lundi 4 juillet 2016

Homeland: une fresque historique sur l’Irak







Actualisation du 13 octobre

L'auteur de Homeland, Abbas Fahdel,  vient de recevoir le prix du documentaire 2016 "La Croix", décerné par ce quotidien, après avoir été choisi par un jury de professionnels du cinéma, de journalistes et de lecteurs.
Une nouvelle occasion de recommander cette œuvre.

Memorial 98 


Actualisation du 28 aout 2016:



"Bagdad, chronique d'une ville emmurée"

 A voir sur Arte à partir du mardi 30 août à 21h50 (54 min) et sur Arte Pluz

" Dans les bouchons ou au checkpoint, je suis toujours sur le qui-vive. Je regarde à droite, à gauche, en me demandant quelle voiture va exploser." Hussein est professeur d'université. Comme la grande majorité des huit millions de Bagdadis, il sort rarement de chez lui et a perdu tout espoir d'un avenir meilleur. Treize ans après l'invasion américaine, Bagdad, capitale d'un Irak corrompu, militairement faible et soumis aux puissances iranienne et saoudienne (entre autres), paie au prix fort le conflit entre musulmans sunnites et chiites, relancé par l'essor de Daech depuis deux ans. En 2015, trois mille cinq cents personnes y ont péri dans des assassinats ou des attentats. Et 2016 s'avère pour l'instant tout aussi meurtrière... Alors, pour se protéger des attaques terroristes, mais aussi pour mieux acter la séparation entre sunnites et chiites, des murs se sont dressés partout dans la ville.

Chronique de l'enfer
Ce documentaire est une chronique de Bagdad, de ses habitants (chiites à 70 %) et de leur désespoir. Avec son confrère photographe Laurent Van der Stockt, dont les images ont fait le tour du monde, le réalisateur Lucas Menget, grand reporter et correspondant de France 24 à Bagdad, qui a tiré un livre de ses années passées en Irak (Lettres de Bagdad, Editions Thierry Marchaisse) est parti à la rencontre de chefs religieux et politiques, de miliciens, de journalistes... Tous vivent à Bagdad.
Memorial 98


Alors que des attentats meurtriers, revendiqués par Daech, tuent des centaines de personnes à Bagdad, une œuvre puissante permet d’approcher la réalité irakienne.


Homeland est un film documentaire, réalisé par Abbas Fahdel, cinéaste franco-irakien né à Hilla , ville située à environ 100 kms de Bagdad. Le long métrage d'une durée de 5 h 34 en deux parties: "l'Avant et l'Après"  est sorti en en février 2016. Le DVD sera disponible en septembre 2016


Première partie : IRAK année zéro (2 h 40)

Nous sommes en février 2003.
Le réalisateur nous conduit dans sa maison près de Bagdad. Il nous présente les membres de sa famille. Les uns après les autres, ils s'installent autour du téléviseur dans la pièce principale. La télévision occupe une place prépondérante auprès de la population. Saddam Hussein, figure idolâtrée, y apparait en civil, en militaire, en prêcheur, il s'auto-complimente et promet monts et merveilles contre l'ennemi américain.
Avec certains de ses proches, nous allons déambuler dans les rues de Bagdad, guidé par son neveu Haidar, personnage central. Le garçon, âgé de treize ans, plein de vivacité, nous détaille comment les vitres du salon sont consolidées avec du ruban adhésif épais, par dessus celui utilisé lors de la précédente guerre de 1991. 
Il nous conduit jusqu'au puits creusé dans le jardin pour assurer des réserves d'eau. En cas de guerre il partira à la campagne.

L'objet du film est posé. En filigrane, une ombre inquiétante constituée par  le spectre des guerres. Celles d'avant 2003 la guerre Iran-Irak de 1980 à 1988, l’invasion du Koweït par l'Irak en 1990, l'incursion de la partie méridionale de l'Irak par une coalition internationale avec l'opération "Tempête du désert" qui a mis fin à l'occupation du Koweït par l'Irak en 1991.
 Ont suivi les douze ans d’embargo  et celle à venir… avec l'invasion américaine de 2003 à 2011.

Bagdad une ville trépidante, Bagdad, une fourmilière :

Des voitures américaines anciennes frôlent des charrettes tirées par un âne. Des artisans sont à l'œuvre.
Le marché regorge de victuailles. Les épices s'étalent à profusion. Un homme empile des petits pains séchés dans un sac pour en faire provision en cas de conflit. Le pain, que l'on fabrique à la main, le pain, denrée primordiale. Un libraire vend des livres le long d'une ruelle. Il n'a jamais cessé de les exposer, même en pleine attaque. A chaque coin de rue, au détour des étals, le danger n'est jamais loin.

La vie de tous les jours
La caméra capte les visages souriants et des passants qui s'affairent. Apparaissent à l'écran des portraits d'enfants en gros plan, beaucoup d'enfants, beaux, encore innocents. Ils vont à l'école, troublés sans trop comprendre pourquoi… Les plus jeunes jouent à faire la guerre. D'autres enfants, dans des quartiers moins privilégiés, sont fascinés par la caméra. Un indigent psalmodie un chant d'amour, un vieil homme pleure. Les femmes sont belles avec leurs vêtements et leurs foulards de couleurs vives. Des couleurs qui se heurtent avec une harmonie naturelle, tout comme le fantôme des guerres passées et à venir plane dans le ciel toujours bleu. Elles ne semblent pas « soumises » : elles bavardent, rient chantent et dansent. Les plus jeunes vont à l'Université. Les hommes s'activent de leur côté. La mélodie litanique des minarets s'égrène dans le lointain.
Un régisseur voudrait ouvrir un théâtre engagé. Nous assistons au mariage somptueux de sa fille.

Les guerres et l'embargo ont ruiné le pays. Les professions culturelles ne font plus recette. Bon nombre d'universitaires ont été contraints de devenir paysans. Des allusions discrètes d'une opposition qui semble inexistante.

Cette première partie relate une période joyeuse, presque festive, même si on perçoit un décalage entre l'abondance, une certaine exubérance et la peur permanente de la guerre.
L'inquiétude enveloppe la vie de tous les jours. Chacun est imprégné des assauts qui ont ravagé le pays, et celui auquel il faut se préparer.

Entre 2002 et 2003, Abbas Fahdel tournait, tournait, alors que tout le monde attendait l’invasion américaine.
Voici ce qu'il dit lors d'un entretien :
« Je suis reparti à Paris en mars 2003. Trois jours plus tard, le 20 mars l’intervention américaine avait lieu ! Le temps que je m’organise, je suis revenu quelques semaines plus tard. La ville de Bagdad était déjà tombée… »

Deuxième partie : Après la bataille 2 h 54

Abbas Fahdel revient en Irak deux mois plus tard et découvre un pays secoué par la violence, qui semble n’avoir échappé au cauchemar de la dictature que pour tomber dans le chaos.
 Bagdad est anéantie.
Le cinéaste embarque sa caméra à l'intérieur de la voiture de son beau-frère. Haidar, son neveu fait partie de l'expédition. Il est toujours espiègle et continue à faire de nombreux commentaires. De multiples barrages les contraignent à faire des détours. Ils croisent de longues files de véhicules militaires américains. L'armée est omniprésente. Nous poursuivons ce voyage du désastre et de la désolation pendant presque trois heures. Les appréhensions sont devenues réalité.
La caméra tourne. Des plus beaux édifices, il ne reste que des tas de pierres. Le bâtiment de la radio irakienne est entièrement détruit. Les studios de cinéma sont hors d’usage. Tables de montage et rouleaux de pellicules sont à l'abandon.
Désormais les enfants et les jeunes filles se rendent à l'école et à l'Université sous escorte de la famille. Les bandes rivales s'affrontent, les pillards sévissent, La détresse et la colère des habitants sont à son comble. Ils se sont encore appauvris. Ils commencent à s’armer .La population est divisée : ceux qui regrettent Saddam Hussein et ceux qui s'en réjouissent, tout en constatant que les autorités irakiennes ne font rien pour aider les habitants à survivre.
Lors de ce périple en voiture dans la ville dévastée, une balle perdue va atteindre Haidar et le tuer.
Abbas Fahdel mettra une décennie à s'en remettre,  avant de pouvoir se replonger dans ses rushs.

Il faut voir Homeland pour comprendre le choc introduit dans l'histoire de l'Irak et de ses habitants. Le réalisateur a voulu montrer la richesse de son pays avant et ce qu'il en est advenu après avoir subi une dictature et des guerres. Il nous fait partager sa vision de Bagdad et de ses habitants meurtris.

Après la projection des deux parties, le spectateur à une connaissance plus intelligible de la tragédie qui déchire l'Irak. Celle-ci va bien au-delà de l'image véhiculée par les médias ou même celle de nos représentations collectives à propos de ce pays. Le film nous aide à comprendre la raison du conflit interne qui engendre des morts quasiment au quotidien.


Il fait aussi place aux mobilisations qui tentent de dépasser les affrontements à caractère communautaires, manipulés par ceux qui y trouvent leur intérêt et la source de leur pouvoir :  « Une nouvelle génération ose brandir ses slogans : Ni sunnites, ni chiites. On veut un État laïque”.



Le 22 mai 2016 dans la cadre d’un colloque à  l’IMA (Institut du Monde Arabe de Paris ) ayant pour thème : « Religion et pouvoir", trois historiens animaient un atelier à propos du film Homeland. Ils ont fait part de leur réflexion afin de mieux cerner ce que le réalisateur a voulu transmettre par l'intermédiaire de son film. Ils ont découpé le film en trois intitulés.
1/ Une société sous dictature et embargo  
2/ Le patrimoine, témoignage et refuge
3/Filmer une rupture historique

Un hommage au peuple irakien et à sa famille
En 1958 c'est la fin de la monarchie irakienne. Un état est en construction. L'Irak connait un fort développement économique et social grâce au pétrole.  
Abbas Fadhel découvre le cinéma égyptien. Sa famille est à la fois chiite et sunnite (mariages mixtes) ; Lui ne se réclame ni de l’un ni de l’autre.
Abbas F arrive en France en 1976 afin d'y faire une thèse sur le cinéma de Wim Wenders (cinéaste allemand des années 60). En 1980, quand éclate la guerre Irak -Iran qui fera quatre millions de morts de part et d'autre, il ne vit plus en Irak. En 1990 lors de l’invasion du Koweït par l'Irak il en va de même. Au mois de mars 1991, au cours de la guerre du Golfe, une insurrection a tenté de mettre fin au régime baasiste de Saddam Hussein, c'est la révolte des chiites opprimée par le régime.

Abbas travaille et produit des films en France : "Retour à Babylone " (2001)," Nous les irakiens (2004)", " L’aube du monde" (histoire des irakiens disparus à cause de l’assèchement des marais 2008  et enfin " Homeland " (2002 et 2003) tourné en Egypte.
Abbas Fadhel a voulu rendre compte des différents aspects de la société irakienne au travers de certaines séquences de son film

1/ Une société sous dictature et embargo.
Pendant l’embargo, on découvre son beau frère, médecin, entrain de traire des chèvres avec son épouse. Comme d'autres universitaires, il est devenu paysan. La culture du blé, de l’orge et l’élevage des moutons se développent. Le système de l’Éducation est mis à mal. Il en va de même pour la santé, ce qui a pour conséquence l'accroissement de la mortalité infantile.
C'est au travers des représentations de Haïdar, son neveu, que nous percevons ce qu'est le régime de Saddam Hussein. Il nous explique la fierté  nationaliste des irakiens qui soutiennent ce régime. Ce sont des privilégiés qui bénéficient de tickets de rationnement en dépit de la pénurie, d’où le renforcement de son pouvoir. Il décrit Saddam Hussein en tenue militaire, il nous parle des 3000 missiles en prévision de la prochaine guerre. C'est lui encore qui décrit la construction du puits pour avoir des réserves d'eau en cas de conflit.
La séquence est assez longue, Abbas Fadhel veut nous faire partager la vie quotidienne des irakiens, par l'intermédiaire de ses personnages pendant la période où l'Irak a subi la dictature et l'embargo.

2/ Le patrimoine, témoignage et refuge

Saddam Hussein né en 1937 se réclame de la dynastie antique des Hammourabi.
Il prétendait  reconstruire l'empire babylonien. Il a fait reconstruire à l'identique le palais du roi Nabuchodonosor.

Abbas F n'a rien filmé au hasard. Certains passages sont des témoignages de l'histoire et de la culture de l'Irak comme le palmier, symbole de prospérité et de fertilité. Le réalisateur s'entretient avec un homme perché dans un palmier en train de couper des branches mortes.

Avec sa caméra, il s'attarde sur le musée archéologique qui renferme des pièces inestimables, étendard d'une civilisation florissante, celle de Babylone et du roi Nabuchodonosor. Épargné en partie pendant la guerre, il a été pillé et des collections ont été retrouvées dans d'autres pays.
Merveille architecturale, la mosquée de Samarra avec son minaret hélicoïdal endommagé par un attentat à la bombe en 2005, emblème des conflits entre chiites et sunnites. Un détour par Al Amara, ville principalement chiite : 700 morts en 1991 lors d'un bombardement américain.

3/ Filmer une rupture historique

L’enjeu : conserver les traces de l’attaque de l'armée américaine…
Les séquences se répondent les unes aux autres.  Elles montrent des atteintes gratuites aux personnes et à leurs habitations. Le musée archéologique dont la façade a été bombardée. Un char de guerre stationne devant la porte qui était supposé en garder l'accès. Les pillards s'en sont donnés à cœur joie. La bibliothèque nationale, extension de la bibliothèque édifiée en 1920 et les archives mises à mal lors de l'attaque de 2003. Cinéma calciné afin de dénoncer le manque de démocratie. Un irakien proclame : "la démocratie n’est pas pour nous". Il dénonce les marchands d'armes. 

Nous apprenons la mort de Haidar, dès le début du film, preuve de l'insécurité qui règne sous le gouvernement de Saddam Hussein. Insécurité entretenue par l’État sunnite et mise en avant de la libre circulation des armes qui mettent les enfants en danger. Abbas F. ne filme pas la guerre mais des traces de la guerre du passé contre Saddam Hussein comme en 1991. Inscription dans une histoire commune du cinéma : le sous-titre de son film (Irak année zéro) est une référence aux films de Roberto Rossellini "Allemagne année zéro" sorti en 1948, et "Rome ville ouverte"  crée en 1945. Abbas F. a volontairement appelé son film Homeland, du nom d'une série américaine qu’il trouve choquante, afin de s'en différencier.

On se trouve devant une œuvre puissante et évocatrice, une véritable fresque, à voir. 

Memorial 98

  





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