dimanche 12 juillet 2020

Srebrenica: 25 ans près le dernier génocide du vingtième siècle, des attentats d'extrême-droite commis en son nom.


                                     Au cimetière de Potocari



Le dernier génocide du vingtième siècle, qui en connut tant, a eu lieu à Srebrenica en Bosnie à partir du 11 juillet 1995, un an après le génocide des Tutsi au Rwanda.


Les  conséquences de ce génocide continuent à résonner 25 ans après, dans la région des Balkans mais également dans le monde entier.
Génocides et crimes de guerre motivent et inspirent la poursuite des actes de violence raciste
Le négationnisme est un terreau fertile pour des nationalistes et des mouvements d’extrême droite, avec pour cible principale les communautés musulmanes. « Les extrêmes droites et les néonazis partout dans le monde ont repris le discours de Karadzic et  Mladic ( chefs serbes génocidaires condamnés) , sur comment combattre l’islam et ceux qu’ils considèrent comme des “barbares”, des “sauvages” 
De la même manière les nostalgiques d'Hitler et du nazisme tuent encore des Juifs au nom de cette idéologie dans les synagogues de Pittsburgh et de Halle.
La version négationniste serbe de l’histoire de l’ex-Yougoslavie est ainsi très présente dans les déclarations d'Anders Breivik, auteur des attentats contre les jeunes militants travaillistes à Oslo et Utoya, en Norvège en juillet 2011, ou de Brenton Tarrant, responsable des attaques contre des fidèles musulmans dans deux mosquées de Christchurch, ayant fait 51 morts en Mars 2019.
Dans son texte « 2083 : Une déclaration européenne d’indépendance », Breivik étale au fil des 1500 pages une véritable obsession pour les Balkans et ne cache pas sa fascination pour certains chefs de guerre serbes. Il appelle à expulser d’Europe les Bosniaques musulmans et les Albanais ou, s’ils refusent, à les anéantir par des moyens militaires.
Brenton Tarrent, son imitateur, est obsédé par la croisade des nationalistes serbes contre les Musulmans de Bosnie.
 Tarrant, qui s’est affirmé « véritablement inspiré » par Breivik, s’est filmé roulant vers la mosquée Al-Noor, où il allait tuer 51 fidèles musulmans, en train d’écouter une chanson serbe à la gloire de Radovan Karadzic. Initialement intitulée Karadzic, Lead Your Serbs (Karadzic, commande tes Serbes), elle est devenue populaire sur les sites Internet des extrêmes droites occidentales sous le titre Remove Kebabs qui signifie, dans le langage de ces militants, Supprimons les musulmans.
 
Un négationnisme qui vient de loin:
Le phénomène du déni n’a rien de nouveau: il commence même le plus souvent au moment où le crime est commis, voire en amont.
C’est le cas de tous les génocides et crimes contre l’humanité. L’exemple de la Shoah est connu puisque les nazis furent les premiers négationnistes de ce génocide en travaillant à effacer les traces de leurs méfaits par l’exhumation et le brûlage des cadavres.
Dans le cas de Srebrenica, le déni a procédé dans le même esprit avec la volonté de masquer le crime: des centaines de cadavres ont été déterrés pendant des mois des fosses communes originelles pour être enterrés ou éparpillés ailleurs. Cela conduit à un deuil particulièrement traumatique pour les familles des victimes.

   Des mères et veuves de Srebrenica dans un acte symbolique avec 8000 tasses de café

Ainsi Fatima Mujic récite plusieurs fois par jour la prière des morts, pour ses fils et son mari tués à Srebrenica.
Mais elle hésite chaque fois en pensant à Refik, l'aîné, dont le corps n'a pas été retrouvé, 25 ans après le massacre.
"Je pense toujours qu'il est vivant quelque part. Pour les autres, je sais, mais quand je prie pour lui mes mains se mettent à trembler, je ne sais pas quoi faire", raconte cette veuve.
Deux de ses trois fils et son mari, dont les restes ont été retrouvés dans des fosses communes après la guerre, ont été enterrés en 2010 dans le centre mémorial proche de Srebrenica, où reposent à ce jour 6.643 victimes du massacre du mois de juillet 1995.
Les forces serbes bosniennes du général Mladic, condamné à perpétuité par la justice internationale, avaient alors tué plus de 8.000 hommes et adolescents bosniaques (musulmans).
Ce massacre  a été qualifié d'acte de génocide par la justice internationale et l’ONU .
Les corps de mille personnes sont toujours recherchés.
Fatima Mujic, 75 ans, habite aujourd'hui Ljesevo, un village proche de Sarajevo. Elle dit "vivre pour l'appel" qui lui annoncera que les restes de Refik ont été retrouvés. Il avait 25 ans, une fille de 18 mois et un garçon âgé de 40 jours.
Mais les dernières des 84 grandes fosses communes ont été découvertes en 2010.

"Maman, ne me laisse pas"

Depuis juillet 2019, "les restes de treize victimes seulement ont été retrouvés". 
Lors du 25e anniversaire du massacre samedi 11 juillet, Fatima se souvient de son "combat" devant la base des forces de l’ONU à Potocari, près de Srebrenica, où se trouve aujourd'hui le Mémorial du génocide, pour  sauver son plus jeune fils, Nufik, âgé de 16 ans.
Des milliers de femmes, d'enfants et de vieillards surtout s'étaient massés là, le 11 juillet 1995, dans l'espoir d'être protégés par les soldats néerlandais de l’ONU.
Les soldats serbes séparaient les hommes et les adolescents des autres, et les amenaient à l'exécution.
Nufik "s'était accroché à moi et m'a dit Maman, ne me laisse pas  J'ai caressé ses cheveux bouclés. Je ne te laisserai pas. Ils l'ont pris, je les ai suivis. Je ne sais pas s'ils m'ont frappée, je ne me souviens plus de rien", raconte Fatima.
Ses deux autres fils et son mari, qui avaient fui par les collines boisées, ont été capturés et tués.

Un génocide planifié

Dès le mois de mars 1995, un ordre est signé par le chef des Serbes de Bosnie Radovan Karadzic à l'intention du chef militaire Mladic. C'est la fameuse "directive n° 7"  qui ordonnait aux soldats bosno-serbes de « créer une situation insupportable d’insécurité totale sans aucun espoir de survie ou de vie pour les habitants de Srebrenica ».
Le 11 juillet 1995, alors que les milices serbes de Bosnie approchent de l'enclave de Srebrenica, des dizaines de milliers de civils musulmans prennent la route de Potocari, à 8 kilomètres de distance de la ville. C'est là qu'est basé le quartier général du bataillon néerlandais de soldats de la (Force de protection des Nations unies (Forpronu). Quatre cent cinquante casques bleus y sont chargés d'assurer la protection des quelque 40 000 habitants de Srebrenica, en majorité des Musulmans 
Parmi les réfugiés du camp néerlandais, il y avait le traducteur du bataillon, avec toute sa famille (père, mère et petit frère), et l’électricien. Le 13 juillet, l’électricien et le petit frère du traducteur furent chassés du camp par les militaires néerlandais. Le père du traducteur les suivit. Les trois hommes furent massacrés avec les autres, et à la fin de la guerre, leurs proches déposèrent une plainte contre le gouvernement des Pays-Bas.
Quand les miliciens serbes de Bosnie commencent à séparer les hommes des femmes, les soldats néerlandais le voient et laissent faire. Les hommes sont entassés dans des cars et seront exécutés. 8.000 hommes ont été tués et jetés dans les fosses communes par les forces serbes. Ce massacre a été, à juste titre, qualifié de génocide par la Cour Internationale de Justice et par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY). L'ordre écrit donné en amont plusieurs mois en avance, puis sa réalisation par le tri et la séparation des hommes ainsi que leur extermination massive, "industrielle", portent les caractères du génocide.
Parmi les hommes qui ont choisi de se placer sous la protection des Nations unies, pratiquement aucun n'a survécu. Seuls ceux des habitants de Srebrenica qui se sont réfugiés dans les forêts ont eu un peu plus de chances de survie.
Le mandat de l'ONU en Bosnie prévoyait pourtant clairement un recours à la force en cas de besoin. Le 10 juillet, la veille du massacre, le commandant du bataillon néerlandais avait demandé au général français Bernard Janvier, qui assumait le commandement militaire des Nations unies en ex-Yougoslavie, de lancer des frappes contre les forces serbes de Bosnie. Mais il n'a pas été entendu.
 
Les Nations unies ont reconnu leur responsabilité dans le massacre de Srebrenica en 1999. Un rapport présenté par son secrétaire général d'alors, Kofi Annan, reconnaissait alors la « faillite de la politique dans des zones de sécurité ».
Le rapport ajoute : « La communauté des nations, en décrétant un embargo sur les armes, a laissé les Serbes dans une position de supériorité militaire écrasante et a, en fait, privé la République de Bosnie-Herzégovine de son droit de légitime défense, consacré dans la Charte des Nations unies ». « La fourniture d'une aide humanitaire n'était pas une initiative suffisante face aux opérations de ´´nettoyage ethnique´´ et de génocide ». « Srebrenica a été le révélateur d'une vérité que l'ONU et le reste du monde ont comprise trop tard, à savoir que la Bosnie était une cause morale autant qu'un conflit militaire. La tragédie de Srebrenica hantera à jamais notre histoire ». Comme au Rwanda mais aussi au Sri-Lanka, autres lieux de faillite de l'ONU.

Un négationnisme qui vient d’en haut

La Bosnie a été divisée après la guerre en deux entités, la Republika Srpska  ( RS serbe) et la Fédération croato-musulmane. Les musulmans de Bosnie ont demandé à plusieurs reprises le démantèlement de la RS, fondée à la suite d'un génocide.
Milorad Dodik, chef des Serbes de Bosnie dans cette RS,  qui règne par la haine et la corruption, a décrété en 2017 qu’il était interdit d’évoquer dans les manuels scolaires de son entité le génocide de Srebrenica et le siège de Sarajevo, parce que ces événements « ne sont pas vrais ». Il pense ainsi garantir la poursuite des sentiments de haine auprès des jeunes. Il a qualifié l’année suivante les tueries de Srebrenica de « tragédie mise en scène pour sataniser les Serbes ». Ces dernières années, des monuments, plaques, peintures murales et graffitis à la gloire de Karadzic et Mladic fleurissent plus que jamais en territoire serbe. 


       En territoire Serbe, le terme génocide a été effacé de cette plaque à coups de burin

Ce 11 juillet 2020, quelques heures après la cérémonie en hommage aux victimes au cimetière-mémorial de Srebrenica, un contre-hommage était organisé à Bratunac, à quelques kilomètres de là, à la gloire du général Mladic. Déni contre vérité.
Amor Masovic, qui dirige l’Institut pour les personnes disparues de Sarajevo et recherche depuis vingt-cinq ans les charniers et les cadavres des victimes de la guerre, estime que « l’étape finale d’un génocide est supposée être le déni, or, aujourd’hui, ils ont ajouté encore une étape supplémentaire : le triomphalisme. C’est comme si la race supérieure n’avait rien fait de mal, puisqu’elle est la race supérieure. Des criminels de guerre libérés sont élus maires et parlementaires, en République serbe et en Serbie. Ils ont compris qu’il n’y aurait aucune conséquence sur la scène internationale. Cette absence de réaction a conduit au déni, puis au triomphalisme ».
Les gouvernements occidentaux portent en effet une lourde responsabilité dans le développement du négationnisme en ne sanctionnant pas ses manifestations.
L’académie du prix Nobel de littérature a quant à elle choisi de l’attribution du prix Nobel de littérature en 2019 à l'écrivain autrichien Peter Handke.
Le fait de décerner une récompense aussi prestigieuse à un proche ami de Milosevic (initiateur de la guerre de purification ethnique),  auteur de divers ouvrages contestant la réalité des guerres yougoslave a été ressentie comme une agression par la communauté bosniaque musulmane victime de la guerre, par la communauté sarajévienne ayant lutté pour défendre la coexistence intercommunautaire, et plus généralement par tous ceux qui combattent le négationnisme.
L’écrivain Aleksandar Hemon,  exilé de Sarajevo qui vit aux Etats-Unis, pense que « la ligne directrice en Europe occidentale est l’islamophobie. Handke fait partie de cette culture qui se sent supérieure aux Bosniaques musulmans et à tous les musulmans. Les jurés sont des hypocrites. Ce prix Nobel est islamophobe et fait partie de l’essor de l’extrême droite en Europe et aux Etats-Unis ».

Nos pensées vont aux victimes du génocide de Srebrenica, à leurs familles marquées à jamais et dont la souffrance est entretenue et intensifiée par le négationnisme. Nous rendons aussi un hommage particulier aux militantEs serbes qui luttent pour la justice et la reconnaissance du génocide, dans des conditions particulièrement difficiles. C'est le cas notamment des "Femmes en noir", une association pacifiste dont la branche serbe fut créée au début des guerres de Yougoslavie et qui organise des rassemblements commémoratifs. C'est le cas aussi de l’association de jeunes "Youth Initiative for Human Rights" (YIHR) qui a mené dès 2005 une première campagne de sensibilisation en occupant la moitié des panneaux d’affichage de Belgrade. On y voyait s’étaler des photographies des victimes de Srebrenica accompagnées des mots : « Pour voir, pour savoir, pour se souvenir. »

Pour faire face au négationnisme et à ses conséquences mortifères, les familles de Srebrenica, les Bosniaques, les combattants contre le négationnisme en Serbie, ont  plus que jamais besoin de la solidarité de l'opinion internationale, afin de bâtir un autre futur.




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