mercredi 11 novembre 2020

Algérie: le référendum boycotté marque une victoire de la mobilisation du Hirak

 

           Une des manifestations du Hirak

Les résultats du référendum organisé en Algérie le 1er novembre et portant sur la nouvelle constitution sont limpides: le " oui" l’emporte, certes, avec 66,80%, mais 5 586 256 millions de citoyens seulement se sont exprimés sur 24 millions de votants potentiels, soit un taux de participation de 23,70 % au scrutin et 76,30 % d’abstentions. Il s'agit du plus mauvais taux de participation jamais enregistré depuis l’indépendance.

Pendant la période la période du prétendu "socialisme algérien" à la Houari Boumediene les scores aberrants aboutissaient à 99% de votants et d’approbations du régime.

Contrairement aux attentes des promoteurs de ce projet, ce scrutin n'a pas été ce " festival démocratique " répété plusieurs fois par jour par les médias audiovisuels publics aux ordres. Les électrices et les électeurs ont, en dernière analyse, donné une réponse défavorable aux desseins du pouvoir en place. Ce pouvoir avait prétendu promettre de
"satisfaire ce qui reste des revendications du Hirak engagé le 22 Février 2019 “.

Le Hirak ( mouvement en arabe), grand soulèvement démocratique a débuté à cette date lorsque des dizaines de milliers d'Algérien.ne.s descendent spontanément dans les rues du pays pour protester contre la perspective d'un 5e mandat du président sortant Abdelaziz Bouteflika.

 A 80 ans, le chef de l'État malade, et son entourage prévoyaient une nouvelle candidature imposée  au scrutin prévu en avril 2019 . Rapidement, pourtant, il fut poussé vers la sortie et l'armée reprend totalement la main, à travers son chef, le général Gaïd Salah. S'ensuivit une série d'arrestations dans l'entourage de Bouteflika et le report, à deux reprises, du scrutin présidentiel. Pourtant, les manifestations se poursuivirent avec une revendication centrale: "la fin du système". Une présidentielle largement rejetée, le 12 décembre 2019, portera au pouvoir Abdelmadjid Tebboune. Quant aux manifestations du Hirak, elles se poursuivirent chaque vendredi jusqu’à l’arrivée du Covid.

 A l'est, à l'ouest et au sud le peuple dans sa grande masse a tourné le dos aux urnes lors du référendum. En Kabylie, où le Hirak a débuté, l'opération a carrément été annulée dans l'écrasante majorité des communes alors même qu'un point important pour les berbérophones figurait dans la le texte de la nouvelle constitution.

A travers ce geste, les AlgériennEs ont adressé un message clair, net et sans bavure à l'éternelle et insupportable alliance malfaisante de l’armée, ses généraux, ses sinistres "services”, ses prisons avec l'oligarchie prédatrice et corrompue.

Tous les secteurs de ce peuple : chômeurs, précaires, travailleurs, fonctionnaires, personnes vivant de "l'informel “, fonctionnaires, médecins, avocats, magistrats ont clairement montré leur impatience.

L'ensemble de cette population réarmée moralement, remobilisée par et dans le Hirak réclame un " sérieux changement démocratique " l'instauration d'un véritable Etat de droit avec une vraie séparation des pouvoirs, une " justice juste" ' (propos d'un passant entendu à la radio au cours d'un micro- trottoir). Les gens veulent voir leur " glorieuse Armée Nationale Populaire " ne pas faire de politique," rentrer et rester dans les casernes ou stationner aux frontières, ça serait le vrai travail des généraux " (micro-trottoir aussi).
Le pouvoir vient de perdre une importante bataille : celle de la participation, donc celle de la légitimité.
Les généraux, les puissants services secrets, l'oligarchie corrompue voulaient faire oublier les tristes années Bouteflika devenue momie, c'est à dire réparer le handicap de la présidentielle du 12 Décembre 2019. Ce dernier mandat avait submergé de honte la population toute entière, se rendant bien compte que ce pays était la risée du monde entier. Bref, on se devait de donner un nouvel élan à la " Nouvelle Algérie »

Mais d'autres ont perdu, aussi, une très grande bataille : ce sont les partis islamistes. Ils ont fait campagne pour le Non sur des bases ultra-réactionnaires. Selon eux le texte de la nouvelle constitution aurait un "contenu beaucoup trop laïc" et donc " mettrait gravement en péril la figure et la personnalité profonde de l’Algérie ". 

Surtout la langue amazighe ( berbère) est enfin reconnue comme langue nationale (donc enseignée et apparaissant dans les textes publics et officiels) et figurera dans la liste des huit points intangibles et ne pouvant être effacés. Il s'agirait d'une liste d'items ne pouvant être amendée. Ils ont aussi perdu la bataille de l'alphabet car pour ces formations politiques, les caractères arabes devaient prévaloir. Ces partis ont été finalement incapables de mobiliser leurs troupes sur leurs deux sujets de prédilection. La base de ces partis islamistes a été démoralisée, parce que corsetée et quasi immobilisée par des programmes et une idéologie s'étant heurtée frontalement au furieux torrent du Hirak.

Le pouvoir, avec ses nombreux services de renseignement, ses mouchards, ses infiltrés, ne méconnait pas les effets d'une mobilisation soutenue sur le long terme. Il sait qu'il a perdu une bataille. Comment va-t-il réagir ? De nombreuses arrestations de militant-e-s ont eu lieu au lendemain du référendum.
Crise économique, baisse du prix du pétrole et donc du gaz naturel qui induit une baisse de la rente pétrolière, pandémie Covid 19, crise permanente du logement, ou en est le contingent et la couche des sous-officiers de l'armée ? Tebboune choisi comme président par l’État-major de l'armée, fera t il encore l'affaire longtemps ? Telles sont les données et les questions
lancinantes posées à ce pouvoir chancelant.

Les réponses sont essentiellement dans la capacité du Hirak à perdurer.

Des grèves ont déjà éclaté dans plusieurs secteurs de l’industrie. En outre, à la suite du viol d'une autre jeune femme suivie d'assassinat, une mobilisation de femmes contre les féminicides en Algérie s’enracine. Le mouvement né le 22 février 2019 dans lesquelles les femmes et la jeunesse ont pris une place déterminante n'a pas fini de produire ses effets.


NB : les groupes de mots ou mots placés entre guillemets sont des éléments tirés de la presse ou des propos tenus et/ou entendus lors des micros-trottoirs de radios francophones ou encore des éléments de langage du pouvoir .

Les campagnes électorales jouissent maintenant d'assez grande liberté .C'est ensuite que cela peut se gâter.

Philippe Chamek pour Memorial 98

PS : les journaux : El Watan, Le Soir d'Alger, le Matin d'Algérie, les chaines de radio publique : Alger 3 et Alger 2 m'ont aidé à écrire cet article.

 

Voir les dossiers de Memorial 98 sur l'Algérie, sur ce site et sur http://www.memorial98.org/ :

 

http://info-antiraciste.blogspot.com/2020/07/colonialisme-que-signifie-la.html ( restitution de corps de combattants algériens) 


http://www.memorial98.org/article-17-octobre-1961-un-massacre-colonial-120574236.html 

 


 
 
 

 
 

 

 

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