22 juillet 2021: un dixième anniversaire sous le signe du trauma
Dix ans après les attaques perpétrées par Anders Behring Breivik, le 22 juillet 2011 en Norvège, les survivants et les proches des victimes ne pourront pas se recueillir devant le mémorial national en hommage aux 77 personnes tuées. Sur le quai, en face de l'ile d'Utoya, à une quarantaine de kilomètres d’Oslo, le monument n’est toujours pas achevé. En 2017, un premier projet avait dû être abandonné, sous la pression des riverains.
Seize d’entre eux ont depuis traîné l’Etat et la Ligue des jeunes travaillistes (AUF) en justice, pour tenter de bloquer – en vain – les 77 colonnes de bronze, en cours de construction, sur les berges du fjord d’Oslo.
Pour Astrid Hoem, présidente d’AUF depuis décembre 2020, l’absence de mémorial officiel, dix ans après la tuerie la plus meurtrière commise en Norvège depuis la seconde guerre mondiale, est « une honte ». Comme de nombreux jeunes travaillistes, elle y voit un symbole : celui de l’incapacité de son pays et de ses habitants « à se mettre d’accord sur ce qui s’est vraiment passé » le 22 juillet 2011 et à reconnaître « le caractère idéologique des attentats ».
L’été 2011, Astrid Hoem avait 16 ans. Pour rien au monde elle n’aurait manqué les universités d’été d’AUF, organisées à Utoya depuis 1950. Le 22 juillet, ils étaient 564 sur l’île de 12 hectares. La plupart avaient moins de 20 ans. Leurs téléphones ont sonné, en milieu d’après-midi : une bombe venait d’exploser devant le siège du gouvernement à Oslo, faisant huit morts et des dizaines de blessés. Les leaders d’AUF ont tenté de rassurer les plus jeunes : à Utoya, ils se trouvaient « dans l’endroit le plus sûr au monde ».
Deux heures plus tard, les premiers coups de feu claquaient sous la pluie. Le massacre a duré un peu plus d’une heure. Astrid s’est cachée dans une faille, au bord de la falaise. Déguisé en policier, Anders Behring Breivik, 32 ans, a tué 69 personnes et blessé une centaine d’autres.
« Le pire a failli se reproduire »
Pendant des années, les survivants ont peu parlé, livrant une version édulcorée des événements. « Je ne voulais pas être Astrid d’Utoya », confie la leader d’AUF. « C’était tellement douloureux que je n’avais pas envie d’accabler les gens autour de moi », ajoute Tonje Brenna, secrétaire générale de l’organisation à l’époque. En mai, la jeune femme, âgée de 33 ans, a finalement décidé de tout raconter dans un livre, sans omettre le moindre détail, parce qu’« il est indispensable que les gens comprennent ce qu’est la terreur », explique-t-elle.
Ces derniers mois, de nombreux survivants se sont mis à témoigner. Tous avec le même objectif. « Il faut qu’on arrête de parler du 22 juillet comme d’une catastrophe naturelle terrible, ou de quelque chose de tellement horrible qu’on ne pourrait pas le nommer et qu’on admette que c’était un acte politique, commis par un homme », résume Elin L’Estrange, elle aussi rescapée d’Utoya.
« Culture du consensus »
Dès le 22 juillet, les jeunes travaillistes ont espéré une réaction. Mais quand Eskil Pedersen a tenté de lancer un débat sur la rhétorique utilisée au Parlement pour parler des immigrés, il a été accusé de vouloir limiter la liberté d’expression. « Pendant ce temps-là, Fjordman [un blogueur, mentor de Breivik] a reçu une bourse de l’association Fritt ord [“Le mot libre”] pour écrire un livre », s’insurge Elin L’Estrange. Les jeunes travaillistes critiquent les subventions versées par l’Etat à la fondation islamophobe et conspirationniste Human Rights Service ou l’invitation du chef de file de l’organisation Stop Islamisation of Norway sur la chaîne publique NRK.
Ils ont aussi été profondément choqués par le message, publié en mars 2018 sur Facebook, par la ministre de la justice, Sylvi Listhaug – aujourd’hui dirigeante du Parti du progrès (FrP), une formation d’extrême droite dont Breivik a été membre une dizaine d’années. Elle y affirmait que le Parti travailliste « pense que les droits des terroristes sont plus importants que la sécurité de la nation » : un message rappelant les théories conspirationnistes du tueur. Mme Listhaug a fini par démissionner.
Mais, à cette occasion, le Parti travailliste et AUF ont de nouveau été accusés de « jouer la carte du 22 juillet », ce qui leur est fréquemment reproché, par la droite notamment. Un sondage, réalisé au printemps par le Centre de recherche sur l’extrémisme à l’université d’Oslo, montre que 30 % des personnes interrogées pensent ainsi qu’AUF et les travaillistes ont exploité la tragédie à des fins politiques. « C’est pourtant le contraire qui s’est produit », affirme le chercheur Anders Jupskas Ravik, qui rappelle les efforts du Parti travailliste, au pouvoir, pour éviter les divisions.
« Trois quarts des Norvégiens ont participé à un hommage. Les jeunes venaient de toutes les régions et beaucoup de gens connaissaient quelqu’un à Utoya », Tore Witso Rafoss, sociologue
Dans son premier discours, le soir du 22 juillet 2011, et tous ceux qui ont suivi ensuite, le premier ministre d’alors, Jens Stoltenberg, a pris soin de dénoncer « une attaque contre la démocratie et la Norvège ». Aujourd’hui encore, c’est cette version qui domine. « Il y a un véritable paradoxe », reconnaît le sociologue Tore Witso Rafoss. Car les attentats ont bien affecté tout le pays : « Trois quarts des Norvégiens ont participé à un hommage. Les jeunes venaient de toutes les régions et beaucoup de gens connaissaient quelqu’un à Utoya. » Mais « Breivik a visé un parti en particulier », rappelle le sociologue.
Or, même les travaillistes ont mis très longtemps à le reconnaître. L’historien Hallvard Notaker y voit un effet de la « culture du consensus » en Norvège : après les attaques, il fallait avant tout préserver l’unité du pays. La double identité du Parti travailliste a brouillé sa position, estime l’historien : « D’un côté, il est l’expression politique du mouvement des travailleurs. De l’autre, c’est le parti qui a dirigé la Norvège pendant des décennies et qui est vu comme le garant de notre modèle social. » Après le 22 juillet, c’est ce deuxième aspect qui a primé.
Des survivants menacés
Aurait-il fallu réagir différemment ? Ministre des affaires étrangères à l’époque, Jonas Gahr Store, chef de file travailliste depuis 2014, rappelle que « la Norvège venait de connaître le plus gros choc depuis l’invasion du pays par l’Allemagne nazie, le 9 avril 1940 ». Dans ce contexte, il estime que l’appel à l’unité était « la meilleure réponse ». Mais, aujourd’hui, affirme-t-il, « nous ne pouvons pas continuer à dire que c’était seulement une attaque contre la démocratie, comme le fait la première ministre, Erna Solberg [conservatrice], depuis 2013, car ce n’est pas toute la vérité. C’était aussi une attaque contre le Parti travailliste et AUF ».
Dix ans après les attaques, AUF réclame la mise en place d’une commission sur l’extrémisme. « Il est temps de reconnaître que quelque chose ne fonctionne pas dans notre société et que nous ne parvenons pas à prévenir la radicalisation de certains jeunes hommes blancs », explique Astrid Hoem. L’initiative est soutenue par le Parti travailliste. Le 5 juillet, le chef de file des jeunes conservateurs, Sondre Hansmark, a estimé nécessaire de présenter ses excuses aux jeunes travaillistes, « laissés seuls dans un combat que nous aurions dû tous mener avec eux ».
MEMORIAL 98
Tarrent ( à g.) inspiré par Breivik
En ce huitième anniversaire des massacres de Brievik, on constate qu'il demeure une source d'imitation et d'inspiration pour les tueurs fascistes de par le monde. Ainsi Brenton Tarrent, auteur des massacres qui ont tué 49 personnes dans deux mosquées en Nouvelle-Zélande ( voir ici), se réclame explicitement de lui. Il a publié un "manifeste" qui reprend les thèmes de Breivik et déclare même l'avoir rencontré afin de recevoir son assentiment.
Tarrent s'ajoute ainsi à la longue liste des terroristes qui se déclarent inspirés par les actes et l'idéologie de Breivik, y compris en France, comme le craignaient d'ailleurs les antiracistes et défenseurs des droits de l'homme en Norvège (voir ci-dessous ainsi que lesmises à jour à la fin de l'article )
A la veille de ce huitième anniversaire, le mémorial aux victimes d'Utoya a été profané par l'inscription d'une croix gammée. Deux hommes ont été arrêtés.
Nos pensées pour les 77 victimes de Breivik.
Memorial 98
MEMORIAL 98
Le 22 juillet 2011, une bombe placée dans une voiture piégée explosait dans le quartier des ministères à Oslo. L'attentat visait une ex-Première ministre, personnalité du Parti travailliste et tuait huit personnes. Une heure et demie plus tard le terroriste d'extrême-droite qui avait commis l'attentat, Anders Breivik, se rendait sur l'île d'Utoya, à proximité d'Oslo, déguisé en policier. Ce jour-là, avait lieu un rassemblement des membres de la Ligue des jeunes travaillistes (gauche), auxquels l'ancienne ministre déjà visée avait rendu visite un peu plus tôt.
Breivik pourchasse et massacre méthodiquement les jeunes; il parvient à tuer 69 personnes, soit au total 77 morts dans la journée. «J'ai fini maintenant», a-t-il déclaré aux policiers au moment de son arrestation.
Le 24 août 2012, le verdict est prononcé: Anders Breivik est condamné à 21 ans de prison pour «homicides volontaires» et «actes de terrorisme», la peine maximale en Norvège. La justice pourra néanmoins la prolonger s'il reste considéré comme dangereux.
Memorial 98
Mise à jour du 27 juillet 2018
En ce septième anniversaire de la tuerie de Breivik, nous saluons la mémoire des victimes de ce terroriste qui continue à inspirer des crimes de haine à travers le monde, comme aux USA à Charlottesville et encore en France récemment avec le groupe de l'AFO qui prévoyait d'empoisonner les rayons hallal de supermarchés.
Mise à jour du 22 juillet 2017
En ce sixième anniversaire des massacres d'Oslo et d'Utoya, nous rendons hommage aux 77 victimes de Anders Breivik.
Cette date donne lieu depuis plusieurs années à des actes de terroristes d'extrême-droite (voir ci-dessous), fort peu surveillés et punis.
Memorial 98
Actualisation du 3 juillet 2017.
Un an après l'attentat de Munich (voir ci-dessous) l’anniversaire de la tuerie de Breivik inspire à nouveau des terroristes d'extrême-droite, cette fois-ci en France.
Deux suspects de projets d'actes terroristes arrêtés ces jours-ci font explicitement référence à la tuerie de Norvège. L'un voulait tuer des " musulmans, juifs, noirs, homosexuels" ainsi que le président Emmanuel Macron. L'autre voulait mener des "actions" contre les "blacks" et "racailles"
Ce groupe "MPNA" est impliqué dans la profanation de la stèle du résistant de l' "Affiche Rouge" Missak Manouchian à Marseille depuis 2014. Les méfaits de ses membres sont donc connus et on peut s' étonner qu'ils aient pu bénéficier d'une telle latitude d'action.
Actualisation 23 juillet 2016
Selon la police allemande "le lien est évident" entre l'auteur de la tuerie de Munich du 22 juillet et le tueur norvégien Anders Breivik; l’auteur du massacre utilisait la photo de Breivik comme identifiant de sa messagerie WhatsApp. On notera aussi qu'il a réalisé ses attaques le jour du 5e anniversaire du massacre d'Oslo.
Actualisation 20 avril 2016:
MEMORIAL 98
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