samedi 16 mai 2020

Génocide des Tutsi: son organisateur enfin arrêté tente d'échapper à la justice

 
Mise à jour du 12 novembre 2020: Kabuga devant le tribunal international de La Haye

Félicien Kabuga, a comparu pour la première fois à La Haye le mercredi 11 novembre.  Arrêté en France en mai dernier, il est poursuivi pour sept chefs d’inculpation dont génocide et complicité de génocide. Il a fait savoir par la voix de son avocat qu’il plaiderait non coupable. Il avait tenté d'éviter sa comparution devant ce tribunal mais la Cour de Cassation a rejeté son recours. Il aurait du être jugé à Arusha en Tanzanie, mais son état de santé a déterminé une localisation plus proche

Félicien Kabuga ne reconnaît pas les crimes qui lui sont reprochés. Ce n’est pas une surprise. Il plaidera donc non coupable. Il était présent à l’audience mais s’est seulement exprimé brièvement au tout début de son habituelle voix faible, et pour confirmer qu’il comprenait la langue utilisée à l’audience ou en tout cas sa traduction.

Cette audience initiale ne signifie pas l’ouverture d’un procès, car pour cela, il faudra encore attendre des mois.

 Le procureur Serge Brammertz et ses équipes travaillent encore à la mise à jour de l’acte d’accusation qui, tel qu’il a été lu à l’audience aujourd’hui, date de 2011, soit près de 10 ans. Une actualisation s’impose donc pour notamment tenir compte des témoins encore disponibles ou non, ou de nouveaux éléments qui auraient été découverts depuis.



 
 Mise à jour du 2 septembre 2020

Félicien Kabuga tente par tous les moyens d'échapper à la justice internationale.

Il a saisi a plus haute juridiction de l'ordre judiciaire français, la Cour de Cassation, après le feu vert donné le 3 juin par la cour d'appel de Paris à sa remise au Mécanisme pour les tribunaux internationaux (MTPI). Cette structure est chargée d'achever les travaux du Tribunal international pour le Rwanda ( TPIR) et siège à Arusha en Tanzanie. Ses avocats mettent en avant son état de santé. La décision sera annoncée le 30 septembre.

Un autre génocidaire présumé de haut niveau est recherché, après avoir lui aussi trouvé refuge en France.
Un mandat d'arrêt international contre Aloys Ntiwiragabo a été émis par le Rwanda. Après sept mois d'enquête, le journal Mediapart avait en effet retrouvé celui qui était à la tête du renseignement militaire à l'époque du génocide contre les Tutsi au Rwanda en 1994. Le parquet antiterroriste français a ouvert une enquête préliminaire pour "crimes contre l'humanité".
A cette occasion on a découvert les errements de l'administration française qui semble avoir accordé le statut de réfugié à des génocidaires présumés.

Avec nos amis et partenaires de l'association de rescapés du génocide  Ibuka et le Collectif des parties civiles pour le Rwanda nous exigeons que les génocidaires présumés soient déférés devant la juridiction qui est mandatée pour cela. 

MEMORIAL 98



 

Grande et bonne nouvelle: Félicien Kabuga, considéré comme le financier du génocide des Tutsis et l’un des principaux accusés encore recherchés par la justice internationale, a été arrêté le 16 mai. Cette arrestation survient un mois après la 26e commémoration du début du génocide 
Agé de 84 ans, Félicien Kabuga, qui résidait à Asnières-sur-Seine (92) sous une fausse identité, est notamment accusé d’avoir créé les milices Interahamwe , principales structures armées du génocide de 1994.
Il est visé par un mandat d’arrêt du Mécanisme international, la structure chargée d’achever les travaux du Tribunal international pour le Rwanda (TPIR). 
Selon le communiqué des autorités françaises, il faisait partie des fugitifs les plus recherchés au monde.

Il a présidé la Radio génocidaire des Mille-Collines

Son arrestation montre que les responsables de génocide peuvent être contraints de rendre des comptes, même vingt-six ans après leurs crimes, a commenté le procureur du Mécanisme pour les tribunaux pénaux internationaux (MTPI)
En 1994, Félicien Kabuga – dont une fille était mariée à un fils du président rwandais Juvénal Habyarimana – appartenait au cercle restreint de ce dernier, dont l’assassinat, le 6 avril 1994, allait déclencher le génocide.

Il présidait la Radio télévision  des Mille-collines (RTLM), qui diffusait des appels aux meurtres des Tutsi et dont le rôle toxique fut extrêmement important.
Dans les jours qui précèdent le début du génocide le 6 avril 1994, il est annoncé à l'antenne de cette radio que "Le 4 ou le 5, il va se passer un petit quelque chose (...) une petite chose est prévue. Cette petite chose va continuer les jours suivants… Hohoho !". 
Le génocide débute finalement le , immédiatement après que l'avion du président Habyarimana a été abattu, vers 20h30. 
Radio Mille Collines diffuse des listes de personnes à exécuter dès 21h, montrant la radio était un instrument de la planification du génocide.
Au cours du génocide, la RTLM encourage sans cesse les tueries en indiquant les endroits où des Tutsi se cachent, donnant des noms de personnes à abattre, galvanisant les miliciens pour qu'ils attrapent et découpent les inyenzi et "remplissent les fosses". Inyenzi, un mot dans la langue commune locale kinyarwanda qui signifie « cafard », « cancrelat », est alors utilisé pour désigner les Tutsi.

Kabuga dirigeait aussi le Fonds de défense nationale (FDN) qui collectait des fonds destinés à financer la logistique et les armes des miliciens hutu Interahamwe, selon l’acte d’accusation du TPIR.

Dans ce cadre, il est également accusé d’avoir ordonné aux employés de sa société […] d’importer un nombre impressionnant de machettes ( les armes du génocide) au Rwanda en 1993, avant de les faire distribuer en avril 1994 aux Interahamwe. 
Le document ci-dessous montre le bon de transport de 987 cartons de machettes ( matchets) commandés par Kabunga
 
Les machettes constituent l'arme atroce du génocide. Elles provoquent des souffrances terribles. De nombreux témoignages de survivant.e.s racontent comment les victimes des tueurs suppliaient d’échapper à la machette et d'être tuées par balles. Mais les génocidaires réclamaient alors d'être payés pour compenser "le prix de la balle". 

Réfugié en Suisse en juillet 1994 avant d’être expulsé, Félicien Kabuga avait ensuite temporairement rejoint Kinshasa en RDC. Il avait été signalé en juillet 1997 à Nairobi, où il avait échappé à une opération destinée à l’arrêter, puis à une autre en 2003,
Il doit désormais être rapidement présenté au parquet de Nanterre en vue de son incarcération puis au parquet général de Paris dans les prochains jours.

Graves interrogations sur le séjour de Kabuga en France: qui l'a protégé? 
Son arrestation, qui constitue une excellente nouvelle, pose également de nombreuses interrogations que formule Alain Gauthier, président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda( CPCR) lequel combat pour que les génocidaires cachés en France soient extradés vers le Rwanda ou à défaut jugés en France.
« Le fait qu’il soit arrêté près de Paris sous une fausse identité soulève évidemment la question du niveau de protection dont il a pu bénéficier . Comment est-il parvenu à obtenir ses faux-papiers ? Comment est-il arrivé jusqu’ici ? J’espère que l’enquête et le procès permettront de le savoir. Cette arrestation très importante ne doit pas faire oublier qu’il reste d’autres génocidaires en liberté et que certains sont toujours recherchés par le TPIR..."  

L'arrestation de Kabunga constitue une victoire contre l'impunité; elle doit aussi permettre d'avance beaucoup plus fortement dans la recherche de la vérité concernant la responsabilité des autorités françaises dans le déroulement du génocide (voir ici nôtre dossier à ce sujet )

Voir d'autres articles de Memorial 98 à propos du génocide des Tutsi et du négationnisme qui poursuit son œuvre:







MEMORIAL 98

vendredi 8 mai 2020

8 mai: une mémoire actuelle, 75 ans après la chute du nazisme.


Le soixante quinzième anniversaire de la victoire contre le nazisme est commémoré cette année dans les conditions particulières de la pandémie du Covid.

Cela a déjà été le cas cette année des anniversaires en avril du génocides des Tutsi, de celui des Arméniens ainsi que de la révolte du ghetto de Varsovie   
75 ans après l'effondrement du nazisme, la crise sanitaire du Covid donne lieu à un déferlement de propagande complotiste et antisémite et à des manifestations à tonalité d’extrême-droite dans plusieurs pays. 

Des partis d’extrême-droite apparaissent certes en recul, notamment en Italie et en Allemagne; de plus les gestions aventuristes de Trump et Bolsonaro affaiblissent leur crédibilité globale.
Néanmoins plusieurs éléments annoncent qu’ils pourront sans doute rebondir et exploiter la suite des événements Ainsi le succès des théories conspirationnistes sur l’origine du coronavirus et la crise ouverte de l’Union européenne jouent en leur faveur.

En France on assiste ainsi à des attaques contre des responsables de santé d’origine juive .
Soral, toujours en liberté malgré ses condamnations à des peines de prison ferme, est évidemment  au premier plan avec sa vidéo nommée Couillonavirus Communauté organisée qui tient la France
Il y stigmatise "le gang qui a en charge la médecine d’État : Buzyn, Lévy, Bauer, Hirsch, Jacob, Guedj, Salomon… C’est la liste de Schindler. » il éructe que les Juifs « veulent faire du pognon sur le dos des Français, affaiblir le peuple français par le nombre de morts » .
Mais au delà de sa propagande, de nombreuses «  explications diaboliques » envahissent les réseaux sociaux et les milieux déjà touchés par l’intervention de réseaux complotistes d’extrême-droite, notamment lors du mouvement des Gilets jaunes.

Cette propagande se focalise sur la diabolisation d’Agnès Buzyn et de son mari Yves Lévy, ancien directeur de l’Inserm, qui entraveraient l'action du fameux Professeur Raoult.  
Afin qu'on comprenne bien de quoi il s'agit, l'euro-député RN Gibert Collard insiste grossièrement dans une tribune sur le site de ce parti, sur la parenté d'Agnès Buzyn en la décrivant comme" elle-même divorcée de Pierre-François Veil, fils de Simone..."
De son côté Marine Le Pen multiplie les allusions à une origine « mystérieuse et inconnue » du coronavirus.
Elle prolonge ainsi les thèse de son parti contre les acquis de la santé publique.

Aux États-Unis les manifestations contre les mesures de protection sanitaire se sont multipliées, notamment dans le États dirigés par les démocrates. Elles sont soutenues par Trump et organisées par une coalition de suprémacistes, d’intégristes et de lobbyistes des armes à laquelle se sont joints les complotistes « anti-vaxxers », hostiles aux vaccinations. De nombreux slogans antisémites ont été lancés lors de ces manifestations,
s’ajoutant ainsi aux crimes des synagogues de Pittsburgh et San Diego et à la manifestation meurtrière des suprémacistes blancs à  Charlottesville en août 2018.  
                                              L'appel à la manifestation fasciste de Charlottesville

En Allemagne, une mobilisation du même type se nomme «  Résistance 2020 » et s’appuie sur le parti d’extrême-droite AfD (Alternative pour l'Allemagne)
 Le co-président de ce parti Alexander Gauland vient d’ailleurs de  décrire le jour de la fin de la Seconde Guerre mondiale, comme étant un "jour de défaite absolue".
Il réagissait aux appels répétés en Allemagne pour faire du 8 mai un jour férié, ce qui n’est pas le cas actuellement sauf à Berlin. Dans cette ville qui constitue aussi un État, le 8 mai est fêté et férié cette année à titre exceptionnel, en tant que symbole de libération du nazisme.  Une pétition nationale demande la généralisation de cette démarche.
 "Le 8 mai n'a pas le potentiel d'être un jour férié car c'est un jour ambivalent", a déclaré Gauland. "Pour les détenus des camps de concentration, c'était une journée de libération. Mais ce fut aussi un jour de défaite absolue, un jour de perte de grandes parties de l'Allemagne ( à l'Est) et de la possibilité de façonner de nouvelles choses".   
Gauland  n’en est pas à son premier dérapage en la matière, alors qu’il se présente comme le leader l’aile « modérée » de l’AfD, opposée au négationniste Bjorn Hoecke, chef du parti en Thuringe. 
En juin 2018, il avait comparé la période nazie à “une fiente d’oiseau” au regard de 6 000 ans d’histoire allemande. Une manière de réduire le IIIe Reich à un détail, ce qui avait déjà provoqué une vague de critiques. Il avait aussi vanté “les performances des soldats allemands durant la Seconde Guerre mondiale”, en septembre 2017.

La date du 8 mai rappelle à nouveau que le fascisme et le nazisme ont finalement été vaincus mais que si on les laisse prospérer, ils auront auparavant provoqué d'immenses drames et nombreuses catastrophes humaines.

1945: la capitulation et la joie


Le 7 mai 1945, à 2h41 du matin, l'Allemagne nazie capitule. C'est la fin des combats en Europe.
Hitler, arrivé au pouvoir le 30 Janvier 1933, vient de se suicider, le 30 avril. Le "Reich de 1000 ans" qu'il promettait aura duré 12 ans. Il a eu néanmoins le temps de déclencher la 2e guerre mondiale et de mettre en œuvre la Shoah.

Le lendemain, une immense vague de joie déferle sur la planète, provoquant des scènes de liesse dans toutes les capitales, à l’exception de Berlin et Tokyo.

Le régime impérial japonais poursuit les combats dans le Pacifique, la Seconde Guerre mondiale n’est pas encore terminée.

La joie est  ternie par la  découverte des camps de concentration, depuis quelques mois, au fur et à mesure de la progression des armées alliées, notamment soviétiques. Le dernier camp est libéré le 8 mai 1945; il s'agit de celui de Theresienstadt/Terezin, en Tchécoslovaquie alors que Auschwitz l'a été le 27 janvier de la même année. .

Alors même que s'effondrait le régime le plus réactionnaire que l'histoire ait connu, les peuples colonisés exprimèrent leurs aspirations à l’égalité et à l'auto-détermination. Ainsi l’Algérie "française"  connait, en ce jour du 8 mai, des scènes de répression d’une extrême violence. Les célébrations se terminent dans un bain de sang à Sétif, Guelma, et Kherrata, entraînant la mort d’environ 45 000 personnes.

Un passé toujours actuel

Le souvenir du 8 mai 1945 et plus généralement de la période de Vichy et de la collaboration avec les nazis demeure un sujet de  débat et de clivage notamment dans la droite mais aussi dans une partie de la gauche. 

Ainsi Giscard d'Estaing, alors président de la République, avait supprimé la commémoration du 8 mai à partir de 1975, sous prétexte de construction européenne.
Elle fut rétablie en 1981 par Mitterrand. 
Mais ce dernier a maintenu la fiction d'une non responsabilité des autorités françaises notamment dans la déportation des Juifs de France.
Il a dans ce cadre mis en œuvre, de 1987 à 1992,  un hommage à Pétain auquel il ne mit fin qu'à la suite d'un important scandale.
 
A droite, c'est Sarkozy qui lança, dès sa campagne électorale de 2007, une offensive d'ampleur contre la "repentance" et contre la reconnaissance de la participation des autorités françaises à la ShoahIl  a même boycotté la cérémonie du 8 mai 2007, pour ne pas se retrouver à côté de Chirac qui avait reconnu les responsabilités françaises dans la déportation des Juifs. 
A l'époque, Patrick Devedjian, alors dirigeant de premier plan de l'UMP, décédé récemment, en résumait ainsi les enjeux (dans le journal Le Monde du 10 avril 2007) : " La droite est sortie honteuse de la guerre. Depuis la Libération, la gauche exerce un magistère moral sur l'histoire, distribuant les bons et les mauvais points: à gauche le parti des fusillés, à droite les collaborateurs. Même Chirac n'a jamais dit qu'il était de droite, et Jospin n'a pas hésité à dire de la droite qu'elle était héritière d'un courant anti-dreyfusard, antisémite et raciste. Il (Sarkozy) a sorti nos valeurs de la réclusion, il redonne sa dignité à la  la droitisation de la société permet aujourd'hui ce réajustement idéologique qui anticipe la victoire politique".

Plus concrètement, il s'agissait alors pour la droite comme aujourd'hui de récupérer les thèmes et l'électorat du FN et donc de jouer sur le nationalisme. Sarkozy a sans cesse œuvré à légitimer  les thèses du Front National
Son successeur, Laurent Wauquiez, a poursuivi dans la même voie et accueilli en grande pompe Eric Zemmour qui travaille à réhabiliter Pétain et son régime. 

Plus récemment, Emmanuel Macron a voulu rendre hommage à Pétain, lors du centenaire de la fin de la première guerre mondiale. Il a repris l’argumentation bien connue sur le « grand soldat » qui aurait ensuite fait « des choix funestes ». Face au scandale, il a du renoncer à cet hommage.

Nous en appelons plus que jamais au combat contre les idéologies et actes racistes et antisémites quels que soient leur prétexte, et pour l'avenir d'un monde débarrassé de la menace fasciste.
En cette journée particulière, nos pensées vont aux millions de victimes de l'idéologie nazie et de tous les génocides mais aussi aux jeunes résistants allemands de la Rose Blanche et à leur combat héroïque.   


MEMORIAL 98