samedi 9 juillet 2016

Emmanuel Chidi Namdi, tué "involontairement" par l'extrême-droite ?

Du déroulement des faits ayant abouti à la mort d'Emmanuel Chidi Namdi, à Fermo, petite ville du centre de l'Italie, on sait déjà beaucoup : l'assassin Amedeo Mancini a d'abord traité de "singe africain" la compagne d'Emmanuel Chidi, ,une provocation délibérée. Lorsque le jeune homme a voulu y répondre, il l'a mis à terre, et continué à le tabasser , le frappant notamment et à plusieurs reprises à la tête, ce qui a entraîné la mort, quelques heures après le lynchage. 

Un crime raciste, de toute évidence.

On ne sera donc malheureusement pas étonné qu'il soit minimisé d'emblée. Le meurtrier, arrêté peu de temps après les faits vient d'être inculpé pour "homicide involontaire". 
Une nouvelle fois, l'incrimination pénale et donc l'orientation de l'enquête sont  au service de la défense du meurtrier, puisque d'emblée, le caractère volontaire de la mise à mort raciste est écarté. Non pas après un long travail de recoupement, mais juste après les faits, dont on ne voit guère pourtant, ce qu'ils présentent d'évidence concernant l'absence de volonté de tuer d'Amadeo Mancini.
Et d'autant plus quand le meurtrier n'a rien trouvé d'autre qu'une explication tout aussi raciste que le meurtre: le motif invoqué par Mancini pour ses insultes initiales est qu'il pensait qu'Emmanuel Chindi et sa compagne voulaient voler une voiture. 

De la même manière, celui-ci est présenté par la presse italienne d'abord comme un "ultra" de l'équipe locale de foot. Or avant toute autre chose,  Amadeo Mancini était un militant de base connu de l'extrême-droite locale. Qu'il exprime son militantisme aussi au travers de son identité de supporter est certes un élément important, mais la présentation médiatique d'un meurtrier raciste n'a rien de neutre, lorsqu'il s'agit de l'associer principalement au foot et au hooliganisme:, l'image du supporter violent , destructuré et imprévisible, quelle que soit son orientation politique, souvent réduite à l'expression d'un folklore totalement déconnecté de la "vraie " politique amène une nouvelle fois à éluder justement le contexte politique de ce meurtre. 

Pourtant, les représentants de l'association religieuse de Fermo qui hébergeait 'Emmanuel Chidi Namdi ont été très clairs dans leur parole publique: pour eux, Amadeo Mancini était de ceux qui entrainent les plus jeunes racistes à agir violemment. Et l'action violente , l'association la connaît bien: à plusieurs reprises des engins incendiaires ou explosifs ont été placés devant le centre d'hébergement.

Une violence politique raciste qui se structure aussi de manière légale: Amadeo Mancini était apparemment connu pour assurer le service d'ordre et la claque des premiers rangs lors des meetings locaux de la Ligue du Nord. Ce n'était pas un "jeune" supporter, mais un exploitant agricole bien installé, et manifestement en mesure, justement, de profiter du foot pour recruter des plus jeunes.

Contrairement à ce que laissent penser les commentaires médiatiques et politiques sur cet assassinat, il n'est pas non plus spécialement lié à ce qui est appelé la "crise des réfugiés", mais bien à la crise racistes qui traverse l'ensemble des pays européens. D'ailleurs l'insulte  proférée par l'assassin avant son crime "singe africain"  reflète bien l'expression d'un racisme à prétention biologique parfaitement assumé qui fait couler le sang depuis des années, en Italie comme ailleurs et rend par ailleurs la vie impossible aux racisés, qu'ils soient présents en Europe depuis longtemps ou pas .

En 2011, par exemple, à Florence un militant de Casapound, connu précédemment pour des diatribes antisémites et négationnistes , avait tué par balles deux vendeurs ambulants noirs et en avait blessé grièvement deux autres avant de se suicider. Le mouvement ouvertement fasciste dont il était issu n'a pas été inquiété le moins du monde et a continué à s'installer dans la vie politique et sociale italienne, multipliant les "actions coup de poing" dans toutes les villes où il est présent.

De toute façon, être qualifié de "singe" en Italie, comme en France est quelque chose qui arrive même aux Ministres , en toute impunité pour les mouvements qui le font: Cecile Kyenge a ainsi fait l'objet dès 2013 d'une campagne extrêmement violente des politiciens de la Ligue du Nord, la qualifiant d'"orang outan" ou appelant à la violer. Lorsque la  brutalité du racisme verbal touche même des personnalités importantes socialement, évidemment, la violence ne peut être que plus grave et aussi physique pour les autres.

Les condamnations formelles n'ont évidemment pas jugulé la terreur raciste: pour que ce soit le cas, encore faudrait-il qu'elle soit reconnue comme telle dans toutes ses dimensions politiques et pratiques. Elle ne sort pas de nulle part, et n'est nullement une agrégation d'actes individuels spontanés d'individus ou même de groupuscules . Elle est bien liée à la puissance des mouvements fascistes et d'extrême-droite légaux, idéologiquement et physiquement, comme le démontre, une nouvelle fois le meurtre d'Emmanuel Chidi Namdi: son assassin n'était rien d'autre qu'un militant parfaitement ordinaire, une petite main brune comme il en existe désormais énormément en Europe.

C'est d'ailleurs au moins le deuxième meurtre commis en un mois par l'extrême-droite européenne, après celui de la députée anglaise Jo Cox.  La terreur d'extrême droite accélère sa progression.

Nouveau scandale antisémite dans la gauche espagnole.

  

Un an après le scandale antisémite qui a touché la municipalité Podemos de Madrid, on assiste à une nouvelle irruption de ce genre dans la gauche espagnole.  
La section de Madrid du parti de gauche Izquierda unida, allié de Podemos, qui regroupe l'ancien PC et une partie de la gauche radicale, a diffusé une image scandaleuse (ci-dessus) à l'occasion de la visite d'Obama, contre laquelle elle appelle à manifester le 10 juillet. 

On y voit une image grossière du président américain étreignant une caricature de Juif à papillotes et retirant une liasse de dollars de la poche de ce dernier.

La sélection de stéréotypes antisémites et conspirationnistes les plus répugnants est particulièrement choquante. Elle semble directement tirée de la tradition fasciste. 
L'image d'Obama en "noir à grosses lèvres" est elle aussi issue de ce fond abject.

On notera qu'au même moment la campagne de Trump aux USA a elle aussi recours a une imagerie antisémite à l'encontre de Hillary Clinton (ci-dessous) associant la corruption et l'étoile juive et tirée d'une site néo-nazi


 

On assiste d'ailleurs actuellement à des nombreuses campagnes négationnistes et antisémites sur les réseaux sociaux, notamment sur Facebook et Twitter.

Cette nouvelle irruption antisémite à Madrid se produit quelques semaines après la révélation de graves problèmes d'antisémitisme au sein du Labour britannique

On avait déjà noté dans ce dernier cas une tolérance inexcusable à l'égard de positions racistes antisémites au sein de ce parti, puisque des mesures ne furent prises que suite à des révélations et scandales, alors que la direction du Labour était bien alertée et informée des horreurs diffusées depuis des mois voire des années.

Le scandale de Madrid résonne à nouveau comme une alerte particulièrement grave, montrant une diffusion de thèses antisémites, complotistes et négationnistes au sein de la gauche, au motif de défendre les causes anti-guerre ou  palestinienne. 

Ces causes se trouvent au contraire salies et affaiblies par la tonalité antisémite de ces "soutiens". 

Une vigilance particulière est nécessaire face à cette véritable peste que représente la diffusion du racisme et de l'antisémitisme au sein de la gauche et du mouvement social. 

 

MEMORIAL 98

 

 


 

lundi 4 juillet 2016

Homeland: une fresque historique sur l’Irak







Actualisation du 13 octobre

L'auteur de Homeland, Abbas Fahdel,  vient de recevoir le prix du documentaire 2016 "La Croix", décerné par ce quotidien, après avoir été choisi par un jury de professionnels du cinéma, de journalistes et de lecteurs.
Une nouvelle occasion de recommander cette œuvre.

Memorial 98 


Actualisation du 28 aout 2016:



"Bagdad, chronique d'une ville emmurée"

 A voir sur Arte à partir du mardi 30 août à 21h50 (54 min) et sur Arte Pluz

" Dans les bouchons ou au checkpoint, je suis toujours sur le qui-vive. Je regarde à droite, à gauche, en me demandant quelle voiture va exploser." Hussein est professeur d'université. Comme la grande majorité des huit millions de Bagdadis, il sort rarement de chez lui et a perdu tout espoir d'un avenir meilleur. Treize ans après l'invasion américaine, Bagdad, capitale d'un Irak corrompu, militairement faible et soumis aux puissances iranienne et saoudienne (entre autres), paie au prix fort le conflit entre musulmans sunnites et chiites, relancé par l'essor de Daech depuis deux ans. En 2015, trois mille cinq cents personnes y ont péri dans des assassinats ou des attentats. Et 2016 s'avère pour l'instant tout aussi meurtrière... Alors, pour se protéger des attaques terroristes, mais aussi pour mieux acter la séparation entre sunnites et chiites, des murs se sont dressés partout dans la ville.

Chronique de l'enfer
Ce documentaire est une chronique de Bagdad, de ses habitants (chiites à 70 %) et de leur désespoir. Avec son confrère photographe Laurent Van der Stockt, dont les images ont fait le tour du monde, le réalisateur Lucas Menget, grand reporter et correspondant de France 24 à Bagdad, qui a tiré un livre de ses années passées en Irak (Lettres de Bagdad, Editions Thierry Marchaisse) est parti à la rencontre de chefs religieux et politiques, de miliciens, de journalistes... Tous vivent à Bagdad.
Memorial 98


Alors que des attentats meurtriers, revendiqués par Daech, tuent des centaines de personnes à Bagdad, une œuvre puissante permet d’approcher la réalité irakienne.


Homeland est un film documentaire, réalisé par Abbas Fahdel, cinéaste franco-irakien né à Hilla , ville située à environ 100 kms de Bagdad. Le long métrage d'une durée de 5 h 34 en deux parties: "l'Avant et l'Après"  est sorti en en février 2016. Le DVD sera disponible en septembre 2016


Première partie : IRAK année zéro (2 h 40)

Nous sommes en février 2003.
Le réalisateur nous conduit dans sa maison près de Bagdad. Il nous présente les membres de sa famille. Les uns après les autres, ils s'installent autour du téléviseur dans la pièce principale. La télévision occupe une place prépondérante auprès de la population. Saddam Hussein, figure idolâtrée, y apparait en civil, en militaire, en prêcheur, il s'auto-complimente et promet monts et merveilles contre l'ennemi américain.
Avec certains de ses proches, nous allons déambuler dans les rues de Bagdad, guidé par son neveu Haidar, personnage central. Le garçon, âgé de treize ans, plein de vivacité, nous détaille comment les vitres du salon sont consolidées avec du ruban adhésif épais, par dessus celui utilisé lors de la précédente guerre de 1991. 
Il nous conduit jusqu'au puits creusé dans le jardin pour assurer des réserves d'eau. En cas de guerre il partira à la campagne.

L'objet du film est posé. En filigrane, une ombre inquiétante constituée par  le spectre des guerres. Celles d'avant 2003 la guerre Iran-Irak de 1980 à 1988, l’invasion du Koweït par l'Irak en 1990, l'incursion de la partie méridionale de l'Irak par une coalition internationale avec l'opération "Tempête du désert" qui a mis fin à l'occupation du Koweït par l'Irak en 1991.
 Ont suivi les douze ans d’embargo  et celle à venir… avec l'invasion américaine de 2003 à 2011.

Bagdad une ville trépidante, Bagdad, une fourmilière :

Des voitures américaines anciennes frôlent des charrettes tirées par un âne. Des artisans sont à l'œuvre.
Le marché regorge de victuailles. Les épices s'étalent à profusion. Un homme empile des petits pains séchés dans un sac pour en faire provision en cas de conflit. Le pain, que l'on fabrique à la main, le pain, denrée primordiale. Un libraire vend des livres le long d'une ruelle. Il n'a jamais cessé de les exposer, même en pleine attaque. A chaque coin de rue, au détour des étals, le danger n'est jamais loin.

La vie de tous les jours
La caméra capte les visages souriants et des passants qui s'affairent. Apparaissent à l'écran des portraits d'enfants en gros plan, beaucoup d'enfants, beaux, encore innocents. Ils vont à l'école, troublés sans trop comprendre pourquoi… Les plus jeunes jouent à faire la guerre. D'autres enfants, dans des quartiers moins privilégiés, sont fascinés par la caméra. Un indigent psalmodie un chant d'amour, un vieil homme pleure. Les femmes sont belles avec leurs vêtements et leurs foulards de couleurs vives. Des couleurs qui se heurtent avec une harmonie naturelle, tout comme le fantôme des guerres passées et à venir plane dans le ciel toujours bleu. Elles ne semblent pas « soumises » : elles bavardent, rient chantent et dansent. Les plus jeunes vont à l'Université. Les hommes s'activent de leur côté. La mélodie litanique des minarets s'égrène dans le lointain.
Un régisseur voudrait ouvrir un théâtre engagé. Nous assistons au mariage somptueux de sa fille.

Les guerres et l'embargo ont ruiné le pays. Les professions culturelles ne font plus recette. Bon nombre d'universitaires ont été contraints de devenir paysans. Des allusions discrètes d'une opposition qui semble inexistante.

Cette première partie relate une période joyeuse, presque festive, même si on perçoit un décalage entre l'abondance, une certaine exubérance et la peur permanente de la guerre.
L'inquiétude enveloppe la vie de tous les jours. Chacun est imprégné des assauts qui ont ravagé le pays, et celui auquel il faut se préparer.

Entre 2002 et 2003, Abbas Fahdel tournait, tournait, alors que tout le monde attendait l’invasion américaine.
Voici ce qu'il dit lors d'un entretien :
« Je suis reparti à Paris en mars 2003. Trois jours plus tard, le 20 mars l’intervention américaine avait lieu ! Le temps que je m’organise, je suis revenu quelques semaines plus tard. La ville de Bagdad était déjà tombée… »

Deuxième partie : Après la bataille 2 h 54

Abbas Fahdel revient en Irak deux mois plus tard et découvre un pays secoué par la violence, qui semble n’avoir échappé au cauchemar de la dictature que pour tomber dans le chaos.
 Bagdad est anéantie.
Le cinéaste embarque sa caméra à l'intérieur de la voiture de son beau-frère. Haidar, son neveu fait partie de l'expédition. Il est toujours espiègle et continue à faire de nombreux commentaires. De multiples barrages les contraignent à faire des détours. Ils croisent de longues files de véhicules militaires américains. L'armée est omniprésente. Nous poursuivons ce voyage du désastre et de la désolation pendant presque trois heures. Les appréhensions sont devenues réalité.
La caméra tourne. Des plus beaux édifices, il ne reste que des tas de pierres. Le bâtiment de la radio irakienne est entièrement détruit. Les studios de cinéma sont hors d’usage. Tables de montage et rouleaux de pellicules sont à l'abandon.
Désormais les enfants et les jeunes filles se rendent à l'école et à l'Université sous escorte de la famille. Les bandes rivales s'affrontent, les pillards sévissent, La détresse et la colère des habitants sont à son comble. Ils se sont encore appauvris. Ils commencent à s’armer .La population est divisée : ceux qui regrettent Saddam Hussein et ceux qui s'en réjouissent, tout en constatant que les autorités irakiennes ne font rien pour aider les habitants à survivre.
Lors de ce périple en voiture dans la ville dévastée, une balle perdue va atteindre Haidar et le tuer.
Abbas Fahdel mettra une décennie à s'en remettre,  avant de pouvoir se replonger dans ses rushs.

Il faut voir Homeland pour comprendre le choc introduit dans l'histoire de l'Irak et de ses habitants. Le réalisateur a voulu montrer la richesse de son pays avant et ce qu'il en est advenu après avoir subi une dictature et des guerres. Il nous fait partager sa vision de Bagdad et de ses habitants meurtris.

Après la projection des deux parties, le spectateur à une connaissance plus intelligible de la tragédie qui déchire l'Irak. Celle-ci va bien au-delà de l'image véhiculée par les médias ou même celle de nos représentations collectives à propos de ce pays. Le film nous aide à comprendre la raison du conflit interne qui engendre des morts quasiment au quotidien.


Il fait aussi place aux mobilisations qui tentent de dépasser les affrontements à caractère communautaires, manipulés par ceux qui y trouvent leur intérêt et la source de leur pouvoir :  « Une nouvelle génération ose brandir ses slogans : Ni sunnites, ni chiites. On veut un État laïque”.



Le 22 mai 2016 dans la cadre d’un colloque à  l’IMA (Institut du Monde Arabe de Paris ) ayant pour thème : « Religion et pouvoir", trois historiens animaient un atelier à propos du film Homeland. Ils ont fait part de leur réflexion afin de mieux cerner ce que le réalisateur a voulu transmettre par l'intermédiaire de son film. Ils ont découpé le film en trois intitulés.
1/ Une société sous dictature et embargo  
2/ Le patrimoine, témoignage et refuge
3/Filmer une rupture historique

Un hommage au peuple irakien et à sa famille
En 1958 c'est la fin de la monarchie irakienne. Un état est en construction. L'Irak connait un fort développement économique et social grâce au pétrole.  
Abbas Fadhel découvre le cinéma égyptien. Sa famille est à la fois chiite et sunnite (mariages mixtes) ; Lui ne se réclame ni de l’un ni de l’autre.
Abbas F arrive en France en 1976 afin d'y faire une thèse sur le cinéma de Wim Wenders (cinéaste allemand des années 60). En 1980, quand éclate la guerre Irak -Iran qui fera quatre millions de morts de part et d'autre, il ne vit plus en Irak. En 1990 lors de l’invasion du Koweït par l'Irak il en va de même. Au mois de mars 1991, au cours de la guerre du Golfe, une insurrection a tenté de mettre fin au régime baasiste de Saddam Hussein, c'est la révolte des chiites opprimée par le régime.

Abbas travaille et produit des films en France : "Retour à Babylone " (2001)," Nous les irakiens (2004)", " L’aube du monde" (histoire des irakiens disparus à cause de l’assèchement des marais 2008  et enfin " Homeland " (2002 et 2003) tourné en Egypte.
Abbas Fadhel a voulu rendre compte des différents aspects de la société irakienne au travers de certaines séquences de son film

1/ Une société sous dictature et embargo.
Pendant l’embargo, on découvre son beau frère, médecin, entrain de traire des chèvres avec son épouse. Comme d'autres universitaires, il est devenu paysan. La culture du blé, de l’orge et l’élevage des moutons se développent. Le système de l’Éducation est mis à mal. Il en va de même pour la santé, ce qui a pour conséquence l'accroissement de la mortalité infantile.
C'est au travers des représentations de Haïdar, son neveu, que nous percevons ce qu'est le régime de Saddam Hussein. Il nous explique la fierté  nationaliste des irakiens qui soutiennent ce régime. Ce sont des privilégiés qui bénéficient de tickets de rationnement en dépit de la pénurie, d’où le renforcement de son pouvoir. Il décrit Saddam Hussein en tenue militaire, il nous parle des 3000 missiles en prévision de la prochaine guerre. C'est lui encore qui décrit la construction du puits pour avoir des réserves d'eau en cas de conflit.
La séquence est assez longue, Abbas Fadhel veut nous faire partager la vie quotidienne des irakiens, par l'intermédiaire de ses personnages pendant la période où l'Irak a subi la dictature et l'embargo.

2/ Le patrimoine, témoignage et refuge

Saddam Hussein né en 1937 se réclame de la dynastie antique des Hammourabi.
Il prétendait  reconstruire l'empire babylonien. Il a fait reconstruire à l'identique le palais du roi Nabuchodonosor.

Abbas F n'a rien filmé au hasard. Certains passages sont des témoignages de l'histoire et de la culture de l'Irak comme le palmier, symbole de prospérité et de fertilité. Le réalisateur s'entretient avec un homme perché dans un palmier en train de couper des branches mortes.

Avec sa caméra, il s'attarde sur le musée archéologique qui renferme des pièces inestimables, étendard d'une civilisation florissante, celle de Babylone et du roi Nabuchodonosor. Épargné en partie pendant la guerre, il a été pillé et des collections ont été retrouvées dans d'autres pays.
Merveille architecturale, la mosquée de Samarra avec son minaret hélicoïdal endommagé par un attentat à la bombe en 2005, emblème des conflits entre chiites et sunnites. Un détour par Al Amara, ville principalement chiite : 700 morts en 1991 lors d'un bombardement américain.

3/ Filmer une rupture historique

L’enjeu : conserver les traces de l’attaque de l'armée américaine…
Les séquences se répondent les unes aux autres.  Elles montrent des atteintes gratuites aux personnes et à leurs habitations. Le musée archéologique dont la façade a été bombardée. Un char de guerre stationne devant la porte qui était supposé en garder l'accès. Les pillards s'en sont donnés à cœur joie. La bibliothèque nationale, extension de la bibliothèque édifiée en 1920 et les archives mises à mal lors de l'attaque de 2003. Cinéma calciné afin de dénoncer le manque de démocratie. Un irakien proclame : "la démocratie n’est pas pour nous". Il dénonce les marchands d'armes. 

Nous apprenons la mort de Haidar, dès le début du film, preuve de l'insécurité qui règne sous le gouvernement de Saddam Hussein. Insécurité entretenue par l’État sunnite et mise en avant de la libre circulation des armes qui mettent les enfants en danger. Abbas F. ne filme pas la guerre mais des traces de la guerre du passé contre Saddam Hussein comme en 1991. Inscription dans une histoire commune du cinéma : le sous-titre de son film (Irak année zéro) est une référence aux films de Roberto Rossellini "Allemagne année zéro" sorti en 1948, et "Rome ville ouverte"  crée en 1945. Abbas F. a volontairement appelé son film Homeland, du nom d'une série américaine qu’il trouve choquante, afin de s'en différencier.

On se trouve devant une œuvre puissante et évocatrice, une véritable fresque, à voir. 

Memorial 98

  





samedi 2 juillet 2016

Extrême-droite: la terreur qui n'était pas terroriste.

Mise à jour du 21 mai 2018

Grégoire Moutaux a été condamné à 6 ans de prison ferme ce 21 mai en Ukraine. Comme nous l'indiquions ci-dessous, il préparait des attentats durant l'Euro de football 2016 et voulait cibler une mosquée, une synagogue et un centre d'impôts. Pourtant ici, sa trajectoire et ses actes avaient été minimisés et considérés comme "pas terroriste"

MEMORIAL 98

A Paris, au début du mois de juin on a jugé des terroristes. Quelques jeunes hommes d'Alsace Lorraine qui ont décidé, en 2013, de partir combattre en Syrie. Où ils se sont retrouvés dans les rangs de Daech. Ces jeunes hommes ont fait la guerre, quelques mois. Ils sont revenus assez vite,  ont été arrêtés quelques semaines après leur retour et sont en prison depuis. Le procureur a réclamé la peine maximum pour «association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes de terrorisme».

En Ukraine, à peu près simultanément, Grégoire Moutaux, un jeune homme de la même région que les précédents a été arrêté. Ce n'est pas un terroriste, du moins si l'on en croit la communication de l’État français qui a tenu à écarter publiquement cette qualification. Moutaux partait régulièrement en zone de guerre ukrainienne, il est d'extrême-droite, il a été pris à la frontière avec une centaine de kilos d'explosifs et des armes de guerre. Sur des enregistrements diffusés par les services de sécurité ukrainiens, on entend la voix présentée comme celle du jeune homme détailler des objectifs d'attentats.

Qu'est-ce qu'un terroriste ? Le débat serait long. Une chose est certaine : en France, de toute façon, un terroriste n'est pas un militant d'extrême-droite.

La sentence ne souffre quasiment aucune exception.

Claude Hermant est très probablement l'homme qui a armé Amedy Coulibaly, le tueur de l'Hypercacher. Il lui a fourni au moins quatre pistolets semi-automatiques et sans doute un fusil d'assault, tous remilitarisés et prêts à l'usage. Et ce dans le cadre d'un trafic d'armes de guerre dont la police avait connaissance, à des degrés encore inconnus, puisque le néo-nazi, militant depuis des dizaines d'années était également indicateur de police. Claude Hermant, dont l'affaire a été classée secret défense, n'a pas été inculpé pour association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, alors que c'est le cas par exemple, pour celui qui a fourni un gilet pare-balles à Coulibaly, mais celui-ci n'était pas d'extrême-droite.

Christophe Lavigne, autre néo-nazi, préparait un attentat contre les fidèles d'une mosquée de Vénissieux , lorsqu'il a été interpellé une première fois, puis absous de toute inculpation ayant trait au terrorisme en mai 2014. Deux ans plus tard, le même a été interpellé chez lui, avec un stock d'armes et a écopé une nouvelle fois d'une peine minime, sans que l'inculpation de terrorisme ne soit retenue.

On ne connaît pas le nom des jeunes aspirants de l'Armée de l'Air qui projetaient de commettre un attentat contre la mosquée de Montélimar et qui avaient chez deux des armes et le matériel nécessaire pour passer à l'action. A vrai dire, on ne sait plus rien de cette affaire depuis sa brève médiatisation, en avril 2015, à part que les jeunes n'ont pas été incarcérés mais placés sous contrôle judiciaire. .

En mars 2016, trois hommes appartenant à un "groupuscule néo-nazi" ont été mis en examen à Marseille car ils détenaient un arsenal composé notamment de onze fusils, vingt-huit armes blanches et des gilets pare-balles. Aucune inculpation pour terrorisme mais une enquête ouverte pour "association de malfaiteurs" et "participation à un groupe de combat"...et la remise en liberté sous contrôle judiciaire. 

Bien sûr, lorsque le nombres de victimes est très élevé, ou lorsque les victimes ont un statut social reconnu, le terme « terrorisme » est parfois débattu en France. C'est le cas pour le meurtre de Jo Cox, députée anglaise, assassinée à l'arme blanche en pleine campagne du Brexit. Son meurtrier était néo-nazi et lié à un groupe américain ultra-violent, et il a tué au cri de "Britain First", nom d'un parti d'extrême-droite anglais. Dans ce cas précis, même le journal Le Monde s'est  fait le relais de certaines critiques sur la minimisation et la dépolitisation de l'acte et de l'assassin. Il faut dire que certains titres de presse ont dépassé toutes les caricatures comme celui de l'Express, qui retenu comme information la plus pertinente l'amour du tueur pour le jardinage.  

Pour autant, cette interrogation reste toujours limitée : le meurtre de Jo Cox reste présenté comme un fait inédit au Royaume-Uni, alors qu'il y a deux ans, par exemple,  en janvier 2014 un médecin anglais, Sarandev Bhambra avait été attaqué à la machette et sauvé uniquement par l'intervention d'un ancien militaire présent sur les lieux de l'attaque. Le tueur membre d'un groupe néo-nazi ayant pignon sur rue avait choisi une victime au hasard, sur la base de son apparence, qui lui laissait penser qu'elle était musulmane. La victime s'était battue en vain pour que l'inculpation terroriste soit retenue, et que le groupe raciste dont se réclamait le tueur fasse également l'objet d'une enquête approfondie. Aujourd'hui aucun rappel de cet événement n'est fait dans les médias, d'ailleurs il n'avait même pas été évoqué en France à l'époque. Comme n'est pas évoqué en France , un aspect pourtant significatif de la problématique ; le seul parti à présenter une candidature contre le remplaçant désigné après la mort de Jo Cox par son parti sera "Britain First", le parti dont le slogan a été crié lors du meurtre.

De la même manière si de rares articles  font un lien entre le meurtre de Joe Cox et celui de la députée suédoise Anna Lindh assassinée en pleine campagne référendaire en 2003, tous présentent son assassin uniquement comme un « déséquilibré ». Aucun ne précise que le déséquilibré avait Mein Kampf comme livre de chevet .


Toutes ces affaires correspondent juridiquement parlant à des actes terroristes, ou à l'aide à la commission d'actes terroristes. D'ailleurs pour certains policiers et pas des moindres, le terrorisme d'extrême-droite en Europe et plus spécifiquement en France semble bien être un sujet comme un autre.

Le 10 mai dernier, Patrick Calvar directeur général de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), indique que ses services sont "en train de déplacer des ressources" pour s' "intéresser à l’ultra droite qui n'attend que la confrontation".

"Avant l'Assemblée nationale, Patrick Calvar a déjà parlé en interne de la volonté d'action de ces groupes d'ultra-droite", confie une source policière à L'Express. "Il craint qu'un nouvel attentat les réveille car il montrerait que les moyens de l'Etat ne suffisent plus. Avec la montée en puissance du risque islamiste, nous avons orienté nos capteurs sur les djihadistes ces dernières années. L'ultra-droite, on s'en occupait moins."

On remarquera , dans le discours policier une extrême prudence dans les mots et surtout le soin apporté à marteler une thèse et une seule: s'il y a terrorisme d'extrême-droite, il ne peut-être qu'une réaction au terrorisme se revendiquant du djihadisme. Et si on ne s'occupe pas du terrorisme d'extrême-droite au niveau de l'Etat.....c'est parce qu'on est trop occupé avec le terrorisme se revendiquant du djihadisme. La conclusion , c'est « plus de terrorisme djihadiste plus de problème ».

En réalité, l'extrême-droite violente, qu'on la qualifie ou pas de « terroriste » a son propre agenda. Anders Breivik a préparé longuement un attentat qui ne faisait écho à aucun événement particulier, et correspondait simplement à ses conceptions politiques: celles-ci n'avaient rien d'extraordinaire au regard de la propagande fasciste et raciste des partis légaux d'extrême-droite.
Le groupe allemand néo-nazi NSU a assassiné des gens sur une période de douze ans au moins, à intervalles réguliers, avec constance et invariance. Son objectif était simplement d'assassiner des personnes "non aryennes" aux yeux de ses membres, pour semer la terreur chez les issus de l'immigration en Allemagne.

En France, l'émergence d'une extrême-droite extra-parlementaire n'a rien à voir avec l'agenda des groupes dits djihadistes, mais tout à voir avec un autre timing: celui de la montée de l'extrême-droite parlementaire, de son installation au cœur des institutions démocratiques , de sa dédiabolisation médiatique, et de la contamination de l'ensemble du champ politique par les discours nationalistes, racistes et antisémites.

En France, c'est dans les années 2000 que se reconstitue un milieu fasciste important numériquement, et souvent ouvertement néo-nazi , dont les caractéristiques sont un dynamisme politique important, et une importante proportion de jeunes gens issus de tous les milieux sociaux. Si cette mouvance, qui inclut aussi bien la sphère dieudonniste et soralienne que la sphère identitaire et/ou ouvertement néo-nazie critique l'extrême-droite parlementaire, elle n'en est absolument pas « en marge », mais inter-agit en permanence avec elle. Lieu de formation des futurs cadres du FN, comme Philippe Vardon ou le maire FN de Fréjus, elle est également animée par des leaders plus âgés qui sont eux-même , soit des anciens du FN, comme Carl Lang, soit des compagnons de route comme Soral ou Dieudonné,  soit des barbouzes qui ont déjà rendu de nombreux services dans les années 80, comme Serge Ayoub ou Claude Hermant.

Dans ce bouillon de culture, il n'y avait guère de difficulté à déceler ce qu'on appelle « radicalisation » pour d'autres sphères politiques. Notamment parce que celle-ci s'est affirmée sur des forums et des sites publics , où des militants confirmés ont effectué un important travail de traduction et de vulgarisation de l'apport international néo-nazi. D'une part, en diffusant et en expliquant les écrits de l'extrême-droite américaine appelant à la lutte armée, comme les célèbres Turners Diaries qui ont inspiré par exemple l'auteur de l'attentat d'Oklahoma City.D'autre part, en popularisant les agissements ultra-violents allant jusqu'au meurtre des néo-nazis russes, qui sévissent en toute impunité et très probablement de concert avec les services de sécurité gouvernementaux de Poutine. Quant au discours apocalyptique et aux pratiques sectaires qui vont avec, notamment l' "entraînement à la fin du monde", le développement du survivalisme  a amplement permis la mise en condition physique et mentale nécessaire pour passer à l'acte violent.

Nul ne peut nier qu'il existe bien en France, un nombre indéterminé et important de gens armés et fanatisés qui ont démontré, à maintes reprises leur volonté de passer à l'acte. Nul ne peut nier qu'à l'instar des réseaux dits djihadiste, ils ont un corpus culturel et politique commun, un équivalent dans de nombreux autres pays....et qu'ils sont en lien permanent, notamment par le biais d'une socialisation virtuelle, mais également par des réseaux physiquement constitués qui permettent à la fois des « séjours de formation », notamment en Europe de l'Est, mais aussi l'accès aux armes, nécessaire pour passer à l'action dure. 

Sont-ils des terroristes ? La réponse à cette question présente moins d'intérêt théorique que pratique, car il n'y a de toute façon pas UNE définition établie du terrorisme, concept politique et pas du tout scientifique.

Mais en Occident, en ce début du 21ème siècle, la qualification de terrorisme appliquée à un phénomène donné a une importance extrême au niveau concret: car le terrorisme, c'est politiquement et pratiquement la menace sociale par excellence, celle contre laquelle l'ensemble de la société est appelée à se mobiliser. C'est le qualificatif qui justifie l'usage de tous les moyens possibles, juridiques, financiers, policiers, militaires.  .

De fait, il suffit de faire l'analogie avec le traitement social et étatique appliqué au phénomène dit « djihadiste » pour imaginer ce que signifierait l'adoption de l'analyse terroriste aux groupes armés d'extrême-droite actuels.

Il ne s'agit pas de dire qu'on en finirait ainsi avec le néo-nazisme. La persistance des attaques perpétrées par les membres revendiqués de l'Etat Islamique, dont certains surveillés et punis de longue date démontre que la surveillance de masse, l'adoption d'un état d'exception policier, judiciaire et répressif  ne sont nullement la panacée pratique qui permettrait d'éradiquer les groupes considérés comme terroristes, sans même parler des implications politiques de cette optique, en terme de destruction des droits démocratiques.

Mais politiquement  si une partie de l'extrême-droite était qualifiée de terroriste, alors ce serait toute  l'extrême-droite structurelle, mais aussi le contenu idéologique de ce courant intégré par d'autres forces politiques qui se trouverait mis en accusation.

Forcément, alors, les fondamentaux racistes, antisémites, homophobes qui le définissent mais imprègnent désormais énormément d'autres forces politiques seraient traités différemment. La mise en accusation  ne pourrait plus prendre le visage des condamnations polies et très superficielles qui touchent aujourd'hui l'extrême-droite parlementaire parfaitement intégrée dans le jeu démocratique. Parce qu'aujourd'hui le danger du terrorisme dit djihadiste est au cœur du discours politique, une élue ou une candidate portant le voile font débat, sans parler des rares listes présentées par des gens se revendiquant musulmans. Aujourd'hui, tout ce qui est musulman , lieux de culte, sites internet, produits de consommation , évènements publics est scruté à la loupe, disséqué par les médias, et bien souvent en une de l'actualité. Chacun est sommé de prendre position sur le halal, le voile, l'UOIF, Tarik Ramadan, chaque jour et à chaque fois en invoquant le danger terroriste. C'est à dire en disant d'emblée que la seule position valable est la condamnation: et cette condamnation , dans le cadre d'une logique raciste de plus en plus étendue et assumée s'étend de plus en plus souvent à l'ensemble des pratiquants d'une religion ou supposés l'être. 

Bien évidemment et justement parce que les mouvements d'extrême-droite ultra-violents sont le reflet d'un rapport de forces raciste bien plus vaste, rien de tel ne se produit à leur propos. 

L'idée même d'un débat sur la légitimité de l'invitation médiatique faite aux dirigeants du FN, par exemple est une vieillerie politique des années 80 et 90. Si le discours raciste lorsqu'il est très virulent est encore relevé dans les évènements publics du parti, jamais l'idée de les interdire n'est évoquée. Même pour des factions moins notabilisées politiquement, comme la mouvance politique autour de Dieudonné, l'interdiction d'un seul de ses meetings a donné lieu en 2014 à une intense polémique sur la liberté d'expression, polémique à laquelle ont participé non seulement ses partisans d'extrême-droite, mais aussi une partie de la droite républicaine, et de la gauche radicale.

Malgré les rodomontades du Ministre de l'Intérieur devenu premier Ministre, celui qui se targuait d'éradiquer les sites racistes et antisémites d'extrême-droite en est vite revenu à se contenter de poursuivre ceux qu'il qualifie d' « islam radical ». Pour le reste, comme ses prédécesseurs , il s'accommode fort bien de Fdesouche et d'Egalité et Réconciliation, comme d'un foisonnement de sites ouvertement nazis dont les auteurs sont parfaitement connus, et même pas interpellés lorsqu'ils sont condamnés à l'instar de Boris Le Lay ou du négationniste Vincent Reynouard. La puissance de frappe de certains de ces sites leur permet depuis fort longtemps de déclencher des campagnes de haine et de harcèlement contre des individus qui ne sont pas forcément des personnalités publiques et que personne ne défendra, lesquelles campagnes sont d'ailleurs relayées de plus en plus souvent par les médias traditionnels alléchés par l'audience .

Il ne s'agit donc pas de dénoncer un « complot » des élites politiques et culturelles qui laisseraient volontairement faire les terroristes d'extrême-droite. Mais de stratégies politiques, policières, judiciaires , médiatiques, d'intérêts et de logiques souvent différentes et même divergentes, de représentations croisées qui vont finalement globalement dans le même sens, celui de la tolérance et de la minimisation. envers le fascisme armé, lorsqu'il est celui de l'extrême-droite européenne.

Par exemple la forte proportion de policiers eux-même d'extrême-droite joue son rôle quotidien, tout comme la forte proportion d'ex-étudiants en droit parmi les activistes fascistes violents joue le sien devant un juge qui reconnaît en partie un semblable. La peur panique de "braquer" les précieux électeurs du FN et l'habitude de les croire assez bêtes pour changer éventuellement d'avis et de candidat exclut, pour beaucoup de politiques, la moindre prise de risque que constituerait à leurs yeux la dénonciation non pas seulement des actions fascistes armées, mais aussi du contexte de soutien massif au FN dans les urnes qui leur donne des ailes.

Pour quiconque connaît le faisceau de causes multiples qui aboutit à la minimisation objective du danger de l'extrême-droite violente, les thèses du complot n'ont guère d'utilité.  Ce dont il s'agit est bien plus profond: l'étiquette « terroriste », appliquée ou non par une société donnée à certaines formations politiques reflète un état de cette même société et une imprégnation plus ou moins grande, un rapport de forces idéologique et pratique précis avec le contenu porté par ces formations.

Le terrorisme est  défini en France , juridiquement et politiquement, par la volonté de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur.

Pour ce qui est de l'intimidation et de la terreur, le compte est bon: une partie de la population vit effectivement avec la peur permanente de la violence raciste, dans la plus grande indifférence sociale.

Cette indifférence sociale a été relevée récemment par l'étude d'une entreprise privée de sécurité suisse qui met en lumière des éléments parlants sur le terrorisme néo-nazi en Allemagne: contrairement à d'autres formes de terrorisme, la violence d'extrême-droite n'est par exemple pas l'objet de beaucoup de recherches scientifiques d'ampleur. Les faits existants ne sont donc que rarement reliés entre eux alors même que des facteurs communs relient les agissements des activistes violents de cette mouvance.

Les actes de violence qui touchent par exemple les musulmans sont banalisés: les incendies de mosquées se multiplient, souvent commis la nuit, mais aussi de plus en plus souvent le jour, par des foules qui agissent même à visage découvert, comme on a pu le voir en Corse. Les attaques contre les bidonvilles se multiplient en même temps que les bidonvilles où survivent dans des conditions effroyables, une partie grandissante de la population d'origine immigrée vivant dans ce pays. Là aussi, les manifestations et les pressions légales de l'extrême-droite, c'est à dire autorisées par les autorités côtoient les actes plus violents physiquement

Et c'est cet éventail de terreur déployé contre toute une partie de la population, et sa double dimension, légale et extra-légale qui explique qu'on ne le considère pas comme terroriste: tant que nos sociétés considèreront de fait que la terreur raciste peut être légale et ne pas troubler l'ordre public, bien évidemment, ses dimensions les plus ouvertement violentes seront traitées uniquement comme des abus, de l'ordre du fait divers , de l'excès scandaleux, mais pas signifiant politiquement.

Jusqu'où ira cette logique meurtrière ? En France, possiblement très loin.

Mise à jour du 27 juillet 2016: 

Le 22 juillet 2016, David Ali Sonboly a abattu neuf personnes avant de se donner la mort dans un centre commercial de Munich. Juste après l'attentat, survenu le jour anniversaire de la tuerie commise par le suprémaciste blanc Breivik à Utoya, les enquêteurs avaient bien souligné la fascination du jeune tueur de Munich pour Breivik.
Mais beaucoup d'analyses immédiates ont mis en avant les origines iraniennes du terroriste de Munich, pour en déduire une "haine de soi", une contradiction inhérente aux "métissés", qui aurait joué un rôle dans la dérive meurtrière du jeune homme. Celui à cause de ses origines n'aurait pas pu être un néo-nazi.
.Une analyse évidemment imprégnée des représentations identitaires racistes profondément ancrées dans les esprits en ce moment, justement parce que le racisme est devenu un phénomène massif et impacte la manière de voir les individus dès lors qu'ils sont issus de l'immigration. La thèse selon laquelle Breivik l'aurait fasciné uniquement par l'aspect " tuerie de masse réussie"a donc prédominé au départ. 

 Mais selon les dernières avancées de l'enquête le jeune tueur  était un adorateur d'Adolf Hitler, détestait les Arabes et les Turcs et se pensait "tout simplement"  comme doublement aryen,justement à cause de ses origines iraniennes et allemandes. Là dessus il n'était ni plus ni moins absurdement meurtrier qu'un autre nazi. Car c'est bien le nazisme qui invente l'aryen et pas une quelconque aryanité qui conditionnerait le nazi.
A Munich, il s'agissait donc bien une nouvelle fois de terrorisme néo-nazi. Moins de deux mois après l'assassinat de Jo Cox, députée anglaise, par un néo-nazi. Moins d'un mois après l'assassinat en Italie d'Emmanuel Chidi Nambi, tué par un jeune suprémaciste blanc en Italie.
Les ravages de plus en plus meurtriers du terrorisme d'extrême-droite sont un fait. A chacun de se demander pourquoi ce n'est pas un Sujet.