mardi 7 avril 2020

Génocide des Tutsi au Rwanda: un 26e anniversaire à l'ombre de la pandémie.



La commémoration du génocide des Tutsi au Rwanda revêt cette année un caractère particulier, en raison de l’épidémie du Covid19.

Nous nous associons à nos partenaires de l’association Ibuka-France et appelons à participer aux actions en ligne qu’ils organisent (voir ci-dessous).
Le combat contre le négationnisme concernant ce génocide est plus que jamais d’actualité. Ainsi, c’est au sein du Sénat que s’est tenu le 9 mars dernier un colloque négationniste.
Les protestations associatives n’ont pas pu empêcher sa tenue, car Gérard Larcher président du Sénat l’a maintenu. Honte à lui; voir ici le compte-rendu établi par l'association Survie
Aujourd’hui même, le journal Le Point rendant compte de  la découverte d’un charnier de victimes utilise la formule confusionniste et négationniste de « génocide entre les Tutsis et les Hutus »
Sur France Inter c'est une chronique profanatrice qui a constitué la seule mention du génocide le 7 avril. Dans ce billet prétendument humoristique, le chroniqueuse comparait le génocide à "une bataille de polochons". 
Cette horreur s'est produite dans l'émission  Par Jupiter qui se présente comme critique et progressiste.
Nous soutenons la protestation des associations de rescapés et exigeons avec eux des excuses publiques ( voir ci-dessous)

 
Mise à jour: 
Après sa profanation du génocide, la chroniqueuse Constance présente des excuses désinvoltes et se victimise( ci-dessous)
Chers auditeurs,
Ma chronique du 7 avril sur France Inter a suscité une très vive émotion dans la communauté Tutsi et au-delà. A tous ceux qui ont été choqués, je voudrais dire que mon intention n’était pas de blesser, de minimiser l’importance des faits et encore moins de nier la réalité du génocide qui s’est déroulé en 1994 au Rwanda.
Pour m’éloigner du sujet qui ne prêtait pas à rire, j’ai usé de formules lapidaires qui ont jeté du sel sur des blessures immenses. Telle n’était pas mon intention.
J’ai depuis reçu de très nombreux messages faisant part, parfois de manière parfaitement outrancière, de leur colère. J’ai bien entendu leur émotion. Je veux leur dire qu’elle me touche et que je la comprends.
Je suis humoriste, pas éditorialiste. Mon rôle est de faire rire, et d’apporter un peu de bonheur aux gens. Alors quand mon travail soulève autant d’émotion, qu’il heurte toute une communauté, force est de reconnaître que l’objectif est manqué. Je vous prie de bien vouloir m’en excuser.
Constance


Un autre enjeu est la poursuite de la mise à jour des responsabilités des autorités françaises dans le déroulement du génocide.
Les révélations se sont multipliées ces dernières années, malgré les blocages et pressions, dont celles des proches de François Mitterrand
Face au scandale qui menace, Emmanuel Macron a choisi de louvoyer. Il a proclamé une journée nationale de commémoration du génocide le 7 avril mais semble peu désireux d’aboutir à la vérité dans ce domaine, aussi dérangeante soit-elle.   
Il a ainsi créé une commission d’historiens censée faire la lumière sur la période des années 1990-1994 mais en a éliminé l’historienne du CNRS Hélène Dumas, spécialiste du Rwanda dont elle maîtrise la langue ainsi que l'historien Stéphane Audoin-Rouzeau. Tous les deux étaient considérés comme trop critiques; 
C'est ce que nous avions rappelé lors d'une allocution de Memorial 98 le soir du 7 avril 2019, dans le cadre de la veillée organisée comme chaque année par l'association Ibuka-France en mémoire des victimes du génocide. 
Nous y appelions à la vigilance face aux nombreuses tentatives pour bloquer un accès complet aux archives, voir ici la vidéo de cette intervention: https://www.youtube.com/watch?v=MaYgH39DV4Y

MEMORIAL 98


 Avec Ibuka-France

26ème commémoration du génocide contre les Tutsi
Le 7 avril 2020, journée internationale de commémoration du génocide commis contre les Tutsi au Rwanda en 1994, l’association Ibuka France et ses partenaires associatifs sur le territoire français appellent, malgré le confinement national, au recueillement et au souvenir du dernier génocide du XXème siècle.
Durant cent jours, d’avril à juillet 1994, plus d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants furent assassinés au Rwanda, parce que nés Tutsi. 
En 2020, pour la première fois, les commémorations en France de ce crime lors du 7 avril s’inscrivent dans un cadre national officiel, reconnu par le décret présidentiel du 13 mai 2019. 
L’actuelle épidémie de COVID-19 qui frappe la planète nous contraint toutefois à repousser à une date encore inconnue les cérémonies publiques prévues au mois d’avril.
Ibuka France a une pensée pour les victimes de cette pandémie et adresse ses condoléances aux familles éprouvées. 
Ce report ne doit pourtant pas empêcher le recueillement. Mardi prochain 7 avril 2020, comme chaque année, nous dédierons nos pensées aux victimes du génocide, à celles et ceux qui ont perdu leur vie en voulant les défendre et aux rescapés dont la présence et les voix portent jusqu’à nous le souvenir du crime perpétré il y a vingt-six ans. 
Les efforts engagés dans ce sens demeurent nécessaires face aux menées du négationnisme, toujours actif sous les diverses formes qu’il emprunte pour falsifier, nier et/ou atténuer la nature génocidaire du crime commis en 1994 contre les Tutsi au Rwanda.
Dans cette situation exceptionnelle, Ibuka France organisera le 7 avril une cérémonie d’hommage aux victimes du génocide des Tutsi par des moyens virtuels.
Si nous ne pouvons pas rassembler les survivants et les familles qui ont été endeuillés pour un moment de communion, nous souhaitons leur adresser tout notre soutien à distance, à travers des messages qui seront diffusés durant sept jours à compter du 7 avril. La période de confinement actuelle fait, en effet, rejaillir pour beaucoup d’entre eux la peur et la détresse ressenties en 1994 dans leurs cachettes.
Programme du 7 avril au 13 avril 2020
  • Le 7 avril à 14h
  1. Allumage de bougies suivi d’une minute de silence.
  2. Partage des témoignages, vidéo, poèmes, chants de recueillement..., sur les réseaux sociaux de notre association
Merci de nous envoyer vos vidéos de soutien et témoignages par e-mail: contact@ibuka-france.org et qui seront postées et partagées sur les comptes de réseaux sociaux d’Ibuka France.
  • Du 8 au 13 avril  à 14h: 
Partage de témoignages, vidéos, poèmes, chants de recueillement sur les réseaux sociaux de l’association.
Retrouvez-nous sur:
C’est avec une détermination intacte et une vigilance permanente qu’Ibuka France entend poursuivre son œuvre auprès de tous les publics, fort du soutien de ses différents partenaires et de celui de chacun et chacune d’entre vous.
Ibuka-France

 Un génocide planifié et préparé.

C'est en effet le 7 avril 1994 que débutèrent au Rwanda les massacres qui allaient voir la mort d'au moins un million de personnes jusqu'à juillet de la même année: des individus définis comme Tutsi, constituant la majorité des victimes, mais aussi des Hutu opposés aux partisans de l'idéologie raciste dite "Hutu Power"
D'une durée de cent jours, ce fut le génocide le plus bref et concentré de l'histoire et celui de la plus grande ampleur quant au nombre de morts par jour de tuerie.
Fruit d'une idéologie raciste mise en œuvre sur des décennies, ce génocide s'est appuyé, pour diffuser la haine, avant et pendant, sur une forme perverse d'humour, notamment à la Radio Télévision des Milles Collines, mais aussi sur les caricatures déshumanisantes de la propagande génocidaire .
Comme pour tous les projets génocidaires, celui-ci s'accompagne de campagnes négationnistes, de difficultés à faire reconnaître les responsabilités entre autres les responsabilités françaises et à faire vivre la mémoire. Il a fallu attendre 20 ans pour qu'enfin une stèle au Père Lachaise à Paris commémore ce génocide et encore 2 ans avant que soit inauguré un Jardin de la Mémoire dans un parc parisien.
Des progrès limités ont aussi été réalisés dans le domaine de la justice puisque enfin des génocidaires ont été jugés et condamnés en France. Ces procès doivent beaucoup à l’action de nos amis du Collectif des parties civiles pour le Rwanda qui poursuivent un combat incessant pour que le Parquet et les tribunaux jouent enfin leur rôle. En effet la justice demeure très partielle, lente et laborieuse. Des génocidaires présumés lui échappent.
Les habitants de nôtre pays ont un devoir particulier en ce qui concerne le Rwanda. En effet, une partie du combat est aujourd'hui celui de la pleine reconnaissance par l’État français de ses responsabilités. Cet État qui prétend parler en notre nom, persiste aujourd'hui à garder un silence complice sur l’implication de l’armée française dans le génocide des Tutsi.
Or le pouvoir Hutu extrémiste a reçu de manière continue et appuyée le soutien des autorités françaises tant au plan politique, militaire que financier, avant, pendant et après le génocide.
 Toute la vérité doit être faite au sujet de cette implication : tous les documents doivent être rendus publics.
Les preuves s'accumulent maintenant quant à la participation des pouvoirs publics français et d’institutions financières à l’exécution du crime.
Nos amis et partenaires des associations Ibuka, qui regroupe des rescapés tutsi et du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) qui mène un énergique combat judiciaire ainsi que l'ONG Sherpa, ont porté plainte contre la banque BNP. Ils l’accusent d’avoir favorisé le génocide en finançant la livraison d’armes, malgré l’embargo décidé par l’ONU.

En même temps les mises en cause se multiplient à propos de l’implication de dirigeants français de l’époque. L’attention se concentre sur Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères et surtout à l’époque secrétaire général de l’Élysée à l'époque du génocide, déjà plusieurs fois cité.



A ce moment (1993-1995) Mitterrand était président et Balladur chef d’un gouvernement de cohabitation, suite aux élections de 1993. Védrine jouait un rôle capital et bénéficiait de l’entière confiance du président.    

Selon le journaliste Patrick de Saint-Exupéry,  spécialiste du Rwanda, fondateur de la revue XXI et qui a dénoncé le génocide dès 1994, un haut fonctionnaire chargé d’examiner les archives de l’Elysée de 1990 à 1994 affirme que les autorités françaises ont bien donné l’ordre de réarmer les auteurs du massacre, alors que ces derniers venaient d’être mis en déroute par le Front patriotique rwandais (FPR).
Le fonctionnaire, anonyme mais manifestement très bien informé, qui a eu accès aux archives au moment de leur ouverture par François Hollande en 2015, évoque un document faisant état d’une fronde de certains militaires français contre la décision des autorités françaises de réarmer les génocidaires.
En marge de ce document et concernant le trouble de ces militaires, une note manuscrite d’Hubert Védrine insistait sur la nécessité de «s’en tenir aux directives fixées» et donc de livrer les armes.

 
Selon un autre spécialiste du Rwanda, Jacques Morel, cité par Libération, on retrouve la signature de Védrine en bas d’une note sur une dépêche officielle citée par l’agence Reuters et datée du 15 juillet 1994.
La dépêche était titrée: «Paris prêt à arrêter les membres du gouvernement intérimaire rwandais.», eux qui avaient orchestré le génocide et qui s’étaient repliés dans les zones sous contrôle français.
En marge de la dépêche, Hubert Védrine avait écrit: «Lecture du Président (Mitterrand): ce n’est pas ce qui a été dit chez le Premier ministre (Balladur).»
L’arrestation fut donc annulée.

Mitterrand et Védrine étaient particulièrement complaisants à l’égard des chefs Hutu, considérés comme favorables à la France car francophones, alors que les dirigeants Tutsi, qui avaient dû se réfugier en Ouganda étaient considérés comme favorables au monde anglophone.
De plus Mitterrand défendait la thèse négationniste du « double génocide », selon lequel les torts étaient partagés entre génocidaires et victimes. Ainsi après le sommet franco-africain de Biarritz en 1994, il lance à un journaliste qui l’interroge : “De quel génocide parlez-vous, monsieur ? De celui des Hutus contre les Tutsis ou de celui des Tutsis contre les Hutus ? ”
                                          
Védrine a de son côté défendu l’auteur négationniste Pierre Péan en 2008 ( décédé récemment)  lors du procès de ce dernier après la parution de son livre sur le Rwanda « Noires fureurs, blancs menteurs ». Le déroulement de ce procès démontre les ressorts et arguments des négationnistes, si proches de ceux qu’on retrouve dans des cas semblables (lire ici le compte rendu qu'en fit Memorial 98)
   
C’est dans cette sphère du déni qu’avait aussi agi le juge « anti-terroriste » Jean-Louis Bruguière chargé d’une enquête sur l’attentat qui le 6 avril 1994, toucha l’avion transportant le président du Rwanda Habyarimana, abattu par deux missiles à son approche de l’aéroport de la capitale Kigali.
Bruguière conclut, au terme d’une enquête partiale conduite depuis Paris, sans déplacement sur les lieux de l’attentat, à la responsabilité des rebelles tutsi (FPR) ; il lança des mandats d’arrêt internationaux contre de hauts responsables du FPR au pouvoir à Kigali.
Suite aux  conclusions du rapport Bruguière, les thèses négationnistes se renforcèrent et obtinrent une sorte de droit de cité dans le discours public, notamment français. L’attribution au FPR de la responsabilité de l’attentat du 6 avril a servi  à protéger des questions embarrassantes les dirigeants politiques de cette époque de cohabitation : Mitterrand, Balladur, Léotard, Juppé,  Roussin, Hubert Védrine, les responsables militaires et tous les officiels ayant joué un rôle dans la complicité militaire, politique, diplomatique et financière de la France dans le génocide.
Bruguière, parti à la retraite avant une carrière politique dans les rangs de l’UMP, son successeur, le magistrat anti-terroriste Marc Trévidic se rendit à Kigali en 2012, ce que n’avait jamais fait Bruguière, et aboutit à des conclusions totalement inverses sur le déroulement de qui allait constituer le prétexte de la mise en œuvre du crime.

Les habitants et les pouvoirs publics de notre pays ont un devoir particulier en ce qui concerne le Rwanda.
En effet, une partie du combat est aujourd'hui celui de la pleine reconnaissance par l’État français de ses responsabilités.
Cet État qui prétend parler en notre nom, persiste aujourd'hui à garder un silence complice sur l’implication de l’armée française dans le génocide des Tutsi.
Or le pouvoir Hutu extrémiste a reçu de manière continue et appuyée le soutien des autorités françaises tant au plan politique, militaire que financier, avant, pendant et après le génocide. Toute la vérité doit être faite au sujet de cette implication : tous les documents doivent être rendus publics. C’est pourquoi nous soutenons et partageons pleinement le combat de nos amis et partenaires de Ibuka, du CPCR et de Survie afin que la vérité se fasse jour et que les coupables éventuels soient jugés. On notera que Védrine est toujours présent sur la scène politique et médiatique. Il semble qu’il soit écouté par le nouveau président français. Il serait même  à l’origine du tournant consistant à s'allier avec Bachar El Assad sous prétexte de « lutter contre le terrorisme » alors que Assad en est le principal responsable et parrain. Védrine a aussi beaucoup de sympathie « réaliste » envers Poutine. 
Dans ce domaine de la responsabilité des États la justice des Pays-Bas a émis un verdict historique, bien qu'incomplet et frustrant. Elle juge que les autorités de son pays ont laissé se dérouler le génocide de Srebrenica (un an à peine après celui des Tutsi), sans permettre le sauvetage des personnes qui tentaient de se réfugier dans l'enclave des Casques Bleus néerlandais présents sur place. C'est le résultat d'une longue bataille des victimes et de leurs avocats avec le soutien d'ONG néerlandaises et internationales, mobilisées pour la justice et contre l'impunité.
Cette reconnaissance est importante car elle trace la responsabilité des gouvernements qui laissent se dérouler des génocides et crimes contre l'humanité et n'interviennent pas pour sauver des vies humaines. C’est dans le même sens que nous devons agir afin que soit levée la chape de plomb de la dissimulation au nom de la raison d’État.

En effet, à l’inverse, l'impunité des auteurs des génocides et massacres représente un facteur évident de récidive et de perpétuation des actes génocidaires.  On se souvient notamment du propos de Hitler trouvant un encouragement dans la manière dont le génocide arménien de 1915 était nié :
« Mais qui se souvient encore du massacre des Arméniens ? » déclarait-il dans une allocution aux commandants en chef de l'armée allemande le 22 août 1939, quelques jours avant l'invasion de la Pologne.
 
C'est pourquoi, plus que jamais et en permanence,  la mémoire des génocides nourrit nos combats. 

Le génocide des Tutsi est également le récit d'une horreur absolue, dans laquelle des voisins massacrent ceux qu'ils connaissent et fréquentent. Des victimes supplient qu'on les tue avec une arme à feu  afin d'échapper à la machette et au gourdin mais pour cela les massacreurs exigent qu'ils payent le le prix de la balle. De manière croissante des livres et témoignages rendent compte de ces atrocités. Les femmes subirent un sort particulier avec les très nombreux viols et tortures particulières. Les survivantes luttent pour leur dignité et se regroupent comme celles de la maison de Kigali qui ont écrit le récit de leurs souffrances et de leurs combats.
C 'est un immense champ de mémoire et de solidarité qui est en train de s'ouvrir et auquel nous appelons à participer, pour que justice soit faite.  

MEMORIAL 98




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