lundi 17 avril 2017

Comment va la santé ? Récit d'accompagnements de réfugiés.






Des regards nostalgiques.

Selon leur pays d'origine, ils ont transité par le Mali, la Lybie, l'Algérie, l'Italie, en bus puis en bateau. Un voyage cauchemardesque, au péril de leur vie.
Ils, ce sont ceux que l'on nomme migrants. Ils fuient la guerre et la misère. Ils font peur, on les rejette. On oublie que ce sont des hommes, des femmes et des enfants. A la merci des passeurs, beaucoup se noient, ou finissent par arriver épuisés, encore porteurs de l’espoir  d'une vie meilleure.
Le gîte et le couvert dans un centre d'accueil parisien, pour quelques jours, en attendant de régulariser leur situation. Ces gens ont un peu d''argent et pas de papiers. Ils espèrent les obtenir dans le cadre du droit d'asile, malgré les obstacles accumulés par les pouvoirs publics. Le fonctionnement du centre n’est pas satisfaisant, comme le notent les associations , de nombreux réfugiés ne peuvent pas y accéder. 

Accompagnement pour des consultations médicales
Je les accompagne pour des consultations médicales. A mon arrivée dans le centre, un bonjour collectif à tous ces hommes assis les uns à côté des autres, tout juste réveillés.
Je m’adresse à celui que je vais conduire afin de soigner une rage de dents, des maux de gorge ou autres.
Une poignée de main, un sourire, nous échangeons nos prénoms. Simple et réconfortant pour ces personnes qui ont tout abandonné. Ils connaissent un peu d'anglais, un peu de français, parfois ni l'un ni l'autre. La communication s'établit pendant le trajet ou sur place.

Tony, Moussa, Bala, Abebe...

Tony est un  jeune camerounais de seize ans et demi.
Il est en attente d'un rendez-vous avec la préfecture pour obtenir les papiers nécessaires à son accueil dans un centre pour mineurs. Il lui faudra passer par l'épreuve de son âge osseux, alors que cet examen est contestable, car basé sur des statistiques non fiables. Il dit avoir travaillé une année en Lybie avant de rallier l'Italie et la France. Dégourdi, il a une bonne connaissance de notre langue et de la géographie internationale. Il se plaint d'avoir mal à la poitrine, le médecin du centre de santé diagnostique des maux d'estomac. Son rêve, faire des études, voyager pour connaitre d'autres pays.

Moussa, vingt neuf ans, vient du Soudan. Il a mal aux dents. En route pour les urgences dentaires de la Salpêtrière. Les dentistes y sont en grève, en raison de leurs conditions de travail. Pas de soins donc, une radio quand même, grâce à la bonne volonté de la dentiste qui nous a reçus. Des médicaments pour calmer la douleur. Il parle et comprend un peu le français. Nous communiquons par gestes, avec des rires. Il déchiffre tout ce qu'il voit écrit. Il veut rejoindre un ami à Marseille et trouver du travail. Il se tient à distance, le temps du trajet ou dans la salle d'attente, comme avant lui un autre du même pays. Parce que je suis une femme ? Une marque de respect ? Du respect plus qu'ils n'en reçoivent.  


Aujourd'hui, ils sont deux. Le plus âgé est Afghan, accablé, s'est épanoui en reconnaissant un compatriote qui venait en consultation dans le centre médical où nous attendions notre tour. Le plus jeune  est Érythréen et parle anglais. Il rêve d'aller voir un match de foot au Stade de France.

Beaucoup de tristesse, quand j'ai conduit Bala, seize ans, aux urgences de l'hôpital Bichat. Originaire de Guinée Conakry, il n'a pas de papiers. Il dort dans la rue.
Désemparé, fatigué, courbé sur sa chaise, capuche sur la tête. Après une longue attente, il a fallu insister pour qu'il soit reçu. Ses maux de ventre ne sont pas considérés comme urgents. Il devrait être aidé par une assistante sociale, étant donné son âge. J'en ai informé la personne qui me l'a confié ce jour-là, bénévole, pour l’association Utopia. Installée aux abords du centre, celle-ci prend en charge les personnes sans abri. Le matin, elle sert des boissons chaudes et des sandwichs à la longue file d'hommes qui attendent, abattus par leurs conditions de vie.

Ce matin, c'est un homme de quarante sept ans que j'accompagne au service de dermatologie de l'hôpital Necker. Il s'appelle Abebe. Le Soudan, la Lybie, l'Italie, l'Allemagne avant d'arriver en France, il y a vingt jours. L'hôpital est en grands travaux de rénovation. Un vrai labyrinthe avant d'arriver au bon endroit. ˝La dermato de la précarité˝ nous attend, c'est ainsi qu'elle s'est présentée. Il s’agit de sa première consultation dans cet espace qui vient d'ouvrir. Abebe ne parle pas français, à peine l'anglais. Nous apprenons quand même qu'il a quitté l'Éthiopie en 2015. Difficile d'en savoir plus.  Elle lui a demandé de se déshabiller. J'ai voulu sortir, elle a insisté pour que je reste. Le visage d'Abebe est couvert de boutons. Cela le démange. Nous lui expliquons, tant bien que mal, qu'on va lui faire une biopsie. Pas de diagnostic précis ni de traitement en attendant le résultat. Retour au centre. Je n'ai pas eu le temps de lui dire au-revoir, il est parti déjeuner. Un interprète lui expliquera les détails de cette consultation et ses suites.

Un simple contact suffit à comprendre leur désarroi. Ils ne sont  venus ˝voler le pain des Français˝. Ils voulaient une vie meilleure pour eux et pour leur famille au pays mais n'ont pas mesuré les obstacles. Ayant réussi à rester en vie, ils se heurtent à de nouveaux écueils : la langue, le climat,  le vide de l'attente. Aller où ? Faire quoi ? Il n'y a plus de places dans les centres d'hébergement de France. Les personnes accueillies restent plus longtemps que prévu dans le centre d'accueil et c'est l'engorgement. Ils assistent à la manière dont la police traite leurs semblables. Il y a eu des violences pour chasser ceux qui organisent des campements à proximité, qui voudraient trouver refuge dans ce centre.
Comme toutes les personnes de leur âge, ces jeunes gens échafaudent des rêves (ils ont entre seize ans et la trentaine parfois plus) : faire des études, rejoindre un ami, travailler, et pourquoi pas, aller voir un match de foot. La réalité est toute autre. Il fait froid, ils ont souvent des problèmes de santé, loin de leur famille, ils sont comme orphelins. Un grand vide, dans l'attente d'être envoyé vers une destination inconnue y compris un retour au pays. De quoi ont-ils rêvé ?

Un film humaniste 

Quelques temps, après l'avoir accompagné, j'ai croisé Tony, dans mon quartier. ˝Je me promène˝, me dit-il sur un ton découragé. Lui, si enthousiaste un mois auparavant, est désenchanté. ˝Difficile˝. Telle est la conclusion de chacun d'entre eux, après quelques jours d'un séjour qu'ils n'avaient sans doute pas imaginé comme cela.

A la radio, à la télévision, le FN ressasse les mêmes croyances à faire peur :  «  Ils sont mieux lotis que les Français. Ils profitent d'un logement et de soins gratuits… »

Autour de moi, quand je dis que participe à cet accompagnement, il y a souvent un grand silence.  Culpabilité ? Indifférence ? Le monde manquerait-il d'humanité ?

Celle-ci se trouve pourtant dans le film ˝ L'Autre côté de l'espoir˝, du réalisateur finlandais Aki Kaurismäki.  Il faut aller le voir, et visionner également le  film " Fuocammare

E.L 

MEMORIAL 98


P

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