"Un homme, une femme. Un directeur de prison, sa détenue. Un amour impossible, une histoire vraie."
C'est le pitch d’Éperdument, un film de Pierre Godeau. L'"histoire vraie" dont il est question est l'assassinat antisémite avec tortures et actes de barbarie d'Ilan Halimi. Parmi les bourreaux, une jeune fille, qui joua un rôle essentiel. C'est elle qui permit le kidnapping initial d'Ilan en lui donnant rendez-vous, afin que d'autres puissent l'enlever.
Alors qu'elle purgeait sa peine de 9 ans de prison ( elle en fit finalement 6), Emma A. eut une liaison avec le directeur de la prison, Florent Gonçalves, qui la fit bénéficier, sur la durée, de tous les droits que les autres détenues n'avaient pas. Liaison finalement dénoncée, ce qui valut au directeur une révocation et une condamnation. L'homme en fit un livre, intitulé "Défense d'aimer", où il se présente comme une victime de l'amour et de la société qui ne comprit pas cet amour. Comme il n'y a pas de petits profits, et qu'on ne vit pas que d'amour et d'eau fraîche, le livre fait aujourd'hui l'objet d'une nouvelle promotion , et les exemplaires sont accompagnés d'un nouveau bandeau reproduisant l'affiche du film .
Ça marche visiblement. Parmi tous les films sortant ce mercredi, TF1 aura par exemple choisi "Éperdument", pour sa promo du mardi soir. Avec l'infâme petite précision qui accompagne
la présentation, l'air de rien. "Inspiré d'un fait divers", puis la
mention du nom d'Ilan Halimi, en passant, deux secondes , avant
d'enchaîner sur les gros plans de scènes torrides et sexy et l'éloge de
l'actrice.
Certains invoqueront la liberté de création, le choix de traiter un angle et pas un autre. Foutaises. Si l'objet, c'était la
thématique rebattue du geôlier et de la belle prisonnière, et seulement
celui-là, il n'y avait nul besoin de rattacher la chose à l'horreur du
meurtre d'Ilan Halimi.
Non, il s'agit bien aussi de racoler autour de l'horreur. De montrer au passage des images de la vraie fille dans des poses sexy, mais les yeux floutés, de rameuter le spectateur qui avait entendu parler de l'affaire.
Mais comme c'est une "histoire d'amour passion", bien sûr on n'attrape pas la mouche spectatrice avec du vinaigre. Aussi bien, les médias ne prononcent jamais le mot antisémite dans les critiques du film, bien qu'ils fassent systématiquement mention de l'"histoire vraie" dont il s'inspire et de la mort d'Ilan Halimi. Lorsque le magazine Première interroge Guillaume Galienne sur les motivations qui auraient, par exemple, pu amener le directeur de prison à s'intéresser spécifiquement à cette détenue, celui -ci balaie d'un revers de main rigolard l'évocation des raisons pour lesquelles la complice du Gang des Barbares était en prison: " Bon, en même temps chacun son trip, si le vôtre est de savoir ce qu’il y a dans le dossier !", rétorque-t-il au journaliste.
Un trip sexy sur un assassinat antisémite et ses développements sordides, donc. Les artistes et les créateurs ont tous les droits, même celui d'être ignobles, visiblement. Et prudents au niveau juridique. Ainsi, dans le dossier de presse du film, les phrases sont soigneusement pesées. La référence à l'"histoire vraie" est partout, et le nom du directeur de la prison est cité puisqu'il s'agit d'une adaptation de son livre. En revanche le nom d'Ilan Halimi ne figure nulle part, ce qui rendrait plus difficile, voire impossible un recours judiciaire éventuel de la famille. Mais la présentation est évidemment suffisamment explicite pour que les médias, eux, fassent la référence immédiatement. Il suffit pour s'en convaincre de taper "Ilan Halimi" dans Google Actus: les références à des articles traitant du film "Éperdument", y voisinent avec ceux traitant des commémorations du dixième anniversaire du meurtre du jeune homme.
Peut-on d'ailleurs vraiment croire au hasard, concernant la date de sortie du film qui coïncide avec ce triste anniversaire ?
Il y a dans tout cela, l'indice indéniable de petits calculs sur le réel le plus affreux, qui rend ineptes toutes les défenses artistiques possibles. Si le cinéma comme la littérature peuvent évidemment, et avec succès, s'attacher à dépeindre les nuances et les contradictions des êtres humains, si humaniser même les auteurs ou complices de crimes atroces peut être positif, il s'agit là de tout autre chose. Gommer le crime tout en s'en servant pour faire connaître l’œuvre relève de l'exploitation la plus sordide qui soit.
Évidemment, le fait que cette manipulation concerne un crime raciste n'est pas indifférent, mais démontre bien au contraire, l'indifférence sociale qui s'installe quant aux victimes de ces crimes, dont on peut bafouer la mémoire, sans trop se préoccuper d'éventuelles conséquences pour la réussite d'une "œuvre" . Face à "Éperdument", seuls les mots "embarras" ou gêne" sont prononcés par les critiques.
Des mots ambigus, car ce n'est certes pas au spectateur ou au critique d'être gêné ou embarrassé. Révolté , en colère, écœuré , et surtout déterminé à dénoncer l'ignominie.
Par exemple sur le mur Facebook du film en clickant ici ou sur celui de l’acteur Guillaume Galienne ici. : On peut aussi réagir sur le site Alllociné: on peut y poster des commentaires mais surtout noter en "étoiles"
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