mercredi 5 février 2020

Allemagne: l'extrême-droite tente une alliance avec la droite et échoue.



                                         




4 mars: le pacte avec l'AfD balayé.

                      Bodo Ramelow (à gauche cravate bleue) refuse de serrer la main de Hoecke

Bodo Ramelow, candidat du parti de gauche Die Linke, soutenu par les sociaux-démocrates et les Verts, a été réélu président du Land de Thuringe ce 4 mars.
Les élus de la CDU ont été contraints de s'abstenir après leur faute, ce qui a permis l'élection au troisième tour de scrutin.
Les libéraux du FDP, qui avaient exécuté la manœuvre avec l'AFD, ont choisi de boycotter le scrutin .
A noter le geste fort de Ramelow qui a refusé de serrer la main tendue par Björn Hoecke ( ci-dessus), leader local de l'AfD et dirigeant de son aile nostalgique du nazisme 

Memorial 98


                                       
                                         Manifestation à Erfurt " Contre la haine "





15 février: manifestation en Thuringe contre le pacte avec l'AfD

Des milliers de personnes ont manifesté samedi 15 février à Erfurt, capitale de la Thuringe.
Quelque 18.000 personnes ont manifesté, selon les organisateurs, des ONG, artistes, syndicalistes et responsables politiques, unis dans le front #Unteilbar («indivisible» en français).
Les manifestants se sont retrouvés à la mi-journée dans le centre de la ville sous le mot d’ordre: «pas avec nous, pas de pacte avec les fascistes: jamais et nulle part!». Des banderoles proclamaient: «nous ne voulons pas de IVe Reich» ou encore «nous ne voulons pas le pouvoir à n’importe quel prix».
L’élection surprise le 5 février du "libéral" Kemmerich, grâce aux voix coalisées de la droite conservatrice et de l’extrême droite, avait déjà provoqué nombre de rassemblements spontanés dans toute l’Allemagne.
Signe de la tension dans tout le pays, plusieurs locaux du parti libéral FDP sont devenus la cible d’attaques dans toute l’Allemagne.
D’autant que l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), le parti d’extrême droite  compte bien continuer à dynamiter le jeu politique allemand. En Thuringe, les institutions restent ainsi paralysées depuis plus d’une semaine.
L’extrême droite menace désormais de porter ses suffrages, en cas de nouvelle élection à la tête de cette région enclavée, sur Bodo Ramelow. Cette personnalité de la gauche radicale était à la tête de la région jusqu’en 2019. Il refuse catégoriquement tout apport de voix de l’AfD.
Les partis hors AfD doivent se réunir lundi à Erfurt pour trouver une solution permettant de gouverner cette région.
 En Thuringe aussi, le dirigeant de la CDU, Mike Mohring ( voir ci-dessous), a annoncé vendredi son départ pour permettre une «pacification» du parti conservateur.
Certains responsables  de la CDU, en particulier dans les régions d’ex-Allemagne de l’Est, sont tentés par un rapprochement avec l’extrême droite, particulièrement puissante dans ces régions. 
Dresde
Cette mobilisation contre l’extrême droite intervient aussi en pleine commémoration de la libération des camps nazis et du bombardement par les Alliés de la ville de Dresde il y a 75 ans. Ce bombardement est commémoré chaque année par l'extrême-droite qui oppose cette mémoire à celle du génocide nazi.
Environ 1.500 militants néonazis, et autant de contre-manifestants, sont descendus dans la rue samedi, sous étroite surveillance policière, dans cette ville de Saxe pour une «marche funèbre» cultivant le mythe d’une «ville martyre», injustement sacrifiée par les Alliés.

Memorial 98

Mise à jour du 10 février: le séisme se poursuit, la présidente de la CDU contrainte à son tour de démissionner

Juste sanction: après le scandale de Thuringe, Annegret Kramp Karrenbauer (ci-dessus), cheffe de la CDU et "dauphine" d'Angela Merkel, est contrainte de démissionner de son poste à la tête du parti et ne sera pas candidate en 2021 pour devenir chancelière, comme il était prévu.
Elle n'a pas empêché la collaboration des élus CDU  de Thuringe avec les néonazis  de l' AfD.
Un membre du gouvernement nommé Christian Hirte a aussi été poussé vers la sortie après s’être ostensiblement félicité, dans un message publié sur Twitter, de l’élection de Thuringe
« La chancelière a proposé aujourd’hui au président fédéral le renvoi du secrétaire d’Etat Christian Hirte », a indiqué dans un communiqué le porte-parole d’Angela Merkel. Hirte était jusqu’ici secrétaire d’état au ministère de l' Economie et de l’Energie et, à ce titre, également commissaire du gouvernement aux États régionaux de l’est de l’Allemagne, chargé de coordonner la politique fédérale pour soutenir ces territoires toujours en retard économiquement sur l’ouest du pays.
Ce nettoyage doit se poursuivre, afin d'éradiquer toute velléité de collaboration avec l'AfD et ses idées. 
Cela n'a pas été fait en France. Ainsi Eric Woerth, ancien ministre et actuel  député dirigeant de LR, n'a jamais été inquiété pour sa collaboration prolongée avec le FN en Picardie lors des élections régionales de 1998 ( voir ici

MEMORIAL 98

 
Mise à jour du 6 février: le président de Thuringe contraint à la démission au bout de 24 H mais la crise demeure

Le mandat du président de l'état de Thuringe a duré à peine 24 h et 34 minutes. 


               Le 5 février, Kemmerich et Höcke (à droite) se congratulent après l'élection

Tout juste élu avec les voix des fascistes AfD , le " libéral" Kemmerich est contraint de démissionner face au scandale. Le développement des protestations et manifestations dans toute l'Allemagne a obligé le chef de son parti libéral à changer d'avis et à rétro-pédaler. Alors que celui-ci, nommé Lindner,  avait refusé hier de condamner l'élection, il s'est déplacé ce jour en Thuringe pour annoncer la fin de la présidence. Merkel avait également condamné l'élection " impardonnable" et appelé à de nouvelles élections. Le parti SPD commençait à agiter la menace d'une rupture de la coalition au pouvoir. 
La honte de Kemmerich, de son parti et des conseillers régionaux CDU de Thuringe qui ont voté pour lui  demeurent, pour avoir collaboré avec les néonazis. 

Ceux-ci vont maintenant pouvoir se présenter comme des victimes des "politiciens de l'Ouest" de l'Europe, des Juifs...




                          Sur la pancarte ci-dessus ces mots " Honte à vous"

 MEMORIAL  98

Un événement politique catastrophique se déroule en Thuringe: de nombreuses réactions et manifestations commencent à se dérouler sur place et dans toute l’Allemagne, notamment devant le siège du parti libéral FdP, qui bénéficie des votes de l'AfD.



    Manifestation devant le siège du Parlement régional à Erfurt ( sur la pancarte " Trahison des électeurs")

La direction de la CDU est contrainte de demander des nouvelles élections. Même le journal Bild  titre sur la poignée de main de la honte entre le nouveau président et le "nazi Hoecke"




De son côté, le dirigeant du parti libéral Christian Lindner refuse de se distancier de son représentant en Thuringe. Il utilise le prétexte habituel de ces alliances honteuses selon laquelle dans un tel vote à bulletins secret, c'est le résultat qui compte. Ce parti siège au Parlement européen dans le même groupe que le parti macroniste LREM intitulé " Renew Europe". Il est donc attendu que LREM exige le retrait du président de Thuringe élu par l'AfD et en cas de refus, l'exclusion de ce parti qui pactise ouvertement avec l'extrême-droite nazifiante.
Höcke et les autres dirigeants de l'AfD se réjouissent ouvertement de la réussite de leur manœuvre et appellent à un bloc de la droite dans toute l’Allemagne.

Un tremblement de terre politique et une digue qui se brise

Pour la première fois depuis l’après-guerre et la chute du nazisme, le président d’un des Lands (états fédéraux), la Thuringe, a été élu mercredi 5 février grâce aux voix de l’extrême droite.
Le candidat du Parti libéral-démocrate (FDP), Thomas Kemmerich, a été élu au troisième tour de scrutin par l’assemblée régionale de cet État de l’est de l’Allemagne. 
Son infime majorité est de 45 voix contre 44 mais elle lui donne la présidence. Il a bénéficié des voix de tous les élus du parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD), et de celles de la plupart des membres de l’Union chrétienne-démocrate (CDU), le parti de la chancelière Angela Merkel.
 Il a devancé d’une voix le ministre-président sortant de Thuringe, Bodo Ramelow, membre du parti de gauche  Die Linke, qui était, lui, soutenu par les sociaux-démocrates et les Verts.

Bodo Ramelow dont le parti de gauche  Die Linke est arrivé en tête des élections régionales avec 31% des suffrages, comptait se faire réélire à la tête d’un gouvernement minoritaire de gauche, pensant que les partis de la droite traditionnelle n’accepteraient jamais de s’allier à l’extrême droite. Jusqu’ici les partis de droite et de centre droit en Allemagne, comme la CDU ou le FDP,  ont en effet toujours refusé toute coopération ou alliance avec l’extrême droite.    
Mais les élus régionaux du parti libéral et de la CDU ont choisi de s’allier avec une délégation AfD ouvertement dominée par des éléments fascistes.
 
En effet le chef de file de l’AfD en Thuringe, Björn Höcke,  est le chef de la tendance la plus droitière du mouvement baptisée "l'aile" ( Flügel en allemand)
Ce courant a été « mis sous surveillance » par l’Office fédéral de protection de la Constitution (BfV), le service chargé du renseignement intérieur en Allemagne, ce dernier reprochant notamment aux partisans de Björn Höcke de « relativiser le national-socialisme dans sa dimension historique ».
Hoecke a été accusé, à juste titre, d’avoir préparé le terrain idéologique pour l’attentat antisémite de Halle le 9 octobre dernier, où un immense massacre dans un synagogue prévu par le terroriste néo-nazi  a été évité de peu, tout en faisant 2 morts. Ses déclarations contre la "repentance" des crimes nazis ont pavé la voie de cet acte terroriste.
Il a par exemple qualifié le Mémorial de la Shoah à Berlin de « monument de la honte »
 en déclarant « Jusqu’à ce jour, notre état d’esprit est celui d’un peuple totalement vaincu (…) nous Allemands, notre peuple, est le seul peuple au monde qui a planté au cœur de sa capitale un monument de la honte »
Il avait ensuite déclaré au Wall Street Journal : « C’est un grand problème de décrire Hitler comme le mal absolu, alors que nous savons que l’histoire ne s’écrit pas en noir et blanc." 
 « Pour moi, Höcke est un nazi », avait d’ailleurs déclaré lors de la campagne des régionales Mike Mohring,  tête de liste de la CDU  en Thuringe.  Il avait lui-même été menacé de mort par un mystérieux groupe de « musiciens de l’orchestre du Reich » dont l’e-mail se concluait par la formule « Sieg Heil und Heil Hitler ». Pour autant Mohring joue un rôle trouble dans cette crise. Il a organisé le vote des élus CDU avec l'AFD,  pour la candidat FdP après avoir rejeté catégoriquement l'installation d'un gouvernement minoritaire de gauche. 
Les autres thèmes de campagne de Björn Höcke  reprenaient les thèmes racistes chers à l’AfD, que ce soit pour dénoncer « l’africanisation et l’orientalisation qui menacent l’Allemagne » ou expliquer que « le multiculturalisme conduit au multicriminalisme », »



 Le choc de Thuringe se déroule six jours après l’anniversaire de l’accession d’Hitler au pouvoir le 30 janvier 1933 et dix jours après le soixante-quinzième anniversaire de la découverte et libération du camp d’Auschwitz le 27 janvier 1945. 
 
                                     Hitler est nommé chancelier le 30 janvier 1933
A cette occasion les dirigeants allemands avaient réaffirmé leur engagement dans la lutte contre la résurgence du racisme et de l’antisémitisme.
De plus c’est en Thuringe que pour la première fois le parti nazi (NSDAP)  a participé à une coalition gouvernementale au niveau régional en 1929, avant d’accéder au pouvoir en 1933.
Ces références historiques donnent la mesure de la gravité de ce qui se passe en Allemagne.

Il y a aussi une dimension particulière en France : en 1998, lors d’élections régionales, une partie de la droite a choisi de s’allier avec le Front national de Jean-Marie Le Pen et  Bruno Gollnish. Cela fut notamment le cas en Rhône-Alpes avec Charles Millon et en Picardie avec Charles Baur et Eric Woerth, encore dirigeant de LR. La voie avait été ouverte par Gaudin en région Paca dès 1986
Description : https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj2FMrZboBMPpstz9aNUh-suSa8lpX_xaQKfhy-NuSN6NNMAGOX8PVY2dMGuNMOx-pOlPOMVM0FEGfKUX0XsYPgjy2d0IUJySpCqpwjcwB66EIe_GTC5CWuu8AquP9eGvq619u4xtq3bS8/s320/MILLON-GOLLNISCH.jpg


Une importante bataille politique vint à bout de ces alliances sauf en Languedoc-Roussillon. Charles Millon fut hué et expulsé d' une commémoration de la mémoire des enfants juifs d'Izieu 
Vingt ans plus tard il est évident que la légitimation du FN par une partie de la droite renforça considérablement la crédibilité du parti d’extrême-droite. Les mêmes tentatives se déroulent d'ailleurs actuellement sous les auspices de Zemmour, Robert Ménard et Marion Maréchal.

D’autres exemples se sont produits en Autriche (Sträche) en Italie (Salvini), en Espagne avec Vox et montrent à quel point la droite radicale et l’extrême aspirent à trouver les moyens de gouverner ensemble.

Il est donc crucial qu’une mobilisation démocratique et antifasciste s’organise dans toute l’Europe afin de combattre la catastrophe de Thuringe. 

Memorial 98

voir de nombreux textes et articles de Memorial 98, notamment: