Cet été 2016, le
« burkini » est un évènement. Nul n'est pourtant en mesure de
fournir la moindre indication sur le nombre de femmes qui le portent
sur la plage. Douze, cent, cent mille, nous n'en saurons rien. Ce
n'est pas la quantité qui crée l'évènement, et nul n'est
en mesure non plus, de dire s'il y en a moins ou plus que l'an
dernier.
L'évènement concernant
le port du burkini est crée par celles et ceux qui ont le pouvoir
d'en faire un problème, d'imposer socialement l'idée que ce que
font deux ou cent femmes de leur corps nous regarde toutes et tous. Lorsque des
partis politiques comme le FN et les Républicains reprennent les
campagnes d'agitation raciste menée par des activistes islamophobes
de tous les bords politiques, l'évènement s'impose.
Cet été 2016, les
appels insidieux ou ouverts à la ratonnade, et les tentatives de
ratonnade ne sont, eux , pas un événement et encore moins un problème.
Depuis le début de l'été, en toute impunité, l'extrême-droite
s'est lancée dans des campagnes de harcèlement des femmes voilées
sur les lieux touristiques. La pratique consiste à prendre en photo
des femmes sur les plages, dans les parcs d'attraction puis à
diffuser ces photos sur internet. On en trouvera un bon exemple sur
le site Riposte Laïque, où l'un des articles vedettes (1) est
actuellement le récit accompagné de photos d'une militante qui est
allée à la Mer de Sable et se vante d'avoir pris une centaine de
clichés de femmes voilées dans la journée. Dans les commentaires,
d'autres militants racistes racontent des pratiques similaires un peu
partout en France. Naturellement on y trouve également des appels à
l'agression caractérisée comme dans les commentaires reproduits ici où
d'aucuns préconisent l'usage du pistolet à eau chargé de sang de
porc.Une dérive hallucinatoire qui en dit long sur l'état d'esprit des individus concernés.
Tout cela n'a pas
commencé avec la campagne contre le « burkini ». Il y a
deux ans, Nadine Morano, ancienne Ministre , a popularisé la
pratique consistant à diffuser des photos de femmes musulmanes en
les insultant. Et déjà, à l'été 2014, le débat politique a
porté sur le problème du voile et pas sur le problème du
harcèlement raciste constitué par la prise de photos et leur diffusion malveillante.
Depuis, la pionnière et ses amis politiques républicains ont toujours un temps d'avance dans la haine: l'un de ses proches a par exemple fait une allusion directe aux méthodes nazies en prescrivant le " Nacht und Nebel ", aux femmes portant le burkini. Loin de le désavouer Nadine Morano a surenchéri en le présentant comme une victime et en affirmant que les femmes en burkini sont elles même des nazies.
A l'été 2015, un autre
« problème » , un autre « évènement »
était cette fois crée de toutes pièces par une partie des médias et des politiques : à Reims, une femme aurait été agressée
parce qu'elle était en maillot de bain dans un parc, avec une revendication religieuse. A la finale, il
s'avéra que la prétendue information était totalement fausse, et
que l'évènement réel était l'emballement raciste non seulement de
l'extrême-droite, mais aussi d'une partie de la gauche et même de
certaines associations antiracistes sur la base d'une rumeur. Mais
une nouvelle fois, cet emballement ne fut pas considéré comme un
phénomène social à examiner de près.
A cours des mois de
juillet et août 2016, des maires du Sud de la France ont pris des arrêtés
d'interdiction du « burkini » sur leurs plages, et celui de Cannes a été validé par le tribunal administratif. Juridiquement,
cette interdiction est locale et n'est censée concerner qu'un
vêtement bien précis. Mais socialement, et dans le contexte qui
vient d'être décrit, ses conséquences sont bien plus vastes sur
les esprits racistes chauffés à blanc : ce qui est dit par ces
arrêtés et leur validation judiciaire, c'est que des femmes
musulmanes sont illégales en soi dans l'espace public. C'est un
message qui forcément, déclenche chez les agresseurs potentiels un
sentiment de puissance et de légitimité devant des victimes
affaiblies parce qu'illégitimes.
Et ce d'autant plus que
les agressions islamophobes ne sont pas un "événement", socialement
parlant, pas plus que les ratonnades et les tentatives de ratonnade.
Certes lorsqu'un homme de 70 ans se fait tabasser à Barentin par un jeune homme
qui accompagne l'agression de propos racistes et islamophobes
explicites, comme cela a été le cas au mois de juillet, la presse en parle. Mais sans aucune mise en perspective et sans déclencher de
réaction sociale notable.
Pire, nombre
d'expéditions punitives collectives racistes pratiquées ces
dernières années dans toute la France ont donné lieu à une
médiatisation, qui insidieusement ou ouvertement a inversé les
responsabilités. Les « riverains » qui partent à
l'attaque contre des bidonvilles habités par des personnes Roms sont
présentés comme légitimement exaspérés par le tort que leur
ferait l'existence même du bidonville. Les jeunes militaires des casernes de paras quipartent de temps à autre de leur caserne pour aller attaquer des bars fréquentés par des gens issus de l'immigration ou des quartiers populaires se voient toujours mettre à leur crédit un
fait initial, cambriolage ou une bagarre qui serait la cause de la
ratonnade, exagérée , mais rationnelle quand même, donc.
Petit à petit, à
l'impunité morale, s'est ajoutée une impunité factuelle totale pour les agresseurs racistes. En
Corse au mois de décembre 2015, des ratonneurs agissant à visage
découvert pourront non seulement défiler dans un quartier en
hurlant explicitement leur haine contre les arabes, mais également attaquer des domiciles privés à coups de pierre et brûler un lieude culte. La seule sanction étatique sera un « appel au
calme »: quand à la ratonnade celle-ci est présentée comme une
« réaction « à l'agression d'un pompier, pas un
prétexte, une réaction.
Il y avait donc, en cet
été 2016, un grand nombre de facteurs qui rendaient probable une
agression collective raciste contre des personnes musulmanes sur une
plage. Et un prétexte tout trouvé .
Ce qui s'est passé le
samedi 13 août 2016, sur une plage corse et la tentative de
ratonnade qui a eu lieu ensuite n'a donc rien d'inexplicable, ni rien
d'étonnant.
Pour éviter toute
accusation de partialité, autant choisir la version des
protagonistes racistes , celle qui est diffusée par tous les
réseaux d'extrême-droite : au départ, il y avait des gens
d'apparence musulmane sur la plage et ils étaient l'objet de
l' « attention » des non-musulmans. Une attention
qui s'est traduite par la prise de photos.
Il est intéressant de
constater que les versions des protagonistes du même camp
diffèrent : sur un « témoignage « d'une mère de
famille relayé par le FN (2) puis par certains organes de presse, on
apprend que des femmes auraient été vêtues de « burkas »
( la presse a traduit burkini, corrigeant volontairement la
maladresse qui rendait le témoignage encore moins crédible. ). Dans
un autre « témoignage » diffusé dans une vidéo, celui
d'une jeune fille qui parle aux manifestants sur le départ pour une expédition punitive, il n'y a plus que des « maghrébins »
et d'innocents touristes qui prenaient des photos de la plage .Les « maghrébins » se seraient sentis visés et ont
alors agressé tout le monde.
On voit bien la raison de cette divergence initiale dans les témoignages : l'hésitation entre une stratégie classique de négation totale du racisme initial qui a pu conduire les victimes à se défendre violemment , ou alors une stratégie où l'on reconnaît avoir fait quelque chose, en l'occurrence montré des yeux et de l'appareil photo des personnes qui ont réagi à la provocation. Mais en défendant le bien fondé de cette provocation, à savoir le fait que ces personnes portaient un « burkini »......et étaient donc dangereuses et choquantes en elles même.
On voit bien la raison de cette divergence initiale dans les témoignages : l'hésitation entre une stratégie classique de négation totale du racisme initial qui a pu conduire les victimes à se défendre violemment , ou alors une stratégie où l'on reconnaît avoir fait quelque chose, en l'occurrence montré des yeux et de l'appareil photo des personnes qui ont réagi à la provocation. Mais en défendant le bien fondé de cette provocation, à savoir le fait que ces personnes portaient un « burkini »......et étaient donc dangereuses et choquantes en elles même.
Ce sera la deuxième
version et justification de la tentative de ratonnade qui sera
finalement retenue. Par les médias mais aussi par le maire
socialiste de la ville qui va immédiatement prendre un arrêté
d'interdiction du burkini, perpétuant ainsi le cercle vicieux
raciste.
Dans le même temps,
l'évènement « ratonnade » est lui quasi-absent des
récits médiatiques et politiques. Rappelons les faits que personne
ne nie, et que les ratonneurs ont d'ailleurs filmé. Des centaines de
personnes sont montées dans le quartier d'où les familles
musulmanes étaient censées venir, ont défilé en meute et brûlé
des voitures. D'autres ou les mêmes sont allées jusque devant
l'hôpital où une de leurs cibles était encore hospitalisée et ont
du être repoussées par la police. Aucune interpellation n'a eu
lieu.
Que reste-t-il des
évènements dans les médias : au mieux l' énoncé« tensions inter-communautaires » entre « Corses »
et « maghrébins », dans Le Monde. Où l'on en déduit
donc que Corse et maghrébin, c'est impossible . Le terme spécifique
« maghrébin », un peu suranné, mais brusquement utilisé par de nombreux médias ne vient pas de nulle
part : s'il a été choisi de préférence à « musulman »
ou d' "origine maghrébine » ou « issu de
l'immigration » , c'est qu'il est le qualificatif utilisé par
les orateurs du rassemblement pré-ratonnade.Cette reprise des mots même des manifestants rend d'autant plus criante le traitement médiatique réservé à ce que les médias présentent comme les "maghrébins" ou les "musulmans" de la plage: aucun témoignage n'est relayé, et bien plus significatif , aucune explication sur l'absence de toute référence à leur version des faits ne figure dans les articles. En admettant même qu'ils aient refusé de parler à la presse, une des règles du journalisme qui se veut objectif est évidemment de faire mention du refus de s'exprimer des protagonistes de n'importe quelle affaire...sauf quand ceux-ci ne sont pas considérés comme égaux aux autres, ou dignes de foi. C'est par exemple le cas lors de l'arrestation de délinquants pris en flagrant délit ou de personnes considérées comme d'ores et déjà exclues des droits ordinaires, par exemple, les personnes soupçonnées de terrorisme.
D'autres médias, eux ,
on fait de la ratonnade une « rixe à cause d'un burkini » comme 20 minutes.
Ce sera donc cette
deuxième version et justification de la tentative de ratonnade qui
sera finalement retenue globalement, par les médias, par le maire de la commune et d'autres élus de Corse. Le maire de Sisco, sans aucun scrupule prendra immédiatement un arrêté anti-burkini, comme d'autres avant lui. Y-a-t-il même eu un burkini sur cette plage précise ? C'est de peu d'importance, finalement, pour la suite d'un Evènement que des forces politiques puissantes et racistes ont de toute façon imposé, cet été indépendamment du réel.
La boucle sera enfin
bouclée par Laurence Rossignol, Ministre, qui ce 15 août choisit de
faire une déclaration, non pas sur la violence raciste, mais sur la
nécessité d'une action « de gauche » contre le burkini.
Tandis que Jean-Pierre Chevènement, pressenti par le gouvernement
pour présider une « Fondation de l'Islam de France »
conseille aux musulmans de se « montrer discrets ».
Qu'arrivera-t-il à
celles et ceux qui ne seront pas considérés comme suffisamment
discrets ? Nous avons déjà la réponse car d'autres avaient
déjà donné ce conseil. Début août, le FLNC était repris avec
délectation par tous les médias, et présenté comme déterminé à
combattre Daech , suite à un communiqué où il « demandait »
aux musulmans de ne pas « porter de signes religieux
ostentatoires" et annonçait des représailles contre celles
et ceux qu'il désignerait arbitrairement comme complices de Daech. Comme on le
voit, le sentiment selon lequel l'appel à la « discrétion »
n'avait pas été suivi en ont amené certains à mettre en œuvre
les représailles, très vite.
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