lundi 26 avril 2021

Sarah Halimi: combattre l'antisémitisme, refuser les manipulations

 


L’ampleur des mobilisations du dimanche 25 avril à Paris et dans de nombreuses autres villes témoigne d'une inquiétude et d'une colère forte, profonde et légitime, face aux nombreux crimes antisémites commis ces dernières années en France. 

Les Juifs de France, qui représentent moins de 1 % de la population, sont, selon les statistiques officielles, la cible d’un tiers des actes haineux recensés dans le pays.

De plus la minimisation récurrente de la dimension antisémite de ces crimes a renforcé la colère

Cela a été le cas pour le meurtre de Ilan Halimi, celui de Mireille Knoll et celui justement de Sarah Halimi.

Alors que Kobili Traoré était mis en examen depuis juillet 2017 pour « homicide volontaire » il avait fallu attendre la fin du mois de février 2018, après une seconde audition du suspect par la juge d’instruction, pour que le caractère antisémite de son acte soit retenu.  Or cette qualification était demandée depuis le début par  les parties civiles et le parquet.

 

Nous partageons au plus profond de nous-même la peine immense ressentie face à la mort de Sarah Halimi. Nous sommes ulcérés par l’attitude de la force de police alertée et présente sur place ce jour là et qui a fait preuve de passivité en laissant se dérouler les évènements tragiques.     

Mais il y a aussi d'autres aspects qu'il faut exposer. La colère de nombreux Juifs a été détournée et manipulée,  en partant d’une protestation contre les crimes antisémites et d’une volonté de solidarité avec Sarah Halimi, vers une mise en cause des décisions de justice, une stigmatisation des experts psychiatriques, des accusations graves contre les juges de la Cour de Cassation et des affirmations confuses et mensongères sur la consommation de drogues. 

Le président du Consistoire central israélite, Jöel Mergui, organisateur des rassemblements, écrit ainsi dans sa tribune du Monde le 23 avril  « La Cour de cassation en a jugé autrement, elle a fait prévaloir une lecture de la notion d’« irresponsabilité pénale » qui dispense l’assassin pétri d’idéologie islamiste d’un procès"

Oui, il est nécessaire de réagir mais ne laissons pas croire qu'il s'agissait d'un rassemblement organisé "à la mémoire de Sarah Halimi" Il s'agissait en réalité de contester la décision de justice en prétendant qu'elle avait dédouané un assassin par laxisme à l'égard d'un "salafiste" ayant tué une Juive.

En soi, contester les décisions de justice représente un droit démocratique. L'état de droit inclut le droit de contester la justice. Nous avons d'ailleurs souvent l'occasion de contester telle ou telle décision. Nous contestons les décisions d'expulsion de telle ou tel migrant, des décisions que nous estimons arbitraires contre un-e syndicaliste, un-e manifestant-e mais aussi la faiblesse des peines contre Soral et Dieudonné, ainsi que la non-exécution de ces peines.  Il en est de même en ce qui concerne le contenu des expertises médicales ordonnées par le justice  

Ainsi Maurice Papon fut condamné le 2 avril 1998 à une peine de dix ans de réclusion criminelle, d'interdiction des droits civiques, civils et de famille pour complicité de crimes contre l'humanité par la cour d'assises. Mais ses amis veillent et il n’exécutera pas la peine à laquelle il a été condamné pour son rôle dans la déportation des Juifs de Bordeaux. 

C’est grâce à une loi de 2002 sur les détenus malades et à une expertise médicale mensongère que Papon sortit rapidement de prison dès le 18 septembre 2002. Il est libéré sur la base d'une "expertise " de médecins complaisants mandatés par la justice. Ces experts l'ont déclaré "grabataire"  et ont estimé que le « pronostic vital » du prisonnier était posé. Cette expertise a permis à "Papon-le-grabataire" de sortir seul et à pied de la prison, de rentrer sans encombre chez lui et d’y vivre tranquillement pendant près de 5 ans, jusqu’en Février 2007.

Plus près de nous la famille d’Adama Traoré tué en 2016 mène un combat déterminé contre des expertises visant à exonérer les gendarmes impliqués dans sa mort et a obtenu des résultats concrets

Mais ici il s’agit ici de bien autre chose : face à l’avis unanime de deux collèges successifs de psychiatres, la campagne en cours vise à faire croire à un double laxisme :

  -à l’égard de la consommation de cannabis : «  Il suffit de fumer un joint pour être exonéré de toute responsabilité ».  Ce mensonge est repris sans fin, y compris par Joan Sfar, sous la forme d'une pseudo-question naïve.

- à l’égard des états délirants. C’est le grand-rabbin de France lui-même, Haïm Korsia, qui se fait juriste et psychiatre en inventant une prétendue contradiction entre la reconnaissance du caractère antisémite du crime et l’abolition du discernement. Or les experts psychiatres ont répondu par avance à cette « énigme » en utilisant une image pertinente  « Nous dirions en résumé que Monsieur Traoré était au moment des faits, du fait de la prégnance du délire, un baril de poudre. Mais que la conscience du judaïsme de Madame Attali a joué le rôle de l’étincelle. » 

Notons que le rabbin Korsia avait déjà choqué en signant l’appel calamiteux contre le « nouvel antisémitisme » de Philippe Val.

 Suite au crime monstrueux qui a frappé Mme Sarah Halimi, et meurtri sa famille ainsi que toutes celles et ceux qui s'inquiètent crimes antisémites en France, de nombreux récupérateurs sont à l’œuvre et orientent la colère dans un sens délétère.

Ils tentent d'instrumentaliser les douleurs et les peurs légitimes afin de la dresser contre la décision judiciaire qui estime que le meurtrier relève de l’"abolition du discernement" en raison de son état délirant et qu'il ne peut donc pas être jugé.  

Car heureusement on ne juge pas les personnes relevant de la folie.

 A la manœuvre on retrouve des manipulateurs habituels :

- Gilles-William Goldnadel, éternel sous-marin du FN au sein de la population juive, avocat et défenseur officiel des fascistes de Génération Identitaire et propagandiste de Bachar El Assad 

- Meyer Habib, député des français de l'étranger et en même temps représentant quasi officiel de Netanyahou (Il ne s'agit pas ici d'une accusation de double loyauté, mais du positionnement politique explicite de ce député)

-Francis Szpiner, avocat, maire du 16e arrondissement de Paris et dirigeant LR, mêlé à toutes les combines judiciaires de la droite et qui lors du procès des assassins d'Ilan Halimi a empêché les organisations antiracistes de se constituer parties civiles.

Depuis des mois ils martèlent leurs accusations contre les juges et multiplient les contre-vérités.

Ils proposent maintenant d'organiser un procès par contumace du meurtrier délirant de Mme Halimi en Israël, comme s’il s’agissait d’un Adolf Eichmann, dont on vient tout juste de marquer le 60e anniversaire de l’ouverture du procès .

Et d’appeler à manifester contre la dernière décision judiciaire dans l’affaire Halimi, en prétendant qu'elle constitue une permission à "tuer des Juifs" ...

ll faut donc en revenir aux expertises successives.

Nous analysions déjà cet enchaînement en juillet 2018 :

 « Une nouvelle expertise psychiatrique a eu lieu dans le cas de Mme Sarah Halimi et entraîne de nombreuses interrogations et réactions.

Un des avocats de la famille proteste contre le principe même de cette nouvelle expertise. Or cette expertise collégiale ne remet pas en cause le caractère antisémite du crime mais considère que le coupable présumé présentait un état psychotique (c'est à dire délirant) au moment des faits. Dans ce cas, selon la loi, son discernement est considéré comme aboli et il ne peut pas être jugé. C'est un principe permanent qui a résisté aux nombreuses tentatives venues de la droite dure et de l'extrême-droite afin de le remettre en cause, au nom de la défense des victimes et de leurs familles.

Il est donc nécessaire de tenter de comprendre les analyses et appréciations des différents experts et d'éviter la confusion avec la détermination du caractère antisémite.

Par une ordonnance datée du 4 avril 2018 – date anniversaire du meurtre – les trois experts psychiatres ont été chargés de répondre notamment aux questions suivantes : « Dire si le sujet présente des anomalies mentales ou psychiques et dans l’affirmative, les décrire » et « préciser si l’intéressé était atteint au moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli/altéré son discernement ou le contrôle de ses actes ».

« Oui », ont-ils répondu à la première question dans le rapport d’expertise psychiatrique de vingt-neuf pages que Le Monde a pu consulter dans son intégralité : « Kobili Traoré souffre d’un trouble psychotique chronique, vraisemblablement de nature schizophrénique, faisant suite à un épisode délirant aigu inaugural. Il souffre par ailleurs d’une addiction ancienne au cannabis ». Il dispose également d’une « personnalité pathologique antisociale » (incapacité à se conformer aux normes sociales, impulsivité, irritabilité, agressivité, irresponsabilité...) et d’une propension à la violence.

« Oui », ont-ils également tranché à propos de son discernement : il était « aboli ». Kobili Traoré est « inaccessible à une sanction pénale », affirment-ils, précisant que les soins seront « longs et difficiles » : « On ne peut que constater l’extrême dangerosité de ce patient que nous considérons, hélas, comme durable en dehors d’un milieu psychiatrique ».

Interné en hôpital psychiatrique depuis la nuit du drame,  Traoré est, depuis juillet 2017, mis en examen pour « homicide volontaire ». Mais il avait fallu attendre la fin du mois de février 2018, après une seconde audition du suspect par la juge d’instruction Ihuellou, pour que le caractère antisémite soit retenu. Ce que les parties civiles et le parquet réclamaient depuis des mois.

« Un préjugé se mue en haine délirante »

La première expertise, réalisée par le psychiatre Daniel Zagury, avait conclu que Kobili Traoré, sans antécédent psychiatrique, était atteint, au moment des faits, d’une « bouffée délirante aiguë » provoquée par une forte consommation de cannabis – une quinzaine de joints par jour, selon les déclarations du suspect. Selon Daniel Zagury, son discernement était « altéré » mais pas « aboli », un avis qui le rendait passible de poursuites pénales.

Le psychiatre avait également conclu que le crime de M. Traoré était un « acte délirant et antisémite ». Il indiquait dans une formule particulièrement problématique : « Aujourd’hui, il est fréquent d’observer, lors d’efflorescences [en psychiatrie, perte de contrôle lors d’une phase délirante] délirantes, chez  les sujets de religion musulmane (généralisation problématique sans aucune base scientifique NDLR) , une thématique antisémite : le juif est du côté du mal, du diabolique. Ce qui est habituellement un préjugé se mue en haine délirante. (…) Dans son bouleversement délirant, c’est l’incarnation du diable qu’il terrassait. »

Sur ces conclusions du Docteur Zagury, le collège de trois "nouveaux" experts déclare : « Nous sommes en plein accord avec le diagnostic d’état psychotique aigu et avec l’analyse qui est faite de la dimension antisémite du geste », même si, indiquent-ils, « nous ne pensons pas qu’elle a été déterminante dans le processus psychopathologique du passage à l’acte » : « Nous dirions en résumé que Monsieur Traoré était au moment des faits, du fait de la prégnance du délire, un baril de poudre. Mais que la conscience du judaïsme de Madame Attal a joué le rôle de l’étincelle. »

 Le seul  désaccord entre les deux expertises porte sur « les conséquences médico-légales de la consommation de cannabis » : « La particularité du délire aigu de Monsieur Traoré est le rôle possiblement déclencheur du cannabis. La question se posant donc de savoir s’il s’agit d’un trouble induit par le cannabis ou si le cannabis n’a joué qu’un rôle précipitant d’un délire. » Le docteur Zagury avait estimé que sa consommation excessive de cannabis était « consciente et volontaire ». Pour les trois psychiatres, ce n’était pas le cas. L’existence de délires induits surviennent à des doses importantes et « s’amendent (stoppent) dès l’arrêt de l’intoxication ».Or, soulignent-ils, les taux de THC (le principe actif du cannabis) relevés dans le sang du suspect étaient modérés – ce qui ne correspond pas à la consommation alléguée le jour du drame – et ses idées délirantes ont persisté « longtemps après l’arrêt de l’intoxication ». Pour les  deux collèges  composés chacun de trois experts, la prise de cannabis n’a pas donc pas induit une crise aigüe mais n’a fait qu’aggraver un processus psychotique déjà amorcé. C'est en conséquence de ce raisonnement médical et médico-légal que le discernement est considéré comme aboli. » 

Les psychiatres membres des deux collèges d'experts rappellent que contrairement aux affirmations répandues, il n'y a pas de "non-lieu" mais une culpabilité établie accompagnée d'une irresponsabilité pénale. Ils déclarent dans une tribune:   

"Nous comprenons que l’absence de procès d’assises puisse choquer, mais avec les réserves suivantes : depuis la loi du 25 février 2008, les familles de victimes d’un malade mental criminel ne sont plus privées du débat comme c’était auparavant le cas, avec le non-lieu prononcé sans audience. Il y en a désormais une, devant la chambre de l’instruction, en cas d’éventuelle irresponsabilité pénale : les débats ne portent alors que sur cette question essentielle. Cette audience a eu lieu le 27 novembre 2019 pour Kobili Traoré ; y assistèrent les parties civiles, les avocats, les experts et même la presse. Les experts furent entendus et ont répondu aux avocats. À l’issue d’une telle audience, la chambre de l’instruction peut soit renvoyer devant la cour d’assises, si les arguments en faveur de l’irresponsabilité pénale lui paraissent insuffisants, soit rendre un arrêt de déclaration de culpabilité et d’« irresponsabilité pénale pour trouble mental ». Le crime reproché au sujet est alors inscrit à son casier judiciaire, la culpabilité est définitivement établie, même s’il est pénalement irresponsable. Le « non-lieu » qui révoltait autrefois, à raison, les familles comme l’opinion a bien disparu. Cette évolution législative concilie, au terme d’un débat contradictoire, une reconnaissance de culpabilité et une irresponsabilité pénale. Ce qui est conforme au principe éthique de toutes les démocraties judiciaires, remontant au droit romain, selon lequel les malades mentaux ne peuvent être condamnés. On ne juge pas les fous, c’est ainsi, et c’est l’honneur de la justice comme de la psychiatrie."

 

Nous combattons fermement l'antisémitisme d'où qu'il vienne et  poursuivrons ce combat notamment dans le cadre du Réseau d'Actions contre l'antisémitisme et tous les racismes ( RAAR),  mais dans ce cas la campagne qui a précédé les manifestation du 25 avril  est le produit d'une manœuvre politique à laquelle nous ne participons pas.

La nouvelle loi déjà annoncée par Macron et Dupont-Moretti devrait restreindre les modalités de la reconnaissance de l’abolition du discernement en cas de prise de produits stupéfiants. Elle sera votée dans la précipitation et dans un contexte pré-électoral propre à toutes les escalades répressives.

C'est dans ce contexte que nous interpellons les pouvoirs publics: où sont donc les plans ambitieux de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, annoncés successivement par les différents gouvernements dans ce domaine ? Quels nouveaux outils ont été mis à la disposition de celles et ceux qui souhaitent combattre le fléau de l'antisémitisme ? Où est l’effort d’éducation et de solidarité nécessaire ?


Nos pensées vont plus que jamais à Sarah Halimi et à toutes les victimes de crimes antisémites et racistes.

Mise à jour du 30 avril 2021

Paul Bensussan, un des experts psychiatres qui a examiné Kobili Traoré, rappelle dans différents entretiens que « six experts en deux collèges ont conclu de façon absolument unanime » sur la « bouffée délirante aiguë » du meurtrier.

Le psychiatre a également rappelé que Kobili Traoré était consommateur chronique de stupéfiants depuis l’adolescence : « Il consommait quotidiennement du cannabis depuis une quinzaine d’années, au moment où il est passé à l’acte. Je dénonce déjà un premier raccourci, qui est de postuler que le cannabis était la seule cause de son trouble psychotique. Nous avons conclu unanimement à une bouffée délirante aigüe chez un sujet qui n’était pas délirant auparavant. »

« Il consommait du shit pour s’abrutir ou s’endormir, il n’avait jamais fait d’expérience délirante dans sa vie. Cette expérience délirante a commencé 48 heures avant les faits. Il entendait des voix, croyait qu’il était possédé et poursuivi par des démons. Peu avant les faits, il a séquestré ses voisins musulmans qui se sont barricadés et ont appelé la police, et c’est par le balcon, en fuyant les démons, (et pas dans un état de parfaite lucidité comme je l’ai entendu de manière très choquante) qu’il est rentré dans l’appartement de Sarah Halimi », a expliqué Paul Bensussan.

Sur BFMTV, il a évoqué « l’insomnie totale, l’agitation anxieuse, les thèmes délirants, les hallucinations auditives » également rencontrés par Traoré jusque 48 heures avant le crime. L’homme « se croit marabouté, il est persuadé que son beau-père veut l’empoisonner, que l’auxiliaire de vie de sa mère pratique sur lui des rituels vaudous, son agitation monte comme cela »

Alors que, parmi les Français, qui sont des consommateurs très réguliers de cannabis, « il y a extrêmement peu de troubles psychotiques, les effets attendus du cannabis n’étaient évidemment pas ceux là [par le meurtrier], ce n’est pas comme s’il avait pris du LSD. Ça fait 15 ans que cet homme fumait, essentiellement pour s’abrutir, ou s’endormir. Là il ne trouvait pas l’apaisement parce qu’il a démarré un trouble psychotique ».

« On s’imagine qu’il a fumé un peu ou beaucoup de cannabis et qu’il a démarré un état délirant, ce n’est pas du tout cela », a-t-il dit.


Couverture nauséabonde de Charlie-Hebdo



Albert Herszkowicz pour Memorial 98 

Articles et dossiers de Memorial 98 en lien avec ce texte (sur ce site et sur www.memorial98.org )

http://info-antiraciste.blogspot.com/2020/09/hyper-cacher-une-tuerie-antisemite-en.html

 http://www.memorial98.org/article-33829718.html  Ilan Halimi

http://www.memorial98.org/article-33829718.html (procès des assassins d'Ilan)

http://www.memorial98.org/article-32128459.html  (procès)

http://info-antiraciste.blogspot.com/2018/03/contre-lantisemitisme-et-tous-les.html

 http://info-antiraciste.blogspot.com/2018/10/terrorisme-antisemite-pittsburgh-le.html

 http://www.memorial98.org/article-vagues-d-attaques-neo-nazies-125553047.html

https://info-antiraciste.blogspot.com/2018/03/contre-lantisemitisme-et-tous-les.html

https://info-antiraciste.blogspot.com/2018/03/lassassinat-de-mme-mireille-knoll.html 

http://www.memorial98.org/2021/02/ilan-halimi-15-ans-depuis-sa-mort-mobilisation-contre-l-antisemitisme-et-tous-les-crimes-racistes.html


 

 

 

vendredi 16 avril 2021

Ghetto de Varsovie: 18 et 19 avril, hommage aux insurgés-es qui défièrent les nazis

Nous vous appelons à participer à l'hommage organisé par le Réseau d'Actions contre l'Antisémitisme et tous les Racismes (RAAR) et de nombreuses associations et personnalités dont Memorial 98, le 18 et 19 avril: le dimanche 18 à 14 h sur la place de l'Hôtel de Ville de Paris. Ce rassemblement est déclaré et autorisé par la Préfecture et se déroulera dans le strict respect des précautions sanitaires

Il est suivi le 19 avril à 19h 30 d'une conférence en ligne/Webinaire avec l'historienne Audrey Kichelewski, co-directrice de la Revue d'Histoire de la Shoah.

Participation libre avec inscription obligatoire par mail à l'adresse suivante:  raar.ghetto.varsovie.2021@gmail.com

Venez nombreux-ses honorer la mémoire des insurgé-es et réaffirmer notre détermination à lutter contre l'antisémitisme et tous les racismes (précisions ci-dessous)

Memorial 98

 



 

 

 

Le 19 avril, date du début du soulèvement du ghetto de Varsovie en 1943, symbolise l'extermination des Juifs d'Europe par les nazis

Elle est commémorée cette année dans les conditions particulières de la pandémie du Covid19, comme les autres génocides du 20e siècle, marqués chaque année en avril.
Nous participons ainsi à la commémoration du 27e anniversaire du génocide des Tutsi au Rwanda.
La pandémie donne d'ailleurs lieu à un déferlement de propagande antisémite et complotiste, reprenant les thèmes les plus archaïques et nauséabonds en la matière.  
La révolte d'avril 1943 se produisit dans les conditions terribles d'un ghetto déjà en partie vidé de ses habitants. 
En effet, depuis le 23  juillet 1942, jour après jour, cinq à six mille personnes étaient emmenées par les nazis, du ghetto vers la "Umschlagplatz"  ou "place du transbordement" puis déportées vers le camp d'extermination de Treblinka. 
 
Le début du ghetto

                      L'enfermement dans le ghetto.

 
Le ghetto de Varsovie a été instauré le 12 octobre 1940, date qui correspondait cette année-là à la grande fête juive de Yom Kippour.
Les nazis, dans leur rage antisémite, utilisaient souvent les dates des fêtes religieuses juives afin de procéder à des persécutions particulières ou de marquer leur "connaissance" du judaïsme.
Les nazis annoncèrent à la population juive qu'elle devait déménager dans ce "quartier juif" exigu qui fut ceint de barbelés. Le 16 novembre, on y transfère de force les Juifs, soit un tiers de la population de la ville, qui doivent se concentrer sur sur 2,4 % de sa superficie : 450 000 personnes sont alors coupées du reste du monde.
   
L"Aktion" comme l’appelaient les nazis, de déportation vers la mort, débuta le 22 juillet 1942. Cette date correspondait au jour de Tish'a Beav, qui commémore par le deuil et le jeûne la destruction du Temple juif de Jérusalem par l'armée romaine en l'an 70 de notre ère.
 
Chaque 22 juillet à Varsovie, une marche démarre du monument de l'"Umschlagplatz", lieu d'où partaient les convois de déportés puis parcourt l'ancien espace du ghetto, dont il ne subsiste strictement rien.
Elle se termine devant le centre culturel et de mémoire dédié à Emmanuel Ringelblum, héroïque historien du ghetto et animateur du réseau "Oneg Shabbat" qui en préserva la mémoire. 

 

Une révolte préparée

 

La déportation des Juifs de Varsovie s’inscrivait dans le cadre de la plus vaste "Aktion Reinhardt", organisée par les nazis en Pologne occupée; celle-ci inclut la construction des camps d'extermination de Belzec (mars 1942), Sobibor (mai 1942) et Treblinka (juillet 1942). 
Ce dernier camp joue un rôle particulier dans l'extermination des Juifs de Varsovie. 280 000 Juifs déportés de la capitale polonaise y seront assassinés. 
 
L'Aktion de Varsovie prit fin temporairement le 21 septembre suivant, à nouveau durant le jour de la plus importante fête juive, Yom Kippour.
Après cette grande déportation, le ghetto de Varsovie est réduit à un camp de travail où 36 000 Juifs survivent officiellement et où 20 à 25 000 clandestins se cachent. Son sursis tenait d’une part à la pénurie de main-d’œuvre gratuite dont l'administration nazie voulait disposer, et d'autre part à la nécessité d’une pause afin de recenser et d’expédier vers le Reich les biens volés dans le ghetto. 
 
Quelques jours après le début de la déportation de juillet, la résistance juive s’unifia dans un « Bloc antifasciste » et se dote d’une branche armée, l’Organisation juive de combat (OJC), fondée le 28 juillet 1942. Cette démarche déboucha plusieurs mois plus tard sur le soulèvement du ghetto
Les premières opérations de l'OJC furent dirigées contre les responsables de la "police juive" et autres collaborateurs.
 
En janvier 1943, une seconde Aktion visant à liquider le reste du ghetto fut interrompue par les nazis eux-mêmes au bout de quatre jours, face à la résistance et au fait que la population se cache dans un réseau souterrain creusé durant des mois.
Heinrich Himmler, en déplacement à Varsovie, ordonna alors la destruction du ghetto et de ses habitants. Au même moment le ghetto de Cracovie est liquidé en Mars 1943.
 
 
Le 19 avril 1943, correspondant cette année là au début de la fête juive de Pessah,  les unités SS chargées de liquider le ghetto sont repoussées par les combattants. Ceux-ci ne disposent que de quelques revolvers et grenades. Quand le millier de soldats allemands pénètrent en force dans le ghetto, les résistants les attendent  barricadés dans leurs bunkers et leurs caves. Au nombre de 1000 environ, ils sont regroupés principalement dans l'Organisation des Combattants Juifs, (OJC, ZOB en polonais) commandée par le jeune Mordehaï Anilewicz, membre de l’organisation de jeunesse Hachomer Hatzaïr.
Dès l’invasion de la Pologne par les nazis, Anilewicz avait  rejoint avec des membres de son groupe l’est de la Pologne, pour aider à retarder l'avance allemande. Après l'invasion de ces régions orientales de la Pologne par les armées de Staline, à la suite du pacte germano-soviétique, les Soviétiques l'arrêtent et l'emprisonnent. Il est libéré peu de temps après, et retourne alors à  Varsovie
 
 
Face à l'insurrection, le commandant allemand est relevé de ses fonctions, le général SS Jürgen Stroop lui succède. Il est lui-même est pris de court par la rébellion des "sous-hommes" ainsi que les nazis qualifiaient les Juifs. Dès lors, les troupes SS vont incendier systématiquement les immeubles et propulser du gaz dans les souterrains afin d'en déloger les résistants. 
Ces derniers vont tenir pendant un mois, malgré leur très faible niveau d'armement et de nourriture. Plus de deux mille SS, soutenus par de l‘artillerie et des blindés, incendient le ghetto, maison après maison. Les Juifs sont asphyxiés, carbonisés, enterrés vivants dans les abris où ils sont retranchés. 
Six mille Juifs présents dans le ghetto trouvent la mort dans les combats ou se suicident. Sept mille sont fusillés sur place. Les autres sont déportés. Une poignée de miraculés échappe à la mort en s'enfuyant par les égouts.

Le 16 mai 1943, Stroop fait dynamiter la grande synagogue du ghetto. Il  annonce à Himmler : « Il n’existe plus de quartier juif à Varsovie. »
 
                                
Cette photo célèbre provient du rapport adressé par le général SS Stroop à Himmler  après l'écrasement de la révolte. Elle a donc été prise et diffusée dans le cadre de la propagande nazie.
Elle porte la mention " forcés hors de leurs caves" 
 
Le testament de Mordehaï Anilewicz
 
La rébellion se termine à la mi-mai. Mordehaï Anilewicz se suicide le 8 mai avec une partie de la direction de l'OJC ; il a 24 ans. 
 Le 23 avril 1943, il avait écrit dans une dernière lettre :
«Les Allemands ont fui par deux fois du ghetto. L'une de nos compagnies a résisté 40 minutes et une autre s'est battue pendant plus de six heures... Nos pertes en vies humaines sont faibles et ceci est également une réussite...
Grâce à notre radio, nous avons entendu une merveilleuse émission relatant notre lutte. Le fait que l'on parle de nous hors du ghetto nous donne du courage.
Soyez en paix, mes amis de l'extérieur ! Peut-être serons-nous témoins d'un miracle et nous reverrons-nous un jour. J'en doute ! J'en doute fort !
Le rêve de ma vie s'est réalisé. L'auto-défense du ghetto est une réalité. La résistance juive armée et la vengeance se matérialisent. Je suis témoin du merveilleux combat des héros juifs...»

 
Quelques jours plus tard, le 12 mai, Szmuel Zygielbojm, représentant du mouvement ouvrier juif Bund dans le gouvernement polonais en exil à Londres, se suicide dans cette ville.
Il proteste ainsi contre l’inaction des gouvernements alliés, dûment avertis de la situation en Europe de l'Est et notamment en Pologne.
Lui-même avait alerté publiquement sur l'extermination en cours.
Il laissa une lettre dont voici des extraits :
« Derrière les murs du ghetto se déroule à présent le dernier acte d’une tragédie sans précédent dans l’Histoire. La responsabilité du forfait consistant à exterminer la totalité de la population juive de Pologne retombe au premier chef sur les exécutants; mais, indirectement, elle rejaillit également sur l’humanité tout entière. Les nations et les gouvernements alliés n’ont entrepris jusqu’ici aucune action concrète pour arrêter le massacre. 
En acceptant d’assister passivement à l’extermination de millions d’êtres humains sans défense - les enfants, les femmes et les hommes martyrisés - ces pays sont devenus les complices des criminels.[...]. Mes camarades du ghetto de Varsovie ont succombé, l’arme au poing, dans un dernier élan héroïque. Il ne m’a pas été donné de mourir comme eux, ni avec eux. Mais ma vie leur appartient et j’appartiens à leur tombe commune. Par ma mort, je désire exprimer ma protestation la plus profonde contre la passivité avec laquelle le monde observe et permet l’extermination du peuple juif.

Je suis conscient de la valeur infime d’une vie humaine, surtout au moment présent. Mais comme je n’ai pas réussi à le réaliser de mon vivant, peut-être ma mort pourra-t-elle contribuer à arracher à l’indifférence ceux qui peuvent et doivent agir pour sauver de l’extermination — ne fût-ce qu’en ce moment ultime — cette poignée de juifs polonais qui survivent encore. Ma vie appartient au peuple juif de Pologne et c’est pourquoi je lui en fais don… »
 (Londres, mai 1943)

Nos pensées vont vers les victimes de cette extermination et vers ceux qui au cœur des ténèbres, entamèrent la préparation de leurs actes héroïques qui apparurent au grand jour dans les mois qui suivirent. 
 
 

Soixante-dix-huit ans après les déportations de Varsovie, le nazisme est défait mais son héritage et ses nostalgiques sont plus que jamais à combattre.
Ses héritiers rêvent toujours de massacrer des Juifs comme le montrent les attentats récents dans les synagogues de San Diego, PittsburghHalle
En Pologne même, l’antisémitisme et le racisme sont fortement stimulés par le pouvoir de droite radicale du PiS. Celui-ci a franchi une nouvelle étape dans sa tentative visant à réécrire l’histoire du pays.
Il a promulgué en février 2018 une loi sur la "mémoire". Sous prétexte de mise en cause du terme "camp de la mort polonais", le texte menace de prison quiconque évoque la collaboration de Polonais avec le nazisme, 
voire le massacre des Juifs de Jedwabne, perpétré par leurs voisins polonais. Les protestations se sont multipliées dans le monde entier mais à ce jour le pouvoir maintient l’arme révisionniste de cette loi. Le premier ministre israélien Netnayahou s’est en revanche compromis dans un accord avec le gouvernement polonais, contre l’avis des responsables du mémorial de Yad Vashem. 
 
Des propagandistes de la haine déversent des flots de propos complotistes et racistes, grâce à la complaisance des grandes plates-formes et à l'indulgence de juges qui les protègent en reculant devant l’application des lois limitant le négationnisme, comme dans le cas de Soral et Dieudonné
L'extrême-droite parrainée et soutenue par Trump avant sa défaite et Poutine, pèse lourdement dans de nombreux pays d’Europe. 
En France, Allemagne AutricheHongriePologneItalieGrande-Bretagne, Estonie, les nostalgiques et racistes de tout poil sont à l'offensive et pour certains déjà installés au pouvoir. 
 
Nous en appelons plus que jamais au combat contre les idéologies et actes racistes et antisémites,  quels que soient leur prétextes, ainsi que pour la mémoire des génocides et crimes contre l'humanité
 
Memorial 98
 
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