Serge Ayoub et Claude Hermant, |
C'est un extrait du compte rendu d'audience fait par une journaliste au procès des 18 prévenus , âgés de 22 à 53 ans qui composaient le White Wolf Klan. La scène décrite est celle du lynchage d'un jeune néo-nazi désigné comme traître par d'autres néo-nazis.
Parmi eux Jérémy Mourain, présenté comme le leader, un jeune homme qui passa dans la presse locale pour la première fois à l'âge de dix-huit ans. Un soir, lui et d'autres néo-nazis avaient choisi un peu au hasard, beaucoup au faciès , un homme à "ratonner". Ils avaient fait la chose très classiquement , tabassant la victimes à coups de barre de fer.
Parmi eux, Serge Ayoub. Celui-ci apparaissait déjà dans la presse à la fin des années 80, on le vit même parader à la télévision, dans ces années là, invité pour faire le spectacle et le faisant fort bien, à condition d'apprécier les parodies du 3ème Reich. En 1990, déjà Serge Ayoub fut mêlé à une histoire de ratonnade, celle qui finit par la mort de James Dindoyal, un soir de beuverie raciste pour deux des lieutenants d'Ayoub de l'époque.
Ce meurtre là, dans une mouvance dont il était déjà la star, n'empêchera pas que les chaînes d'information invitent Serge Ayoub , qui paradera de nouveau sur les écrans, un soir de 2013, alors qu'un jeune antifasciste, Clément Méric vient d'être tué par d'autres petits soldats du chef néo-nazi. Pour donner "sa version des faits".
La scène pourtant hallucinante ne choquera pas grand-monde. Serge Ayoub avec ses outrances et son cirque sordide de Poujadiste body buildé est télégénique, Dieudonné l'a bien compris qui l'invitera lui aussi, suite à son passage dans des médias qu'on aurait pu croire plus sélectifs que l'antisémite patenté.
Le néo-nazisme en France est ainsi vécu : un truc de "groupuscules" folkloriques et insignifiants, qui, de temps en temps, fait des morts et des blessés. James Dindoyal, assassiné le 18 juin 1990. Brahim Bouarram assassiné le 1er mai 1995. François Chenu , assassiné le 14 septembre 2002, par des néo-nazis arrêtés le 1er mai de la même année pour avoir tenté de ratonner Abdel S. , mais relâchés juste après les présidentielles.
Clément Méric , assassiné le 5 juin 2013. Et bien d'autres Quant aux blessés ils sont juste innombrables, et on les croise en général seulement dans les brèves de la presse locale.
Clément Méric , assassiné le 5 juin 2013. Et bien d'autres Quant aux blessés ils sont juste innombrables, et on les croise en général seulement dans les brèves de la presse locale.
Parfois, il faut des années pour savoir qu'un crime atroce a été commis par des néo-nazis. C'est en 2016, que deux frères sont arrêtés pour avoir violé une fillette en 2004, à la sortie d'un meeting d'extrême-droite. Ils voulaient faire accuser " des étrangers", et en tout cas ne seront retrouvés que par hasard, des années plus tard.
En France, on cherche peu les néo-nazis. Et même quand on les a trouvés, on les laisse courir et agir . Au début des années 2010, alors que Serge Ayoub formait les jeunes tueurs de Clément Méric et les néo-nazis du White Wol Klan, une de ses vieilles connaissances Claude Hermant, qui commença sa carrière dans le service d'ordre du FN, animait la Maison Flamande dans le Nord. La "Maison" qui entre autres choses organisait des stages commando , avait pignon sur rue. Dans l'arrière salle, Hermant faisait du trafic d'armes, et indicateur de police aussi. Ses armes ont servi à l'attentat de l'Hypercacher.
La petite histoire des néo-nazis croise parfois celle de ceux que tout le monde s'accorde à reconnaître comme terroristes et pas comme "jeunes paumés", comme "groupes armés", et pas comme "groupuscules". Mais en France de ces croisements là, on ne fait pas toute une Histoire.
Ce n'est plus le cas ailleurs en Occident.
Ce n'est pas une question de
sensibilité antifasciste plus forte, mais une question de nombre de
morts et de fréquence des attentats.
La tuerie raciste perpétrée dans une mosquée de Quebec en janvier 2017 , par un jeune étudiant islamophobe a fait six
victimes. L'attentat est intervenu moins d'un mois après le procès
de Dylan Roof qui avait, lui, choisi une église de Louisiane
fréquentée par la communauté noire pour agir exactement de la même
manière le 19 juin 2015: entrer et tuer neuf personnes.
Entre ces deux tueries,
les attaques destinées à tuer ont frappé un peu partout en Europe
et aux Amériques : en octobre 2015, l'actuelle maire de Cologne en campagne se fait poignarder par une jeune raciste et en
réchappe.
Le 16 juin 2016, Jo Cox
députée anglaise est poignardée à mort par un néo-nazi membre
d'un groupe américain avec lequel il était en contact depuis des
années par le biais des forums et des réseaux sociaux.
Le 21 juillet 2016, un
jeune homme abat neuf personnes dans un Mac Donalds à Munich.
L'attentat est d'abord attribué à Daech, alors que la tuerie a été
commis le jour anniversaire du massacre de masse commis par Breivik.
Finalement, comme cet élément le laissait présumer, le tueur
s'avère être fasciné par Hitler et avoir agi avec des mobiles
racistes.
En octobre de la même
année, un policier hongrois est abattu par un néo-nazi lors d'une
opération de police à son domicile. En décembre, aux Etats Unis,
un homme tire à l'arme lourde dans une pizzeria fréquentée par
Hilary Clinton et désignée par les médias trumpistes comme lieu
d'un trafic pédophile.
La fréquence des
attaques armées, le nombre des victimes commence donc à apparaître
au grand jour au fur et à mesure que la menace s'intensifie.
La plupart de ces tueursprésentent des caractéristiques similaires : ils se sont
socialisés au moins partiellement de manière virtuelle, et se
reconnaissent dans une mouvance qui n'a pas de réelles frontières,
bien plus que dans l'appartenance nationale à tel ou tel groupe.
Pour la plupart, ils affichaient ouvertement leurs convictions et
bien souvent leur intention de passer à l'acte sur les forums
néo-nazis, mais aussi sur ceux des extrême-droites parlementaires.
La plupart sont jeunes et s'ils ont agi en solitaires, ce n'est pas
par désintérêt pour les mouvances organisées mais parce qu'ils
souhaitaient manifestement laisser leur nom dans l'Histoire et
dépasser le stade du militantisme collectif tourné vers une
violence d'intensité globalement un peu plus basse, celle des Ayoub et des Mourain, mais qui aboutit aussi au meurtre.
Ce qui les distingue d'autres militants d'extrême-droite, ce n'est pas une adhésion plus forte aux théories racistes, mais assez souvent des pulsions autodestructrices qui les amène soit au suicide, comme le tueur de Munich , soit à tout faire pour être condamné à mort, comme cela a été le cas pour Dylan Roof.
Ce qui les distingue d'autres militants d'extrême-droite, ce n'est pas une adhésion plus forte aux théories racistes, mais assez souvent des pulsions autodestructrices qui les amène soit au suicide, comme le tueur de Munich , soit à tout faire pour être condamné à mort, comme cela a été le cas pour Dylan Roof.
Car, pour ce qui est de
la violence, leurs actes s'inscrivent dans une montée en puissance
globale de la violence raciste organisée : lorsque les
circonstances semblent favorables, ce sont non pas quelques individus
qui passent à l'acte mais des centaines et des milliers : après
le Brexit, au Royaume Uni, une vague de violence raciste ,
antisémite, islamophobe et homophobe frappe tout le pays. De la même
manière après l'élection de Donald Trump, mosquées et synagogues
sont incendiées ou profanées avec des symboles racistes, dont la
croix gammée, tandis que les agressions individuelles se multiplient
à une vitesse exponentielle.
En Allemagne, le
mouvement islamophobe Pegida et la montée en puissance électorale
de l'AFD s'accompagnent d'attaques ininterrompues contre les lieux
d'accueil des migrants, incendies et même attaques à la bombe
défraient la chronique.
C'est le deuxième niveau
de l'activisme fasciste, les campagnes de violence massive, qui
cumulent les attaques graves contre les personnes et les biens, et
les actions de basse intensité : celles-ci sont aussi
internationalisées et utilisent les mêmes symboles à travers tout
l'Occident. Accrocher des abats de porcs ou de sanglier sur les
mosquées, le tout souvent assorti d'une croix gammée est ainsi devenu le happening nocturne préféré des
militants d'extrême-droite aussi bien en France qu'au Canada.
Le troisième niveau a
lui aussi passé un cap : il a le visage du Président des États-Unis, Donald Trump. L'homme le plus soutenu par l'extrême-droite
mondiale après Poutine. L'homme qui a affiché sur Twitter le
symbole des suprémacistes blancs, Pepe la Grenouille. L'homme qui
gouverne avec Steve Bannon, tenancier d'un des médias
conspirationnistes racistes les plus lus au monde.
Quiconque veut bien
prendre un tout petit peu de hauteur a donc une vue d'ensemble
parfaitement claire : une extrême-droite mondialisée avec son
sommet qui compte désormais deux chefs d’États parmi les plus
puissants au monde. Une base immense qui se socialise désormais en
ligne et agit non pas seulement en sortant de réunions physiques mais en
répondant aux consignes données par des médias internationaux
ayant leurs déclinaisons locales dans tous les pays occidentaux. Une
base qui n'a nul besoin d'aller assister à des conférences pour se
gaver de propagande mais peut acquérir tout le corpus fasciste en se
connectant instantanément aux mêmes médias, qui font de la
désinformation en temps réel, mais proposent aussi un background
historique et théorique.
Pour ce qui est de la
violence, d'ailleurs, si les sites les plus radicaux ne se privent
pas d'y appeler, les plus visités ont une autre méthode , la
propagande par l'exemple qui fonctionne parfaitement bien : en
France, l'un des sites qui recense le plus précisément les actes de
haine à travers le monde , et ne rate pas un seul acte raciste dans
l'Hexagone n'est pas celui d'une organisation progressiste, mais
Fdesouche . Grâce à ce qui est devenu un des médias les plus
visités en France, le jeune fasciste le plus isolé qui soit,
connaîtra quasiment en temps réel, les actions solitaires commises
partout contre des mosquées, des locaux de gauche , des synagogues
et les codes de reconnaissance qui vont avec. Il saura donc qu'il
n'est pas seul et que son acte, ou celui de ses quelques Kamarades, en apparence isolé s'inscrira bien
dans des campagnes très vastes
Oui, mais alors, pourquoi
la France est-elle épargnée ? La question revient souvent dans
les débats, posée de bonne foi, souvent, mais aussi pour minorer la
menace d'extrême-droite, et insister sur le danger unique de Daech.
En réalité la France n'est pas « épargnée » : en
décembre dernier par exemple, un homme a été poignardé dans le
bus, par un raciste qui avait l'intention de tuer celui qu'il avait désigné comme « salafiste ». Plusieurs attaques
incendiaires graves ont visé des locaux destinés aux réfugiés
pendant tout l'hiver.
Les réseaux néo-nazis
sont identifiés: plusieurs d'entre eux ont eu quelques ennuis
policiers récemment, et à chaque perquisition on a trouvé des
armes chez les militants.
On ne se situe donc pas
dans le cadre d'une réalité française différente de celle des
autres pays occidentaux, mais dans une perception de la réalité qui
diverge sur la menace de la violence néo-nazie.
Revenons-en aux néo-nazis du White Wolf Klan. Libération les appelle "nazillons"et "bras cassés . Le Monde note qu'"il sera peu question de l'idéologie néo-nazie" à l'audience....et n'en parle guère non plus dans l'article, préférant aligner des éléments de peu d'intérêt comme le costume-cravate de Serge Ayoub. LCI met sur le même plan dans le titre de son article les "ratonnades" et les "vols de viande". La plupart des articles consacrent d'ailleurs autant de paragraphes aux délits mineurs de droit commun commis par les prévenus qu'à leurs actes racistes , leurs actions de réprésailles avec actes de torture contre d'autres membres de leur mouvance. Malgré la relative médiatisation de l'affaire, ce qui se dégage du compte-rendu global , c'est l'image d'un "groupuscule local", de jeunes délinquants déstructurés, une "bande" , un fait divers particulièrement sordide, un peu folklorique et isolé. En résumé, quelque chose qui appelle tout, sauf une analyse et une réponse sociale et politique. C'est d'ailleurs le sens profond du suffixe "illon" appliqué à nazis. Qui parle de "djihadillons" , même lorsque des interpellés ne sont pas allés jusqu'à l'attentat ?
Beaucoup d'articles se concluent d'ailleurs benoitement sur une information pourtant significative : Serge Ayoub a fondé un nouveau groupe, un "gang de motards", nous dit-on.
Dans la France de 2017, sous l'état d'urgence, on laisse donc les "gangs" néo-nazis se développer à visage découvert. On ne ferme pas les locaux où alternent concerts avec saluts hitlériens et petites sauteries racistes après les congrès du FN, ni les librairies négationnistes même lorsqu'elles sont filmées en caméra cachée et que le documentaire passe en prime-time sur C8.
Les victimes du néo-nazisme tombent au fil des années sans qu'on les relie entre elles. James Dindoyal, Brahim Bouarram, Clément Méric, François Chenu ne sont que les victimes de "groupuscules de bras cassés".
Les ratonnés, les tabassés, les agresséEs , toutes celles et ceux dont les restaurants, les locaux, les lieux de cultes, les hébergements sont incendiés, comptent peu, car on ne les compte jamais qu'une par une.
Quant aux jeunes néo-nazis, on ne demandera à personne de les plaindre. Mais on est pas forcés de les déshumaniser: on est en droit de se demander ce qu'aurait pu ne pas devenir Jérémy Mourain, qui n'a même pas trente ans et a commencé sa carrière jeune mineur. Il n'y avait aucune fatalité à ce qu'il croise les bars et les Maisons Identitaires, aucune fatalité à ce qu'il fantasme sur un Serge Ayoub à la parade depuis trente ans, aucune fatalité à ce que personne , à un moment donné, ne se préoccupe du fait que des jeunes gens en soient à monter des organisations armées dont le nom renvoie à ceux des suprémacistes blancs américains, dont les meurtres sont innombrables. Il n'y avait aucune fatalité non plus à ce qu'un barbouze comme Claude Hermant puisse vendre des armes qui allaient tuer les victimes d'un attentat antisémite tout en tenant une friterie où l'on apprenait à ratonner.
Seulement, à l'heure où la "déradicalisation" est devenue le mot à la mode, force est de constater que la radicalité néo-nazie est en France un élément du décor très bien toléré.
Et le verdict du procès du White Wolf Klan le démontre une fois de plus.
Et le verdict du procès du White Wolf Klan le démontre une fois de plus.
Forcément , nous sommes dans un pays où la candidate qui arrive en tête des sondages a parmi ses bras droits un vétéran d'un groupe mythique du néo-nazisme, le GUD.
Naturellement, aucun article de presse ne mêlera les noms d'Axel Loustau, de Frédéric Châtillon et de Jérémy Mourain. Les premiers sont les alliés d'une extrême-droite devenue respectable, le second fait partie des soldats perdus sacrifiés sans y penser. Un "nazillon", ça ne compte pas. Ses victimes non plus.Jérémy Mourain a donc été condamné à neuf ans de prison, c'est le seul mandat de dépôt prononcé à l'audience. Serge Ayoub est relaxé une nouvelle fois, libre d'aller créer d'autres groupes armés, d'enrôler d'autres jeunes nazis.
MEMORIAL 98
MEMORIAL 98
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