation de juillet, la résistance juive s’unifie dans un « Bloc antifasciste » et se dote d’une branche armée, l’Organisation juive de combat (OJC), fondée le 28 juillet 1942. Cette démarche débouchera plusieurs mois plus tard sur le soulèvement du ghetto
Les premières opérations de l'OJC sont dirigées contre les responsables de la "police juive" et autres collaborateurs.

En janvier 1943, une seconde Aktion visant à liquider le reste du ghetto est interrompue par les nazis eux-mêmes au bout de quatre jours, face à la résistance et au fait que la population se cache dans un réseau souterrain creusé durant des mois.
Heinrich Himmler, en déplacement à Varsovie, ordonne alors la destruction du ghetto et de ses habitants. Au même moment le ghetto de Cracovie est liquidé en Mars 1943.


Le 19 avril 1943, correspondant cette année là au début de la fête juive de Pessah,  les unités SS chargées de liquider le ghetto sont repoussées par les combattants. Ceux-ci ne disposent que de quelques revolvers et grenades. Quand le millier de soldats allemands pénètrent en force dans le ghetto, les résistants les attendent  barricadés dans leurs bunkers et leurs caves. Au nombre de 1000 environ, ils sont regroupés principalement dans l'Organisation des Combattants Juifs, (OJC, ZOB en polonais) commandée par le jeune Mordehaï Anilewicz, membre de l’organisation de jeunesse Hachomer Hatzaïr.
Dès l’invasion de la Pologne par les nazis, Anilewicz avait  rejoint avec des membres de son groupe l’est de la Pologne, pour aider à retarder l'avance allemande. Après l'invasion de ces régions orientales de la Pologne par les armées de Staline, à la suite du pacte germano-soviétique, les Soviétiques l'arrêtent et l'emprisonnent. Il est libéré peu de temps après, et retourne alors à  Varsovie


Face à l'insurrection, le commandant allemand est relevé de ses fonctions, le général SS Jürgen Stroop lui succède. Il est lui-même est pris de court par la rébellion des "sous-hommes" ainsi que les nazis qualifiaient les Juifs. Dès lors, les troupes SS vont incendier systématiquement les immeubles et propulser du gaz dans les souterrains afin d'en déloger les résistants. 
Ces derniers vont tenir pendant un mois, malgré leur très faible niveau d'armement et de nourriture. Plus de deux mille SS, soutenus par de l‘artillerie et des blindés, incendient le ghetto, maison après maison. Les Juifs sont asphyxiés, carbonisés, enterrés vivants dans les abris où ils sont retranchés. 
Six mille Juifs présents dans le ghetto trouvent la mort dans les combats ou se suicident. Sept mille sont fusillés sur place. Les autres sont déportés. Une poignée de miraculés échappe à la mort en s'enfuyant par les égouts.

Le 16 mai 1943, Stroop fait dynamiter la grande synagogue du ghetto. Il  annonce à Himmler : « Il n’existe plus de quartier juif à Varsovie. »

                                
Cette photo célèbre provient du rapport adressé par le général SS Stroop à Himmler  après l'écrasement de la révolte. Elle a donc été prise et diffusée dans le cadre de la propagande nazie.
Elle porte la mention " forcés hors de leurs caves" 

Le testament de Mordehaï Anilewicz

La rébellion se termine à la mi-mai. Mordehaï Anilewicz se suicide le 8 mai avec une partie de la direction de l'OJC ; il a 24 ans. 
 Le 23 avril 1943, il avait écrit dans une dernière lettre :
«Les Allemands ont fui par deux fois du ghetto. L'une de nos compagnies a résisté 40 minutes et une autre s'est battue pendant plus de six heures... Nos pertes en vies humaines sont faibles et ceci est également une réussite...
Grâce à notre radio, nous avons entendu une merveilleuse émission relatant notre lutte. Le fait que l'on parle de nous hors du ghetto nous donne du courage.
Soyez en paix, mes amis de l'extérieur ! Peut-être serons-nous témoins d'un miracle et nous reverrons-nous un jour. J'en doute ! J'en doute fort !
Le rêve de ma vie s'est réalisé. L'auto-défense du ghetto est une réalité. La résistance juive armée et la vengeance se matérialisent. Je suis témoin du merveilleux combat des héros juifs...»


Quelques jours plus tard, le 12 mai, Szmuel Zygielbojm, représentant du mouvement ouvrier juif Bund dans le gouvernement polonais en exil à Londres, se suicide dans cette ville.
Il proteste ainsi contre l’inaction des gouvernements alliés, dûment avertis de la situation en Europe de l'Est et notamment en Pologne.
Lui-même avait alerté publiquement sur l'extermination en cours.
Il laissa une lettre dont voici des extraits :
« Derrière les murs du ghetto se déroule à présent le dernier acte d’une tragédie sans précédent dans l’Histoire. La responsabilité du forfait consistant à exterminer la totalité de la population juive de Pologne retombe au premier chef sur les exécutants; mais, indirectement, elle rejaillit également sur l’humanité tout entière. Les nations et les gouvernements alliés n’ont entrepris jusqu’ici aucune action concrète pour arrêter le massacre. 
En acceptant d’assister passivement à l’extermination de millions d’êtres humains sans défense - les enfants, les femmes et les hommes martyrisés - ces pays sont devenus les complices des criminels.[...]. Mes camarades du ghetto de Varsovie ont succombé, l’arme au poing, dans un dernier élan héroïque. Il ne m’a pas été donné de mourir comme eux, ni avec eux. Mais ma vie leur appartient et j’appartiens à leur tombe commune. Par ma mort, je désire exprimer ma protestation la plus profonde contre la passivité avec laquelle le monde observe et permet l’extermination du peuple juif.

Je suis conscient de la valeur infime d’une vie humaine, surtout au moment présent. Mais comme je n’ai pas réussi à le réaliser de mon vivant, peut-être ma mort pourra-t-elle contribuer à arracher à l’indifférence ceux qui peuvent et doivent agir pour sauver de l’extermination — ne fût-ce qu’en ce moment ultime — cette poignée de juifs polonais qui survivent encore. Ma vie appartient au peuple juif de Pologne et c’est pourquoi je lui en fais don… »
 (Londres, mai 1943)

Nos pensées vont vers les victimes de cette extermination et vers ceux qui au cœur des ténèbres, entamèrent la préparation de leurs actes héroïques qui apparurent au grand jour dans les mois qui suivirent. 



Soixante-dix-sept après les déportations de Varsovie,
le nazisme est défait mais son héritage est plus que jamais à combattre
Ses héritiers  rêvent toujours de massacrer des Juifs comme le montrent les attentats récents dans les synagogues de
San Diego, Pittsburgh, Halle
En Pologne même, l’antisémitisme et le racisme sont fortement stimulés par le pouvoir de droite radicale du PiS. Celui-ci a franchi une nouvelle étape dans sa tentative visant à réécrire l’histoire du pays.
Il a promulgué en février 2018 une loi sur la "mémoire". Sous prétexte de mise en cause du terme "camp de la mort polonais", le texte menace de prison quiconque évoque la collaboration de Polonais avec le nazisme,
voire le massacre des Juifs de Jedwabne, perpétré par leurs voisins polonais. Les protestations se sont multipliées dans le monde entier mais à ce jour le pouvoir maintient l’arme révisionniste de cette loi. Le premier ministre israélien Netnayahou s’est en revanche compromis dans un accord avec le gouvernement polonais, contre l’avis des responsables du mémorial de Yad Vashem.    Ces dernières années, les menaces et intimidations contre les historiens de la Shoah ont été nombreuses. En février 2019 c’est à Paris qu’un colloque sur la Shoah en Pologne a été perturbé par des militants antisémites et nationalistes polonais.


Des propagandistes de la haine déversent des flots de propos complotistes et racistes, grâce à la complaisance des grandes plates-formes et à l'indulgence de juges qui les protègent en reculant devant l’application des lois limitant le négationnisme, comme dans le cas de Soral et Dieudonné
L'extrême-droite parrainée et soutenue par Trump et Poutine, pèse lourdement dans de nombreux pays d’Europe. 
En France, Allemagne , Autriche, Hongrie, Pologne, Italie, Grande-Bretagne, Estonie, les nostalgiques et racistes de tout poil sont à l'offensive et pour certains déjà installés au pouvoir . 

Nous en appelons plus que jamais au combat contre les idéologies et actes racistes et antisémites  quels que soient leur prétextes, ainsi que pour la mémoire des génocides et crimes contre l'humanité

MEMORIAL 98

mercredi 15 avril 2020

Avec Céline, l'antisémitisme en vedette à France Culture à propos du Covid19 .



C'est un choix étrange et choquant de la radio publique et d'André Dussollier.

En rapport avec l'actualité de l'épidémie, l'acteur choisit de présenter le 15 avril à 19H le pionnier de l'hygiène hospitalière et obstétricale Semmelweis ( 1818-1865), à travers un texte de Céline.
Il s'agit de sa thèse de médecine qui fut publiée en 1936, après sa pièce antisémite "L’Église". Celle-ci annonçait déjà les œuvres de violence antisémite extrême, les pamphlets Bagatelles pour un massacre ( 1937), L'École des cadavres (1938) et Les Beaux draps( 1940)
Dans sa présentation de cette lecture, notamment dans son interview à France-Info,  Dussollier suggère un parallèle entre Semmelweis et les médecins actuels qui présentent des « intuitions » et provoquent ainsi la jalousie de leurs pairs, dans une référence explicite au Dr Raoult, promoteur de l’hydroxychloroquine. 
Il dit :

C'était il y a près de deux siècles, André Dussolier, et pourtant c'est plus qu'actuel ... avec la polémique autour du docteur Raoult. C'est ce qui vous a donné envie de lire ce livre ?
Oui, parce que je suis les débats qu'il peut y avoir entre les médecins, qui sont évidemment en désaccord, parce qu'il y a une urgence ; on a envie de combattre le Coronavirus et de trouver ces solutions et on voit bien que tout le monde a été pris de court et que la science avance à son rythme et qu'elle a besoin de vérifier les propositions des uns... Il y a des médecins qui peuvent être très inspirés et avoir, tout à coup, une vision que d'autres n'ont pas. Et c'est ainsi que Semmelweis s'est heurté à ses pairs, quand il a commencé à dire qu'il fallait simplement se laver les mains ou nettoyer les instruments dont les médecins se servaient, tout d'un coup, il a obtenu des résultats magnifiques, la mortalité a baissé, donc ça le mettait en concurrence avec d'autres chefs cliniciens de la région de Vienne et donc, évidemment, on lui mettait des bâtons dans les roues. On l'a empêché de faire valoir ses idées et ses découvertes. Donc, c'est ça qu'on voit: à travers tout ce qui peut se passer aujourd'hui, on voit que la science a besoin de médecins inspirés mais aussi elle a besoin de temps pour vérifier et voit bien aujourd'hui que telle découverte est acceptée à condition d'être corroborée par une étude scientifique qui, malheureusement, ne peut se faire qu'avec le temps...Tout ça m'a fait penser à l'histoire de Semmelweis." 

Semmelweis, Céline, Raoult , mélange toxique
Mettre en avant un symbole de l’antisémitisme le plus violent dans la situation actuelle est un acte grave qui en favorise la diffusion.
En effet la pandémie actuelle donne déjà lieu à une déferlante de propagande antisémite et complotiste sous la forme la plus violente.
Soral, toujours en liberté malgré ses condamnations à des peines de prison ferme,  est évidemment  au premier plan avec sa vidéo nommée Couillonavirus Communauté organisée qui tient la France. Il y stigmatise 
"le gang qui a en charge la médecine d’État : Buzyn, Lévy, Bauer, Hirsch, Jacob, Guedj, Salomon… C’est la liste de Schindler. » il éructe que les Juifs « veulent faire du pognon sur le dos des Français, affaiblir le peuple français par le nombre de morts » .

Cette propagande se focalise notamment sur la diabolisation d’Agnès Buzyn et de son mari Yves Lévy, ancien directeur de l’Inserm, qui entraveraient l'action du Pr Raoult, comme on peut le voir dans le message ci-dessous,  exemple de ceux largement relayés sur les réseaux sociaux.


Elle prend notamment pour prétexte d’une part le rôle de l’ancienne ministre de la Santé dans les débuts de l’épidémie et d’autre la présence d’Yves Lévy lors de l’accréditation d’un laboratoire de recherche de haute sécurité financé par la France à Wuhan, le 23 février 2017. 

Selon ces théories, le virus du Covid est issu de ce laboratoire et a été volontairement répandu avec la complicité, voire même sous la responsabilité d’Yves Lévy,  tandis que son épouse sabotait la prise en charge de l’épidémie en France. On peut même voir des caricatures montrant Agnès Buzyn en train d'empoisonner un puits, comme dans la tradition antisémite séculaire ( ci-deesous) 


Mais au delà de ces cibles, on retrouve le site complotiste et antisémite Mondialisation.Ca publie ainsi un texte qui accuse les Israéliens de diffuser le virus.
De son côté Marine Le Pen a plusieurs fois relayé la rumeur d’une origine « mystérieuse et inconnue » du coronavirus.
Elle prolonge ainsi les thèse de son parti contre les acquis de la santé publique.

La tradition antisémite en action 
Cette propagande ne surgit pas du néant. Elle s’inscrit au contraire dans une tradition fort ancienne.  
Ceux qui jouent sur la hantise des grandes épidémies ont recours à tous les poncifs de l'antisémitisme historique, concernant particulièrement la peste. 
Ainsi lors l’épidémie de peste noire qui toucha l'Europe entre 1347 et 1350, les agitateurs antisémites l'attribuèrent à un acte satanique orchestré par les Juifs qui voulaient dominer le monde en empoisonnant l'air et l'eau.
Une vague de massacres s'ensuivit notamment dans les aires germaniques et catalanes : en 1348 en Catalogne, les violences antijuives se diffusent presque au même rythme que la peste : Hyères, Toulon, Perpignan, puis Barcelone (peste le 15 mai 1348, pogrom le 17 mai) et de là Tàrrega (peste le 30 juin, pogrom le 6 juillet)
Aucune communauté juive importante d'Allemagne ne fut épargnée par les massacres et  les pillages. A Berne et à Zurich, des Juifs furent jugés et exécutés.
2000 Juifs furent tués à Strasbourg lors du "massacre de la Saint Valentin" en février 1349, d'autres victimes furent nombreuses à Colmar, Worms, Francfort, Cologne et ailleurs.

Plus près de nous le spectre de la « peste juive » réapparut en 1920
Aux premiers jours du mois de décembre 1920, une  rumeur est diffusée dans Paris : une pandémie inconnue et mortelle, la maladie n° 9 ( nom de code pour la peste), dont seraient porteurs les immigrés juifs originaires d'Europe orientale, se propagerait à vive allure dans les quartiers populaires de la capitale.
Les pouvoirs publics, impuissants à endiguer l'épidémie, auraient déjà recensé plusieurs centaines de cas mais refuseraient d'en faire état. La presse s'empare de l'affaire, bientôt instrumentalisée par la droite nationale et antisémite.
La crainte de la prétendue "maladie n° 9 " donne lieu, au Sénat, à une séance houleuse et retentissante le 2 décembre 1920. De nombreux élus dénoncent le caractère " inassimilable " des " Juifs d'Orient ", accusés de répandre l'épidémie, avec la complicité de leurs coreligionnaires installés en France depuis plusieurs générations. Présentés comme réfractaires aux mœurs de la civilisation occidentale, assimilés à des rats grouillant dans Paris, les Juifs sont également accusés de propager le " microbe " du " bolchevisme défaitiste ". 
Les classiques de l’antisémitisme tels le faux nommé Protocole des Sages de Sion et Mein Kampf martèlent ce genre d’accusations.
Il ne s’agit pas seulement de propos hallucinés et sans effet pratique mais d’un encouragement à la violence antisémite.
Celle-ci s’est manifestée récemment lors des attentats meurtriers des synagogues de Pittsburgh, de San Diego et de Halle en Allemagne. Or les auteurs de ces attentats ont commis leurs crimes  en s’appuyant sur les accusations complotistes portées contre les Juifs et leurs actions maléfiques. Ainsi Robert Bowers, le terroriste de Pittsburgh a donné comme raison de son passage à l'acte une accusation elle-aussi éternelle contre « les Juifs coupables de favoriser les migrants afin de détruire l'Amérique. »

Céline comme référence? 

Plusieurs tentatives de réhabilitation de Céline ont déjà eu lieu ces dernières années :
L’antisémite enragé et délateur figurait parmi les personnalités et événements pour lesquels le ministère de la Culture Frédéric Mitterrand prévoyait en 2011 une célébration nationale, à l'occasion du cinquantenaire de sa mort. À la suite d'une protestation initiée par Serge Klarsfeld, il fut finalement contraint de retirer Céline de cette liste.
En décembre 2017, on apprenait que Antoine Gallimard, patron des éditions du même nom projetait de publier un volume regroupant les pamphlets antisémites de Céline, Bagatelles pour un massacre, L'École des cadavres et Les Beaux draps, à paraître en mai 2018 sous le titre complaisant Écrits polémiques et avec un appareil critique minimal et complaisant. Là aussi le tollé obligea Gallimard à un recul, peut-être provisoire. Il accompagna son recul d'une dénonciation du rôle de Serge Klarsfeld et d'une stigmatisation des musulmans porteurs de l’antisémitisme
En choisissant de promouvoir à nouveau Céline, France-Culture et Dussollier prennent la lourde responsabilité de favoriser la diffusion de ses différentes thèses, y compris les pires. 

Céline dénonciateur de médecins juifs

Or Céline a sans cesse stigmatisé et dénoncé les médecins juifs qu’il a croisé. Ainsi le Dr Ludwig Rajchman. qui était directeur de l'Organisation d'hygiène de la Société Des Nations à Genève. C’est lui qui a soutenu la candidature de Céline comme candidat au poste de médecin dans son service. Ce dernier a donc travaillé sous les ordres de ce médecin juif qui  a entretenu avec lui des relations amicales, au cours des trois années qu’il a passées à Genève.Après son départ de Genève, Ludwig, Rajchman a continué à l’aider financièrement en lui confiant des missions pour la SDN, sans lui réclamer de rapports. Céline l’a ensuite stigmatisé sous le nom de "Yudenzweck" dans l’Eglise et de "Yubelblat" dans Bagatelles pour un massacre.
En 1929 Céline a trouvé un emploi dans le dispensaire qui venait jusqu’à ouvrir à Clichy, grâce encore à l’appui du docteur Rajchman. Contrairement à ce qu’il espérait il n' y fut pas  nommé médecin chef. Le choix s’est porté sur le docteur Ichok, ce qui a exaspéré Céline lequel n’a jamais digéré qu'on ait nommé un Juif à sa place. Il a fait courir le bruit qu’il avait usurpé le titre de docteur en médecine. Céline l’a décrit en ces termes injurieux : « Au dispensaire municipal sur lequel je m'étais rabattu, je vis arriver un certain Idouc lithuanien (...) imposé par les dirigeants communistes (...) La direction du dispensaire, confiée à ce médecin probablement faux, n'étant sans doute qu'un camouflage ».   
Ensuite Céline a selon son habitude pratiqué la délation en écrivant aux autorités de l’époque " La [sic] poste de Médecin du dispensaire municipal de Bezons (Seine-et-Oise) est actuellement occupé par un médecin étranger juif non naturalisé. En vertu des récents décrets ce médecin doit être licencié. Le Dr Destouches présente sa candidature à ce poste — Le Dr Destouches a pratiqué depuis 1924 dans les dispensaires municipaux de la banlieue. Il est pleinement qualifié pour ce poste"
Ainsi si Céline représente aux yeux de France Culture une référence à propos des débats de la médecine actuelle, ses convictions antisémites extrêmes trouvent dès lors une légitimation inquiétante.

Protestons!
Nous appelons à protester auprès de France-Culture et de la médiatrice de Radio France contre cette programmation dangereuse et choquante.

Vous pouvez envoyer ce texte ou une de ses parties ou votre propre protestation à l’adresse suivante https://mediateur.radiofrance.fr/  dans la page d’accueil à la rubrique « s'adresser à la médiatrice » 

 Memorial 98






vendredi 10 avril 2020

Les Afro-américains et Amérindiens durement frappés par le Covid: le poids des discriminations.


Dans plusieurs villes dont Chicago et la Nouvelle-Orléans, ils représentent environ 70% des morts du Covid-19, alors qu'ils ne comptent que pour moins d'un tiers de la population urbaine.

Dans plusieurs régions des États-Unis, il est ainsi avéré que le Covid-19 tue de façon disproportionnée les Noirs.
Des statistiques nationales sont réclamées afin de comprendre l'ampleur du phénomène et prendre des mesures de santé publique.
Pour l'instant, elles sont publiées de manière disparate, selon les États et les villes. 
Ces chiffres fragmentaires ne permettent pas de comprendre si une inégalité spécifique au Covid-19 est à l’œuvre, ou si cette disproportion reflète avant tout les inégalités socio-économiques et d'accès aux soins qui affectent les Noirs.

L’État de New York, par exemple, plus gros foyer américain de l'épidémie, ne publie pas de statistiques par ce que les Américains appellent «race» et ethnicité (Noir, Blanc, Asiatique, Hispanique...) une composante qui apparaît pourtant sur les formulaires de recensement.

Mais d'autres structures locales publient des chiffres alarmants: dans l'Illinois, les Noirs représentent 14% de la population mais 42% des décès de l'épidémie. A Chicago, c'est 72% des morts, alors qu'ils représentent moins d'un tiers des habitants: des disparités qui «coupent le souffle», a déclaré la maire de la ville, Lori Lightfoot.

En Caroline du Nord, 31% des morts étaient Noirs, contre 22% dans la population. En Louisiane, où se trouve La Nouvelle-Orléans, la disproportion est plus grande encore: 33% des habitants sont Noirs mais 70% des morts l'étaient.

On tente de trouver des explications en amont de l'épidémie. «Nous savons que les Noirs sont plus susceptibles d'avoir du diabète, des maladies du cœur et des poumons», a dit le médecin en chef du gouvernement fédéral Jerome Adams, lui-même Afro-américain. Or ces comorbidités augmentent le risque de complications du Covid-19.
Adams a parlé de ses propres problèmes de santé pour illustrer le problème qui affecte sa communauté; «Je l'ai déjà dit, je fais moi-même de l'hypertension. J'ai une maladie du cœur et j'ai déjà passé une semaine en réanimation à cause d'un problème cardiaque. Je fais de l'asthme et je suis pré-diabétique.J'illustre ce que c'est de grandir pauvre et noir en Amérique.»

En pleine épidémie, il manque encore des études rigoureuses et de dimension nationale. Mais il est bien établi que les quartiers pauvres et noirs ont moins de médecins et des hôpitaux de moindre qualité. Que les couvertures médicales des emplois de service sont inférieures à d'autres emplois mieux rémunérés. Un phénomène de discrimination a aussi été vérifié selon lequel les patients noirs se voient prescrire moins d'examens et de consultations avec des spécialistes que les blancs.

Georges Benjamin, président de l'Association américaine de santé publique (APHA), explique aussi que les Noirs, aux États-Unis, sont plus exposés au coronavirus que des populations plus aisées, dans leur vie quotidienne ou leur travail. «Cette population fait plus face au grand public», dit-il. «Ils sont plus souvent chauffeurs de bus, ils prennent plus les transports en commun, ils travaillent plus dans les maisons de retraite, les magasins et les supermarchés.» La distanciation sociale est plus compliquée lorsqu'on habite des quartiers plus denses, des logements plus petits. Quant au télétravail, il est souvent impossible, en raison des types d'emplois. Et se faire livrer des courses à domicile est souvent un luxe. Ce phénomène n'est évidemment pas réservé aux États-Unis mais il y prend un caractère plus étendu.
Les témoignages se multiplient sur la moindre accessibilité de sites de dépistage dans les quartiers pauvres. «Beaucoup d'Américains noirs et d'autres communautés de couleur n'ont pas le privilège de pouvoir se confiner à la maison», ont écrit des centaines de médecins et l'organisation de défense des minorités Lawyers' Committee for Civil Rights dans une lettre au secrétaire américain à la Santé. Il somment les autorités sanitaires fédérales de «publier immédiatement des données ethniques et raciales» sur le dépistage et la prévalence du Covid-19, afin de déterminer où des moyens supplémentaires doivent être envoyés.
Historiquement les catastrophes naturelles et les épidémies aggravent le fardeau des maladies dont souffrent les minorités discriminées. Ce fut le cas déjà à la Nouvelle-Orléans, lors de l'ouragan Katrina en 2005.
Plus loin encore, lors de l’épidémie de grippe espagnole en 1918, les politiques de discrimination légales de l'époque signifiaient que les Noirs recevaient des soins de moindre qualité ou n'en recevaient pas du tout.
Actuellement, il existe déjà des grosses différences d’espérance de vie selon l’origine ethnique.
A Chicago, par exemple, on enregistre un écart de neuf ans entre l’espérance de vie des résidents noirs et blancs, avec plus de 3000 décès en excès chaque année chez les Afro-américains.
D'autres populations sont aussi touchées comme les Amérindiens. 
Le coronavirus pourrait creuser ce fossé alors même que Trump met en œuvre une gestion catastrophique de l'épidémie. 

C'est un immense programme de lutte contre les inégalités, dont celles de santé, qui doit être imposé afin de mettre fin à ce drame sanitaire terrible.


Voir d'autres articles de Memorial 98: 

http://info-antiraciste.blogspot.com/2016/11/13-novembre-hommage-rosa-parks-et-la.html

http://www.memorial98.org/2015/06/charleston-la-menace-terroriste-d-extreme-droite-grandit.html

http://www.memorial98.org/article-25281598.html sur Lincoln et le combat contre l'esclavage


Trump:
http://info-antiraciste.blogspot.com/2016/03/trump-bloque-chicago-bravo.html 

http://info-antiraciste.blogspot.com/2018/06/america-first-le-slogan-fasciste-de.html

http://info-antiraciste.blogspot.com/2018/06/trump-emprisonne-des-enfants-agissons_15.html

 

MEMORIAL 98



mardi 7 avril 2020

Génocide des Tutsi au Rwanda: un 26e anniversaire à l'ombre de la pandémie.



La commémoration du génocide des Tutsi au Rwanda revêt cette année un caractère particulier, en raison de l’épidémie du Covid19.

Nous nous associons à nos partenaires de l’association Ibuka-France et appelons à participer aux actions en ligne qu’ils organisent (voir ci-dessous).
Le combat contre le négationnisme concernant ce génocide est plus que jamais d’actualité. Ainsi, c’est au sein du Sénat que s’est tenu le 9 mars dernier un colloque négationniste.
Les protestations associatives n’ont pas pu empêcher sa tenue, car Gérard Larcher président du Sénat l’a maintenu. Honte à lui; voir ici le compte-rendu établi par l'association Survie
Aujourd’hui même, le journal Le Point rendant compte de  la découverte d’un charnier de victimes utilise la formule confusionniste et négationniste de « génocide entre les Tutsis et les Hutus »
Sur France Inter c'est une chronique profanatrice qui a constitué la seule mention du génocide le 7 avril. Dans ce billet prétendument humoristique, le chroniqueuse comparait le génocide à "une bataille de polochons". 
Cette horreur s'est produite dans l'émission  Par Jupiter qui se présente comme critique et progressiste.
Nous soutenons la protestation des associations de rescapés et exigeons avec eux des excuses publiques ( voir ci-dessous)

 
Mise à jour: 
Après sa profanation du génocide, la chroniqueuse Constance présente des excuses désinvoltes et se victimise( ci-dessous)
Chers auditeurs,
Ma chronique du 7 avril sur France Inter a suscité une très vive émotion dans la communauté Tutsi et au-delà. A tous ceux qui ont été choqués, je voudrais dire que mon intention n’était pas de blesser, de minimiser l’importance des faits et encore moins de nier la réalité du génocide qui s’est déroulé en 1994 au Rwanda.
Pour m’éloigner du sujet qui ne prêtait pas à rire, j’ai usé de formules lapidaires qui ont jeté du sel sur des blessures immenses. Telle n’était pas mon intention.
J’ai depuis reçu de très nombreux messages faisant part, parfois de manière parfaitement outrancière, de leur colère. J’ai bien entendu leur émotion. Je veux leur dire qu’elle me touche et que je la comprends.
Je suis humoriste, pas éditorialiste. Mon rôle est de faire rire, et d’apporter un peu de bonheur aux gens. Alors quand mon travail soulève autant d’émotion, qu’il heurte toute une communauté, force est de reconnaître que l’objectif est manqué. Je vous prie de bien vouloir m’en excuser.
Constance


Un autre enjeu est la poursuite de la mise à jour des responsabilités des autorités françaises dans le déroulement du génocide.
Les révélations se sont multipliées ces dernières années, malgré les blocages et pressions, dont celles des proches de François Mitterrand
Face au scandale qui menace, Emmanuel Macron a choisi de louvoyer. Il a proclamé une journée nationale de commémoration du génocide le 7 avril mais semble peu désireux d’aboutir à la vérité dans ce domaine, aussi dérangeante soit-elle.   
Il a ainsi créé une commission d’historiens censée faire la lumière sur la période des années 1990-1994 mais en a éliminé l’historienne du CNRS Hélène Dumas, spécialiste du Rwanda dont elle maîtrise la langue ainsi que l'historien Stéphane Audoin-Rouzeau. Tous les deux étaient considérés comme trop critiques; 
C'est ce que nous avions rappelé lors d'une allocution de Memorial 98 le soir du 7 avril 2019, dans le cadre de la veillée organisée comme chaque année par l'association Ibuka-France en mémoire des victimes du génocide. 
Nous y appelions à la vigilance face aux nombreuses tentatives pour bloquer un accès complet aux archives, voir ici la vidéo de cette intervention: https://www.youtube.com/watch?v=MaYgH39DV4Y

MEMORIAL 98


 Avec Ibuka-France

26ème commémoration du génocide contre les Tutsi
Le 7 avril 2020, journée internationale de commémoration du génocide commis contre les Tutsi au Rwanda en 1994, l’association Ibuka France et ses partenaires associatifs sur le territoire français appellent, malgré le confinement national, au recueillement et au souvenir du dernier génocide du XXème siècle.
Durant cent jours, d’avril à juillet 1994, plus d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants furent assassinés au Rwanda, parce que nés Tutsi. 
En 2020, pour la première fois, les commémorations en France de ce crime lors du 7 avril s’inscrivent dans un cadre national officiel, reconnu par le décret présidentiel du 13 mai 2019. 
L’actuelle épidémie de COVID-19 qui frappe la planète nous contraint toutefois à repousser à une date encore inconnue les cérémonies publiques prévues au mois d’avril.
Ibuka France a une pensée pour les victimes de cette pandémie et adresse ses condoléances aux familles éprouvées. 
Ce report ne doit pourtant pas empêcher le recueillement. Mardi prochain 7 avril 2020, comme chaque année, nous dédierons nos pensées aux victimes du génocide, à celles et ceux qui ont perdu leur vie en voulant les défendre et aux rescapés dont la présence et les voix portent jusqu’à nous le souvenir du crime perpétré il y a vingt-six ans. 
Les efforts engagés dans ce sens demeurent nécessaires face aux menées du négationnisme, toujours actif sous les diverses formes qu’il emprunte pour falsifier, nier et/ou atténuer la nature génocidaire du crime commis en 1994 contre les Tutsi au Rwanda.
Dans cette situation exceptionnelle, Ibuka France organisera le 7 avril une cérémonie d’hommage aux victimes du génocide des Tutsi par des moyens virtuels.
Si nous ne pouvons pas rassembler les survivants et les familles qui ont été endeuillés pour un moment de communion, nous souhaitons leur adresser tout notre soutien à distance, à travers des messages qui seront diffusés durant sept jours à compter du 7 avril. La période de confinement actuelle fait, en effet, rejaillir pour beaucoup d’entre eux la peur et la détresse ressenties en 1994 dans leurs cachettes.
Programme du 7 avril au 13 avril 2020
  • Le 7 avril à 14h
  1. Allumage de bougies suivi d’une minute de silence.
  2. Partage des témoignages, vidéo, poèmes, chants de recueillement..., sur les réseaux sociaux de notre association
Merci de nous envoyer vos vidéos de soutien et témoignages par e-mail: contact@ibuka-france.org et qui seront postées et partagées sur les comptes de réseaux sociaux d’Ibuka France.
  • Du 8 au 13 avril  à 14h: 
Partage de témoignages, vidéos, poèmes, chants de recueillement sur les réseaux sociaux de l’association.
Retrouvez-nous sur:
C’est avec une détermination intacte et une vigilance permanente qu’Ibuka France entend poursuivre son œuvre auprès de tous les publics, fort du soutien de ses différents partenaires et de celui de chacun et chacune d’entre vous.
Ibuka-France

 Un génocide planifié et préparé.

C'est en effet le 7 avril 1994 que débutèrent au Rwanda les massacres qui allaient voir la mort d'au moins un million de personnes jusqu'à juillet de la même année: des individus définis comme Tutsi, constituant la majorité des victimes, mais aussi des Hutu opposés aux partisans de l'idéologie raciste dite "Hutu Power"
D'une durée de cent jours, ce fut le génocide le plus bref et concentré de l'histoire et celui de la plus grande ampleur quant au nombre de morts par jour de tuerie.
Fruit d'une idéologie raciste mise en œuvre sur des décennies, ce génocide s'est appuyé, pour diffuser la haine, avant et pendant, sur une forme perverse d'humour, notamment à la Radio Télévision des Milles Collines, mais aussi sur les caricatures déshumanisantes de la propagande génocidaire .
Comme pour tous les projets génocidaires, celui-ci s'accompagne de campagnes négationnistes, de difficultés à faire reconnaître les responsabilités entre autres les responsabilités françaises et à faire vivre la mémoire. Il a fallu attendre 20 ans pour qu'enfin une stèle au Père Lachaise à Paris commémore ce génocide et encore 2 ans avant que soit inauguré un Jardin de la Mémoire dans un parc parisien.
Des progrès limités ont aussi été réalisés dans le domaine de la justice puisque enfin des génocidaires ont été jugés et condamnés en France. Ces procès doivent beaucoup à l’action de nos amis du Collectif des parties civiles pour le Rwanda qui poursuivent un combat incessant pour que le Parquet et les tribunaux jouent enfin leur rôle. En effet la justice demeure très partielle, lente et laborieuse. Des génocidaires présumés lui échappent.
Les habitants de nôtre pays ont un devoir particulier en ce qui concerne le Rwanda. En effet, une partie du combat est aujourd'hui celui de la pleine reconnaissance par l’État français de ses responsabilités. Cet État qui prétend parler en notre nom, persiste aujourd'hui à garder un silence complice sur l’implication de l’armée française dans le génocide des Tutsi.
Or le pouvoir Hutu extrémiste a reçu de manière continue et appuyée le soutien des autorités françaises tant au plan politique, militaire que financier, avant, pendant et après le génocide.
 Toute la vérité doit être faite au sujet de cette implication : tous les documents doivent être rendus publics.
Les preuves s'accumulent maintenant quant à la participation des pouvoirs publics français et d’institutions financières à l’exécution du crime.
Nos amis et partenaires des associations Ibuka, qui regroupe des rescapés tutsi et du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) qui mène un énergique combat judiciaire ainsi que l'ONG Sherpa, ont porté plainte contre la banque BNP. Ils l’accusent d’avoir favorisé le génocide en finançant la livraison d’armes, malgré l’embargo décidé par l’ONU.

En même temps les mises en cause se multiplient à propos de l’implication de dirigeants français de l’époque. L’attention se concentre sur Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères et surtout à l’époque secrétaire général de l’Élysée à l'époque du génocide, déjà plusieurs fois cité.



A ce moment (1993-1995) Mitterrand était président et Balladur chef d’un gouvernement de cohabitation, suite aux élections de 1993. Védrine jouait un rôle capital et bénéficiait de l’entière confiance du président.    

Selon le journaliste Patrick de Saint-Exupéry,  spécialiste du Rwanda, fondateur de la revue XXI et qui a dénoncé le génocide dès 1994, un haut fonctionnaire chargé d’examiner les archives de l’Elysée de 1990 à 1994 affirme que les autorités françaises ont bien donné l’ordre de réarmer les auteurs du massacre, alors que ces derniers venaient d’être mis en déroute par le Front patriotique rwandais (FPR).
Le fonctionnaire, anonyme mais manifestement très bien informé, qui a eu accès aux archives au moment de leur ouverture par François Hollande en 2015, évoque un document faisant état d’une fronde de certains militaires français contre la décision des autorités françaises de réarmer les génocidaires.
En marge de ce document et concernant le trouble de ces militaires, une note manuscrite d’Hubert Védrine insistait sur la nécessité de «s’en tenir aux directives fixées» et donc de livrer les armes.

 
Selon un autre spécialiste du Rwanda, Jacques Morel, cité par Libération, on retrouve la signature de Védrine en bas d’une note sur une dépêche officielle citée par l’agence Reuters et datée du 15 juillet 1994.
La dépêche était titrée: «Paris prêt à arrêter les membres du gouvernement intérimaire rwandais.», eux qui avaient orchestré le génocide et qui s’étaient repliés dans les zones sous contrôle français.
En marge de la dépêche, Hubert Védrine avait écrit: «Lecture du Président (Mitterrand): ce n’est pas ce qui a été dit chez le Premier ministre (Balladur).»
L’arrestation fut donc annulée.

Mitterrand et Védrine étaient particulièrement complaisants à l’égard des chefs Hutu, considérés comme favorables à la France car francophones, alors que les dirigeants Tutsi, qui avaient dû se réfugier en Ouganda étaient considérés comme favorables au monde anglophone.
De plus Mitterrand défendait la thèse négationniste du « double génocide », selon lequel les torts étaient partagés entre génocidaires et victimes. Ainsi après le sommet franco-africain de Biarritz en 1994, il lance à un journaliste qui l’interroge : “De quel génocide parlez-vous, monsieur ? De celui des Hutus contre les Tutsis ou de celui des Tutsis contre les Hutus ? ”
                                          
Védrine a de son côté défendu l’auteur négationniste Pierre Péan en 2008 ( décédé récemment)  lors du procès de ce dernier après la parution de son livre sur le Rwanda « Noires fureurs, blancs menteurs ». Le déroulement de ce procès démontre les ressorts et arguments des négationnistes, si proches de ceux qu’on retrouve dans des cas semblables (lire ici le compte rendu qu'en fit Memorial 98)
   
C’est dans cette sphère du déni qu’avait aussi agi le juge « anti-terroriste » Jean-Louis Bruguière chargé d’une enquête sur l’attentat qui le 6 avril 1994, toucha l’avion transportant le président du Rwanda Habyarimana, abattu par deux missiles à son approche de l’aéroport de la capitale Kigali.
Bruguière conclut, au terme d’une enquête partiale conduite depuis Paris, sans déplacement sur les lieux de l’attentat, à la responsabilité des rebelles tutsi (FPR) ; il lança des mandats d’arrêt internationaux contre de hauts responsables du FPR au pouvoir à Kigali.
Suite aux  conclusions du rapport Bruguière, les thèses négationnistes se renforcèrent et obtinrent une sorte de droit de cité dans le discours public, notamment français. L’attribution au FPR de la responsabilité de l’attentat du 6 avril a servi  à protéger des questions embarrassantes les dirigeants politiques de cette époque de cohabitation : Mitterrand, Balladur, Léotard, Juppé,  Roussin, Hubert Védrine, les responsables militaires et tous les officiels ayant joué un rôle dans la complicité militaire, politique, diplomatique et financière de la France dans le génocide.
Bruguière, parti à la retraite avant une carrière politique dans les rangs de l’UMP, son successeur, le magistrat anti-terroriste Marc Trévidic se rendit à Kigali en 2012, ce que n’avait jamais fait Bruguière, et aboutit à des conclusions totalement inverses sur le déroulement de qui allait constituer le prétexte de la mise en œuvre du crime.

Les habitants et les pouvoirs publics de notre pays ont un devoir particulier en ce qui concerne le Rwanda.
En effet, une partie du combat est aujourd'hui celui de la pleine reconnaissance par l’État français de ses responsabilités.
Cet État qui prétend parler en notre nom, persiste aujourd'hui à garder un silence complice sur l’implication de l’armée française dans le génocide des Tutsi.
Or le pouvoir Hutu extrémiste a reçu de manière continue et appuyée le soutien des autorités françaises tant au plan politique, militaire que financier, avant, pendant et après le génocide. Toute la vérité doit être faite au sujet de cette implication : tous les documents doivent être rendus publics. C’est pourquoi nous soutenons et partageons pleinement le combat de nos amis et partenaires de Ibuka, du CPCR et de Survie afin que la vérité se fasse jour et que les coupables éventuels soient jugés. On notera que Védrine est toujours présent sur la scène politique et médiatique. Il semble qu’il soit écouté par le nouveau président français. Il serait même  à l’origine du tournant consistant à s'allier avec Bachar El Assad sous prétexte de « lutter contre le terrorisme » alors que Assad en est le principal responsable et parrain. Védrine a aussi beaucoup de sympathie « réaliste » envers Poutine. 
Dans ce domaine de la responsabilité des États la justice des Pays-Bas a émis un verdict historique, bien qu'incomplet et frustrant. Elle juge que les autorités de son pays ont laissé se dérouler le génocide de Srebrenica (un an à peine après celui des Tutsi), sans permettre le sauvetage des personnes qui tentaient de se réfugier dans l'enclave des Casques Bleus néerlandais présents sur place. C'est le résultat d'une longue bataille des victimes et de leurs avocats avec le soutien d'ONG néerlandaises et internationales, mobilisées pour la justice et contre l'impunité.
Cette reconnaissance est importante car elle trace la responsabilité des gouvernements qui laissent se dérouler des génocides et crimes contre l'humanité et n'interviennent pas pour sauver des vies humaines. C’est dans le même sens que nous devons agir afin que soit levée la chape de plomb de la dissimulation au nom de la raison d’État.

En effet, à l’inverse, l'impunité des auteurs des génocides et massacres représente un facteur évident de récidive et de perpétuation des actes génocidaires.  On se souvient notamment du propos de Hitler trouvant un encouragement dans la manière dont le génocide arménien de 1915 était nié :
« Mais qui se souvient encore du massacre des Arméniens ? » déclarait-il dans une allocution aux commandants en chef de l'armée allemande le 22 août 1939, quelques jours avant l'invasion de la Pologne.
 
C'est pourquoi, plus que jamais et en permanence,  la mémoire des génocides nourrit nos combats. 

Le génocide des Tutsi est également le récit d'une horreur absolue, dans laquelle des voisins massacrent ceux qu'ils connaissent et fréquentent. Des victimes supplient qu'on les tue avec une arme à feu  afin d'échapper à la machette et au gourdin mais pour cela les massacreurs exigent qu'ils payent le le prix de la balle. De manière croissante des livres et témoignages rendent compte de ces atrocités. Les femmes subirent un sort particulier avec les très nombreux viols et tortures particulières. Les survivantes luttent pour leur dignité et se regroupent comme celles de la maison de Kigali qui ont écrit le récit de leurs souffrances et de leurs combats.
C 'est un immense champ de mémoire et de solidarité qui est en train de s'ouvrir et auquel nous appelons à participer, pour que justice soit faite.  

MEMORIAL 98