Les yeux sont tournés ces jours-ci
vers la Turquie.
Les élections législatives de ce dimanche 7 juin détermineront l’avenir du président turc Recep Tayyip Erdogan, élu à ce poste le 10 août 2014, après avoir été Premier ministre pendant 12 ans. Son régime avait débuté sous des apparences « réformatrices »; il s’agissait alors de chasser de sa place la vieille élite kémaliste (du nom du fondateur de l’État turc moderne Kemal Atatürk), nationaliste et se réclamant d’une laïcité d’État autoritaire. Il a à son tour adopté une orientation de plus en plus autoritaire et idéologique, au cours des dernières années. La question est de savoir si son parti, AKP (« le Parti de la justice et du développement ») disposera ou non d’une majorité en sièges, voire d’une majorité des deux tiers qui lui permettrait de modifier la Constitution à sa guise et notamment d'instaurer un régime présidentiel. Ce résultat décidera des marges de manœuvre du « Sultan » Erdogan.
La fin de la campagne électorale est particulièrement tendue et le pouvoir est sans doute à l’origine de l’attentat qui a fait plusieurs morts lors du dernier meeting de la coalition HDP dans la grande ville kurde de Dyiarbakir, le vendredi 5 juin.
Les élections législatives de ce dimanche 7 juin détermineront l’avenir du président turc Recep Tayyip Erdogan, élu à ce poste le 10 août 2014, après avoir été Premier ministre pendant 12 ans. Son régime avait débuté sous des apparences « réformatrices »; il s’agissait alors de chasser de sa place la vieille élite kémaliste (du nom du fondateur de l’État turc moderne Kemal Atatürk), nationaliste et se réclamant d’une laïcité d’État autoritaire. Il a à son tour adopté une orientation de plus en plus autoritaire et idéologique, au cours des dernières années. La question est de savoir si son parti, AKP (« le Parti de la justice et du développement ») disposera ou non d’une majorité en sièges, voire d’une majorité des deux tiers qui lui permettrait de modifier la Constitution à sa guise et notamment d'instaurer un régime présidentiel. Ce résultat décidera des marges de manœuvre du « Sultan » Erdogan.
La fin de la campagne électorale est particulièrement tendue et le pouvoir est sans doute à l’origine de l’attentat qui a fait plusieurs morts lors du dernier meeting de la coalition HDP dans la grande ville kurde de Dyiarbakir, le vendredi 5 juin.
"Nettoyer le campement c'est être complice du génocide" |
Cette année, le 24 avril 2015 marquait donc une date de commémoration extrêmement importante. En toute
logique, elle a été marquée par un grand rassemblement commémoratif à Erevan,
capitale de la République d’Arménie (ex-république soviétique), auquel ont
assisté entre autres les présidents français et russe.
Or,
Erdogan a choisi cette même date pour organiser un autre événement, cherchant
ainsi à allumer un contre-feu. Il convia des chefs d’État et de gouvernement de
la planète entière à Gallipoli (Gelibolu), une petite ville située sur le
détroit des Dardanelles, passage maritime entre la mer de Marmara et la
Méditerranée. C’est là que s’est déroulée, entre février 1915 et janvier 1916,
la « bataille des Dardanelles », opposant les troupes de l’Empire
ottoman membre de la Triple Alliance, à celles de l’Entente. Il n’y avait pas
de raison précise de fixer cette commémoration à la date précise du 24 avril
car la bataille s’est déroulée sur plusieurs mois. Mais il s’agissait bien de
chasser de l’agenda officiel turc, et dans la mesure possible de celui d’autres
pays, la date rappelant le début du génocide arménien. Seul le prince Charles
(GB) et les chefs des gouvernements d’Australie et de Nouvelle-Zélande – pays
qui avaient participé à l’effort de guerre britannique de l’époque – ont
répondu positivement à l’invitation de la présidence turque. A cette même date, Erdogan a
officiellement déclaré qu’il « partage(ait) la douleur des
Arméniens »,
tout en restant fidèle à la thèse officielle de l’État turc qui veut, tout au
plus, reconnaître des « tueries mutuelles » , mais en aucun cas
un massacre planifié et visant à éliminer un groupe humain entier, femmes,
enfants et vieillards compris. Son chef de gouvernement, Ahmet Davutoglu, se
plaignait d’une prétendue campagne contre la Turquie, émanant de
tous ceux et toutes celles qui continuent à évoquer un génocide programmé. En
même temps, pour la première fois, un ministre turc, Volkan Bozkir, participa à
une messe commémorative organisée dans l’Église du Patriarcat arménien, à Istanbul, en parlant
d’ « événements graves », mais pas directement de génocide. Cent ans après, le négationnisme de l’État turc persiste donc.
"Le génocide dure !" |
Un autre événement, qui dure
encore au moment où nous bouclons ces lignes et attendons les résultats des
élections législatives turques, permet de mesurer le rapport de la Turquie
actuelle – pouvoirs publics et société – à son passé et au génocide des
Arméniens.
Depuis plus d’un mois dure à
Tuzla, quartier asiatique d’Istanbul situé au sud-est de la métropole,
l’occupation d’un lieu symbolique cher à la population Arménienne vivant
actuellement en Turquie. Un lieu promis à la destruction par les pouvoirs
publics et qu’il s’agit de sauver.
En 1962, l’Église arménienne avait
acquis, sur ses fonds propres, un terrain dans ce lieu alors situé en extrême
périphérie de la ville. Il s’agissait pour elle de disposer d’un endroit pour
proposer un lieu de villégiature, mais aussi d’enseignement et d’éducation à
des enfants arméniens, vivant dans la cour – étroite – d’une église arménienne
dans le centre d’Istanbul. Ces enfants étaient des orphelins, confiés aux
institutions ecclésiastiques arméniennes. Ils ne disposaient d’aucun lieu pour
sortir des locaux exigus pendant l’été ou d’autres périodes de vacances. Les
familles de ces enfants (en dehors de leur parents décédés ou dans
l’impossibilité de s’occuper d’eux) étaient soit inexistantes, soit dispersées
à travers le monde. C’était une conséquence directe du génocide, qui avait
éliminé des familles entières et poussé les survivantEs à l’exil. Quand des
familles survivantes vivaient encore sur la territoire turc, leurs membres
craignaient d’afficher un lien avec la culture arménienne et dissimulaient leur
appartenance à cette origine.
La seule possibilité , pour ces
enfants, consistait à passer leurs périodes de vacances toujours dans les mêmes
locaux réduits où ils séjournaient
déjà toute l’année, ou à rejoindre des membres de leurs familles vivant dans
l’exil ou cachant leur appartenance culturelle. La communauté arménienne,
craignant que cela ne conduise à une rupture des liens de ces enfants avec leur
culture d’origine soient définitivement décida ainsi de construire un lieu de
repos et d’éducation spécifique.
"Que le campement arménien soit rendu aux arméniens !" |
Pendant une vingtaine d’année, le
lieu a ainsi servi de centre d’éducation de foyer et d’école par lequel des
milliers d’enfants arméniens sont passés. L’une des particularités de cette
école est que le journaliste Arménien de Turquie Hrant Dink, dont l’assassinat
en janvier 2007 à Istanbul a constitué un tournant politique important, a été
l’un des élèves. Suite à son assassinat par un nationaliste turc, 100.000 à
200.000 personnes sont sorties dans les rues, à Istanbul, sous les slogans
« Nous sommes tous Hrant ! » et « Nous sommes tous des
Arméniens ! ». Ce qui a contribué, de manière importante, a briser le
tabou de la « question arménienne », et du génocide, au moins dans
une partie de la société turque.
Mais l’école de Tuzla a cessé
d’exister, en tant que lieu géré par la communauté arménienne, après une
vingtaine d’années d’existence. En 1979, les pouvoirs publics s’étaient ravisés
et avaient entamé un procès contre la communauté, propriétaire des lieux :
ils exhibaient alors une loi datant de 1936, de la période du parti unique
kémaliste. Ce dernier, représentant du nationalisme autoritaire et
officiellement laïc, avait alors interdit aux institutions des minorités nationales
et religieuses reconnues (arménienne, grecque et juive) de signer des contrats et des
transactions sans posséder un agrément officiel. Agrément que, bien entendu,
les autorités ne leur donnaient pas : la laïcité alors officiellement
proclamée reposait, en même temps, sur la définition d’un peuple turc
« normal » (correspondant à la majorité turque et sunnite), à
l’exclusion de toutes les minorités.
Après quelques années de procès,
en 1983 – la Turquie vivait depuis le 12 septembre 1980 sous une dictature
militaire, la justice étatique trancha ainsi contre la communauté arménienne.
Les tribunaux ordonnèrent la restitution des lieux au propriétaire initial, au
même prix de transaction qu’en 1962, alors que le terrain était non bâti à
l’époque. Entre-temps, une école de deux étages, un foyer d’habitation, un
grand jardin arboré y avaient été créés.
Pendant une trentaine d’années, le
terrain avait été laissé en friche. L’école et le foyer ne furent pas détruits,
mais non entretenus, les locaux se dégradaient, et ils risquent aujourd’hui
l’effondrement.
Au printemps 2015, apprenant que
la destruction des lieux était désormais programmée car le quartier de Tuzla
est entre-temps devenu chic et cher, des membres de la communauté arménienne ont
investi les lieux. Courant mai, l’occupation des lieux a été organisée, réunissant une cinquantaine de personnes en semaine, mais attirant plusieurs
centaines de personnes solidaires le week-end. L’auteur de ces lignes a eu
l’occasion de se rendre sur les lieux, pendant le deuxième week-end de mai (voir photos). Plusieurs
centaines de personnes avaient alors afflué vers l’école de Tuzla, rebaptisée
« Camp (ou campement) arménien ». Les occupantEs et leurs soutiens
avaient élaboré tout un programme : cours de langue arménienne, pièce de
théâtre militante, concert le soir. Il y eut aussi un rassemblement avec de
prises de parole, dont celles d’anciens élèves de l’école. La veuve de Hrant
Dink était présente.
"Nous sommes tous des arméniens, nous sommes tous Hrant" |
Des slogans sur les murs
proclamant (voir photos): « Nous sommes tous des Arméniens, nous sommes tous
Hrant (Dink) » ornaient les lieux, aux côtés d’autres slogans militants,
dont certains anticapitalistes. « Le génocide dure encore »
était l’inscription d’une grande banderole au-dessus de l’entrée de l’école,
une autre proclamant que « le Camp(ement) arménien doit être rendu au
peuple arménien ».
Aux dernières nouvelles, le
propriétaire actuel des lieux aurait formellement accepté, le 23 mai dernier,
de les rendre aux institutions de la communauté arménienne. Mais la transaction
n’a pas eu lieu jusqu’ici.
Voir aussi la page Facebook
des occupant-e-s et des personnes solidaires :
Bernard Schmid
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