Le 19 septembre dernier, lors du rassemblement organisé par le Réseau d'Actions contre l'Antisémitisme et tous les Racismes ( RAAR), les intervenants de Memorial 98 ont débuté leur prise de parole par ces mots:
"Dans
10 jours, le 29 septembre, aura lieu le 80e anniversaire du premier
grand massacre de la Shoah
Le
29 et 30 septembre 1941, trente-trois mille sept cents Juifs et Juives
ukrainiens de tous âges furent tués par les nazis au lieu-dit du ravin Babi Yar à proximité de Kiev.
Ce
massacre, réalisé par fusillade, est le
plus important de cette première phase de la Shoah; il dépasse même les
chiffres des tueries quotidiennes dans les camps de la mort.
Et
il y a des gens qui osent se coller des étoiles jaunes sur la poitrine ? Comment ne pas hurler face à cette
négation ? ..."
La vidéo complète de ce rassemblement est à voir ici
Il y a 80 ans jour pour jour débutait en effet l'une des plus grands massacres de la Shoah. Il demeura longtemps camouflé par Staline et ses acolytes, afin d'en atténuer la portée spécifique d'extermination génocidaire et antisémite des Juifs. Staline interdit d'ailleurs la parution du " Livre noir de l'extermination des Juifs en URSS et Pologne" rédigé par Vassili Grossman et Ilya Ehrenbourg. Il fit ensuite assassiner les animateurs du Comité Antifasciste Juif et d'inventer le prétendu complot antisémite des Blouses Blanches
Alors que les antisémites ont relevé la tête à l'occasion de la crise sanitaire et que Zemmour mène une campagne fortement antisémite et négationniste, la mémoire
Le
29 et 30
septembre 1941, trente-trois mille sept cents Juifs ukrainiens de tous
âges et des deux sexes ont été tués par les nazis au lieu-dit Babi Yar
(le «ravin de la vieille femme» en russe) à proximité de Kiev.
Ce
massacre est le plus important de cette première phase de la Shoah; il
dépasse même les chiffres des tueries quotidiennes dans les camps de la
mort.
Ce crime de masse survient dix jours après l'entrée des troupes nazies dans ce qui était alors la
capitale de l'Ukraine soviétique. La ville de Kiev comptait 900.000
habitants, dont environ 120.000 Juifs .
Ces derniers ont été convoqués par les autorités allemandes à Babi Yar le 28 septembre,
veille cette année là de la grande fête juive de "Yom Kippour"
et menacés d'exécution sur place en cas de désobéissance.
Croyant d'abord à un départ vers un camp quelconque, les Juifs sont
immédiatement conduits par groupes de dix vers le bord du ravin, obligés
de se dévêtir et massacrés à la mitrailleuse. Les rescapés de ce premier
massacre vont être tués à leur tour et
jetés dans le ravin au cours des mois suivants, au rythme de deux jours
de tuerie par semaine.
Le
site de Babi Yar a été jusqu'en 1943 le théâtre d'exécutions massives:
jusqu'à 100.000 personnes y ont été tuées, parmi lesquelles des
Juifs, des Roms, des combattants de la résistance et des prisonniers
de guerre soviétiques.
Après la guerre, la mémoire de ce début de la Shoah fut longtemps masquée.
Le
carnage des 29 et 30 septembre 1941 a certes été
révélé lors des grands procès de Nuremberg en 1946, mais
les dirigeants de l'URSS, dont l'Ukraine faisait alors partie, ont
toujours cherché à minimiser ce drame, pour ne pas avoir à admettre que
les victimes étaient juives.
Dans
le cas de Babi Yar , les victimes juives étaient présentées comme des « citoyens soviétiques pacifiques » sans
mention de leur judéité et de l'acharnement des nazis contre elles.
Pendant des décennies, les rassemblements de commémoration furent
interdits dans le ravin.
La publication en 1961 du poème "Babi Yar" , du poète russe contestataire Evgueni Evtouchenko, fit l'effet d’un choc
salutaire, car il proclamait que les victimes étaient exterminées parce que juives et il évoquait les pogroms en Russie.
Le poème débute ainsi :
" Non, Babi Yar n'a pas de monument.
Le bord du ravin, en dalle grossière.
L'effroi me prend.
J'ai l'âge en ce moment
Du peuple juif. Oui, je suis millénaire.
Il me semble soudain-
l'Hébreu, c'est moi, ..."
En 1966, les autorités soviétiques érigèrent sur place un monument qui passait encore
sous silence les victimes juives.
Ce n’est qu’en 1991, après la chute de
l'URSS, que le gouvernement ukrainien autorisa la création
d'un monument spécifique à ces victimes. Ce monument fut inauguré
10 ans plus tard, en septembre 2001, soit soixante ans après les faits. Le débat sur la mémoire de Babi Yar se poursuit comme le montre ce dossier de Lisa Vapné .
Le sort de la symphonie n°13, du compositeur Chostakovitch, sous titrée Babi Yar, illustre la censure.
La symphonie, créée le 18 décembre 1962 à Moscou, présente des poèmes de Evtouchenko sur le massacre, ainsi que d'autres textes sur la Shoah. La symphonie fut composée alors que la censure triomphait en Union soviétique et Krouchtchev au pouvoir menaça de stopper l'exécution de l'œuvre. D'ailleurs en 1965 Evtouchenko fut contraint de réécrire la première strophe de son poème pour proclamer que des Russes et des Ukrainiens non juifs avaient péri aux côtés des Juifs à Babi Yar. La partition avec le texte original a été à nouveau publiée en 1970.
Chostakovitch avait confié à
son ami Solomon Volkov :
"... Il serait temps que les Juifs puissent vivre heureux et en paix là où ils sont nés: en Russie.
On ne devrait jamais oublier la dangerosité de l'antisémitisme, et nous
devrions continuer à faire de la prévention, parce que cette infection
est toujours en vie, et qui sait si un jour elle disparaîtra.
C'est d'ailleurs pourquoi j'ai été réjoui, lorsque j'ai lu le
texte de Babi Yar : le poème m'a surpris. Et il a surpris des milliers
de gens : beaucoup avaient entendu parler de Babi Yar, mais c'est avec
le texte, écrit par Evtouchenko, qu'ils s'en sont vraiment rendus
compte. Beaucoup avaient essayé de détruire la mémoire de Babi Yar,
d'abord les Allemands eux-mêmes, puis le gouvernement ukrainien (soviétique/stalinien); mais ce
texte est devenu une preuve même que ce qui s'est passé à Babi Yar ne
sera jamais oublié. Voilà une preuve de la puissance de l'art.
Les gens savaient ce qu'il s'était produit à Babi Yar, même avant
le poème de Evtouchenko, mais ils ont décidé de se taire. Le texte de
cette symphonie a brisé le silence. L'art détruit le silence."
La création de l'œuvre de Chostakovitch fut mouvementée, en raison de multiples blocages et sabotages organisées par le pouvoir jusqu'à la représentation elle-même. Lorsque chœur, soliste et chef arrivèrent sur scène et prononcèrent les premiers vers de Babi Yar,
le public fut frappé de plein fouet. À la fin de la symphonie, le
succès fut énorme et le public acclama le compositeur.
L'exécution de Babi Yar s'est déroulée le jour de la fête la plus importante du calendrier juif, Yom Kippour.
Les nazis, dans leur rage antisémite, utilisaient souvent
les dates des fêtes religieuses juives afin de procéder à des
persécutions particulières.
Ni oubli, ni pardon: la mémoire des crimes du nazisme inspire nos combats
Memorial 98
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