jeudi 8 avril 2021

Génocide des Tutsi 1994: justice exigée contre les complicités françaises

                                


 

                                            Portraits de victimes du génocide
 

Mise à jour du 28 avril 2021:

Nouvel assaut négationniste des fidèles de Mitterrand. Une partie de ses anciens ministres ( dont Jack Lang et Jean-Luis Bianco) co-signent dans l'Obs une tribune manifestement rédigée par Hubert Védrine, lui aussi signataire. Celle-ci reprend en effet mot pour mot les arguments mensongers déjà présents dans un texte de ce dernier publié sur le site  l’Institut François-Mitterrand datée du 2 avril

Ce plaidoyer prétend s'appuyer sur le rapport Duclert et un rapport dit Muse, issu d'une commande des autorités rwandaises actuelles. Mais ces deux rapports, bien qu'incomplets en raison de l'impossibilité d'accéder à certaines archives, représentent déjà une démonstration éclatante de ce que furent les responsabilités accablantes des autorités de l'époque dans le génocide. 

MEMORIAL 98 

Il y a 27 ans, jour pour jour, débutaient les 100 jours du génocide des Tutsi du Rwanda, qui aboutit à la mise à mort d’un million de personnes.

En cette période de pandémie, les cérémonies organisées par nos partenaires de Ibuka France  se déroulent essentiellement à distance par Zoom. 

Memorial 98 participera ainsi à une table ronde le dimanche 11 avril de 11H à 13 H sur le thème  Lutter pour l'universel : mener son combat, ceux des autres et celui de l'humanité .

La commémoration du vingt-septième anniversaire du génocide des Tutsi est dominée par le débat ouvert sur des responsabilités des autorités françaises de l’époque. En 2019, lors du  vingt-cinquième anniversaire, Emmanuel Macron fut amené à prendre une initiative car la chape de plomb qui entourait la mise à jour des responsabilités françaises était  en train de craquer grâce à la détermination des survivants du génocide et à des militaires français qui avaient décidé de témoigner.

Il créa donc une commission d’historiens censée faire la lumière sur la période des années 1990-1994.

La composition de la commission Duclert (nom de son président) fit  l’objet de protestations de la communauté historienne, après l’annonce de la mise à l’écart de deux des principaux spécialistes français du sujet : Hélène Dumas seule experte à maîtriser la langue utilisée au Rwanda (kinyarwanda)  et Stéphane Audoin-Rouzeau, directeur d’études à l’EHESS. 

Ce dernier, qui disait avoir été reçu par la cellule Afrique de l’Élysée quelques jours avant l’annonce, expliquait qu’on lui a laissé entendre que « certains de [ses] écrits sur le rôle de l’armée française au Rwanda avaient pesé dans la balance et que [sa] présence serait une source de blocage. Et ce, après m’avoir expliqué au préalable que mes travaux avaient contribué à motiver la création de cette commission ».  

 Le rapport de la commission Duclert, tout juste rendu pointe un «ensemble de responsabilités, lourdes et accablantes pour la France ». Mais cette commission, en attribue la cause à ce qu’elle nomme l’ « aveuglement » des autorités françaises et exonère les responsables d’alors d’une complicité dans le déroulement du génocide.

Or le rapport lui-même prouve exactement le contraire puisqu’il indique que « La France s’est néanmoins longtemps investie au côté d’un régime qui encourageait des massacres racistes. Elle est demeurée aveugle face à la préparation d’un génocide par les éléments les plus radicaux de ce régime. Elle a adopté un schéma binaire opposant d’une part l’ami hutu, incarné par le président Habyarimana, et de l’autre l’ennemi qualifié d’“ougando-tutsi” pour désigner le FPR [Front patriotique rwandais]. Au moment du génocide, elle a tardé à rompre avec le gouvernement intérimaire qui le réalisait et a continué à placer la menace du FPR au sommet de ses préoccupations. Elle a réagi tardivement avec l’opération Turquoise, qui a permis de sauver de nombreuses vies, mais non celles de la très grande majorité des Tutsi du Rwanda, exterminés dès les premières semaines du génocide. La recherche établit donc un ensemble de responsabilités, lourdes et accablantes. »

Responsables mais pas coupables donc,  selon la célèbre formule qui vise à garantir l'impunité de ceux qui ont laissé commettre des crimes, dont il étaient parfaitement avertis et qu'ils pouvaient aisément faire cesser.

Notons que  le «  gouvernement intérimaire » qui est mentionné ci-dessus est en fait le gouvernement génocidaire. Or il a été validé dans les locaux de l’ambassade de France à Kigali, alors même que les massacres avaient contre les Tutsi déjà débuté.

Nous soutenons donc l‘appel émouvant et fort des rescapés rwandais vivant en France ( ci-dessous), qui exigent que des excuses soient présentées aux victimes et familles endeuillées. Ils refusent à juste titre l’excuse de « cécité » et d’ « aveuglement » dont auraient été victimes les autorités française

« En 1994, nous étions pourchassés, traqués, renvoyés à la condition animale par nos meurtriers parce que nous étions nés tutsi. Dans ces moments d’immense solitude, envahis par une peur extrême de mourir découpés à la machette, nous fabriquions des lueurs d’espoir pour nous accrocher à la vie qui nous échappait à chaque minute qui passait

Puisque nous étions convaincus de notre appartenance à la communauté des humains, beaucoup d’entre nous, jeunes et naïfs, se sont dit que « le monde » viendra nous secourir dès qu’il saura ! D’autres ont vu très tôt leurs espoirs s’évaporer en voyant les soldats étrangers trier ceux qui possédaient les bons passeports pour être évacués. Leur vie et celle de leurs chiens valaient plus que celle des Tutsi.

De moins en moins nombreux au fil des jours et des semaines qui passaient, affamés, trempés jusqu’aux os, lassés, nous avons miraculeusement déjoué la mort. Personne ne sera venu à notre secours. Personne jusqu’à ce que les soldats du Front patriotique rwandais (FPR) arrêtent cette mort programmée au péril de leur vie. Certains d’entre nous pensions jusqu’alors que « le monde » n’avait pas su. Puis, nous avons compris qu’il avait su mais s’était tu.

Progressivement, nous avons compris que l’Etat français en particulier avait choisi le camp de nos bourreaux. Il a soutenu le régime raciste de Habyarimana qui nous obligeait déjà écoliers à nous lever pour décliner notre ethnie. Il a soutenu ce régime ségrégationniste qui nous empêchait par des quotas officiels d’accéder aux études secondaires et universitaires et qui nous excluait d’office de certains emplois. Il a soutenu ce régime qui organisait des pogroms contre les Tutsi.

Prétendue cécité

Un régime qui préparait notre extermination. La France d’alors, dirigée par François Mitterrand, a soutenu ce Rwanda-là malgré les avertissements de certains de ses diplomates, de ses chargés de coopération, de la DGSE, des ONG. De retour du Rwanda, le témoignage émouvant de Jean Carbonare en janvier 1993 sur le plateau du 20 heures de Bruno Masure n’a rien changé. Le soutien a été maintenu et poursuivi en faveur d’un Etat qui commettait le génocide contre nous.

Dès lors, en tant que rescapés, nous ne pouvons admettre ni croire en « l’aveuglement », terme utilisé par la commission Duclert pour expliquer les choix des autorités françaises. Qu’aurait-il fallu de plus pour prévenir cette prétendue cécité ?

Monsieur le Président, il y a deux ans, vous avez reçu des membres d’Ibuka France [« Souviens- toi » en kinyarwanda] qui œuvre pour la mémoire, le soutien aux rescapés et la justice. Suite à cette rencontre, vous avez décidé d’instituer le 7 avril comme journée officielle de commémoration du génocide des Tutsi. Une première étape pour « inscrire le génocide dans la mémoire collective française », selon vos propres termes et nous vous en remercions.

Maintenant que le rapport de la commission d’historiens vous a été livré, nous réclamons une parole officielle forte pour ces 27es commémorations. Elle sera protectrice pour parer aux attaques incessantes et blessantes entretenues par certaines personnalités politiques et militaires. Depuis plus de vingt-cinq ans, le génocide des Tutsi a été occulté en France par un discours qui cherchait à minimiser le rôle des responsables français. Après ce rapport, nous attendons de votre déclaration qu’elle mette fin à ces discours et bannisse la thèse du double génocide qui a été propagée pour semer volontairement la confusion.

Rechercher les responsables

Mais le génocide des Tutsi ne saurait être pleinement inscrit dans l’histoire de France en l’absence de symboles dans l’espace public. A ce jour, seules quelques collectivités locales ont créé des lieux de mémoire : Cluny, Dieulefit, Bègles, Châlette-sur-Loing, Toulouse, Paris et Strasbourg. Il vous appartient de faire ériger, enfin, un mémorial national et de créer un musée sur le génocide des Tutsi. Pour être transmise, cette histoire mérite un lieu de ressource décent pour l’accueillir et la conserver.

Maintenant que les responsabilités françaises qualifiées de « lourdes et accablantes » ont été établies, il est temps d’en rechercher les responsables. Et seul le juge peut le faire à condition d’accéder à toutes les pièces à conviction. Nous ne comprendrions pas que la justice ne puisse disposer de toutes les archives disponibles. Nous ne concevrions pas que vous ne fassiez pas tout ce qui est en votre pouvoir pour que justice nous soit rendue et, ce, de notre vivant.

Monsieur le Président de la République, nous ne pouvons nous résoudre à disparaître un jour sans avoir entendu de réelles excuses d’un président français pour nos enfants innocents, pour nos mères, nos pères, nos frères et sœurs, nos grands-parents, nos oncles et tantes, nos cousins et cousines, nos meilleurs amis, tous assassinés dans des conditions inouïes. Loin de la repentance d’un pays à l’autre, nous vous demandons de le faire pour les victimes, pour les familles endeuillées, pour les rescapés vivant en France que nous sommes.

Signataires : Jeanne Allaire Kayigirwa, Valens Kabarari, Lenualda Munyakazi, Adélaïde Mukantabana, Etienne Nsanzimana, Clotilde Mukamugema, Thérèse Gasengayire, Pamela Gasana, Christelle Isimbi Ndagijimana, Yolande Umuhoza, Denise Millet Uwamwezi, Janvier Gatari, Clémence Narambe, Jeanne Uwimbabazi, Jean-Paul Ruta, Olivier Nasagambe, Gilbert Karamaga, Thierry Ndagijimana, Nasir Rahamatali, Claire Rwabirinda, Evangeline Zimmerman Kamikazi, Manzi Ndagjimana, Irène Bambe, Yves Rukeratabaro, Hakim Rahamatali, Anita Cyabakanga, Beatha Uzayisenga, Francine Uwanyirigira, Sandrine Lorusso, Solange Umulisa, Béatrice Kabuguza, Jean Kalimba kamilindi, Yvonne Kalimba, Esther Umwali, Angelina Umulisa, Marie-Laure Kayitayire, Stella Agasingizo, Aurore Mugeni, Clément Rugamba, Emmanuel Rugema, Assoumpta Kayirangwa, Marie-Amée Karira, Vestine Mukabalisa et Liliane Kanyarutoki."

 

Un génocide planifié et préparé.

C'est en effet le 7 avril 1994 que débutèrent au Rwanda les massacres qui allaient voir la mort d'au moins un million de personnes jusqu'au mois de  juillet de la même année: des individus définis comme Tutsi, constituant la majorité des victimes, mais aussi des Hutu opposés aux partisans de l'idéologie raciste dite "Hutu Power"

D'une durée de cent jours, ce fut le génocide le plus rapide et concentré de l'histoire et celui de la plus grande ampleur quant au nombre de morts par jour de tuerie.

Fruit d'une idéologie raciste mise en œuvre sur des décennies, ce génocide s'est appuyé, pour diffuser la haine, avant et pendant, sur une agitation raciste incessante, notamment à la Radio Télévision des Milles Collines, mais aussi sur les caricatures déshumanisantes de la propagande génocidaire .

Comme pour tous les projets génocidaires, celui-ci s'accompagne ensuite de campagnes négationnistes, de difficultés à faire reconnaître les responsabilités entre autres les responsabilités françaises et à faire vivre la mémoire. Il a fallu attendre 20 ans pour qu'enfin une stèle au Père Lachaise à Paris commémore ce génocide et encore deux ans ans avant que soit inauguré un Jardin de la Mémoire dans un parc parisien.

Des progrès limités ont aussi été réalisés dans le domaine de la justice puisque enfin des génocidaires ont été jugés et condamnés en France. Ces procès doivent beaucoup à l’action de nos amis du Collectif des parties civiles pour le Rwanda qui poursuivent un combat incessant pour que le Parquet et les tribunaux jouent enfin leur rôle. En effet la justice demeure très partielle, lente et laborieuse, malgré l'arrestation de . Des génocidaires présumés lui échappent.

Les habitants de nôtre pays ont un devoir particulier en ce qui concerne le Rwanda. En effet, une partie du combat est aujourd'hui celui de la pleine reconnaissance par l’État français de ses responsabilités.

Or le pouvoir Hutu extrémiste a reçu de manière continue et appuyée le soutien des autorités françaises tant au plan politique, militaire que financier, avant, pendant et après le génocide.

L’entière doit être faite au sujet de cette implication : tous les documents doivent être rendus publics.

On est encore très loin du compte dans ce domaine malgré des annonces retentissantes. La commission Duclert elle-même s’est plainte du caractère fragmentaire de nombreuses archives en principe mises à sa disposition.

Les preuves s'accumulent maintenant quant à la participation des pouvoirs publics français et d’institutions financières (dont la BNP)  à l’exécution du crime.

L’attention se concentre sur Hubert Védrine, qui continue à nier  ses responsabilités et celles de Mitterrand. Ainsi dans une déclaration de l’Institut François-Mitterrand datée du 2 avril il ose écrire que « C’est ce processus (conduit par la France)  que viendra briser le 6 avril 1994 l’attentat perpétré contre l’avion du Président Habyarimana rentrant d’Arusha, attentat qui sera suivi d’une nouvelle offensive du FPR et du déclenchement du génocide. »  Il implique ainsi que le génocide constitue une réponse à un attentat et à une offensive dont le FPR serait responsable. Le négationnisme est ici avéré.

 

A ce moment (1993-1995) Mitterrand était président et Balladur chef d’un gouvernement de cohabitation, suite aux élections de 1993. Hubert Védrine, secrétaire général de la présidence, jouait un rôle capital et bénéficiait de l’entière confiance du président.    

Mitterrand et Védrine étaient particulièrement complaisants à l’égard des chefs Hutu, considérés comme favorables à la France car francophones, alors que les dirigeants Tutsi, qui avaient dû se réfugier en Ouganda étaient considérés comme favorable au monde anglophone.


De plus Mitterrand défendait la thèse négationniste du « double génocide », selon lequel les torts étaient partagés entre génocidaires et victimes. Ainsi après le sommet franco-africain de Biarritz en 1994, il lance à un journaliste qui l’interroge : “De quel génocide parlez-vous, monsieur ? De celui des Hutus contre les Tutsis ou de celui des Tutsis contre les Hutus ? ”

                                           

Védrine a de son côté défendu l’auteur négationniste Pierre Péan en 2008 ( décédé depuis)  lors du procès de ce dernier après la parution de son livre sur le Rwanda « Noires fureurs, blancs menteurs ». Le déroulement de ce procès démontre les ressorts et arguments des négationnistes, si proches de ceux qu’on retrouve dans des cas semblables (lire ici le compte rendu qu'en fit Memorial 98)

   

C’est dans cette sphère du déni qu’avait aussi agi le juge « anti-terroriste » Jean-Louis Bruguière chargé d’une enquête sur l’attentat qui le 6 avril 1994, toucha l’avion transportant le président du Rwanda Habyarimana, abattu par deux missiles à son approche de l’aéroport de la capitale Kigali.

Bruguière conclut, au terme d’une enquête partiale conduite depuis Paris, sans déplacement sur les lieux de l’attentat, à la responsabilité des rebelles tutsi (FPR) ; il lança des mandats d’arrêt internationaux contre de hauts responsables du FPR au pouvoir à Kigali.

Suite aux  conclusions du rapport Bruguière, les thèses négationnistes se renforcèrent et obtinrent une sorte de droit de cité dans le discours public, notamment français. L’attribution au FPR de la responsabilité de l’attentat du 6 avril a servi  à protéger des questions embarrassantes les dirigeants politiques de cette époque de cohabitation : Mitterrand, Balladur, Léotard, Juppé,  Roussin, Hubert Védrine, les responsables militaires et tous les officiels ayant joué un rôle dans la complicité militaire, politique, diplomatique et financière de la France dans le génocide.

Bruguière, parti à la retraite avant une carrière politique dans les rangs de l’UMP, son successeur, le magistrat anti-terroriste Marc Trévidic se rendit à Kigali en 2012, ce que n’avait jamais fait Bruguière, et aboutit à des conclusions totalement inverses sur le déroulement de qui allait constituer le prétexte de la mise en œuvre du crime.

 

C’est pourquoi nous soutenons et partageons pleinement le combat de nos amis et partenaires de Ibuka-France Mémoire, du CPCR et de Survie afin que la vérité se fasse jour et que les coupables éventuels soient jugés. On notera que Védrine est toujours présent sur la scène politique et médiatique. Il semble qu’il soit écouté par Macron. Il serait même  à l’origine du tournant consistant à s'allier avec Bachar El Assad sous prétexte de « lutter contre le terrorisme » alors que Assad en est le principal responsable et parrain. Védrine a aussi beaucoup de sympathie « réaliste » envers Poutine. 

Dans ce domaine de la responsabilité des États la justice des Pays-Bas a émis un verdict historique, bien qu'incomplet et frustrant. Elle juge que les autorités de son pays ont laissé se dérouler le génocide de Srebrenica ( en juillet 1995, un an à peine après celui des Tutsi), sans permettre le sauvetage des personnes qui tentaient de se réfugier dans l'enclave des Casques Bleus néerlandais présents sur place. C'est le résultat d'une longue bataille des victimes et de leurs avocats avec le soutien d'ONG néerlandaises et internationales, mobilisées pour la justice et contre l'impunité.

Cette reconnaissance est importante car elle trace la responsabilité des gouvernements qui laissent se dérouler des génocides et crimes contre l'humanité et n'interviennent pas pour sauver des vies humaines. C’est dans le même sens que nous devons agir afin que soit levée la chape de plomb de la dissimulation au nom de la raison d’État.

 

En effet, à l’inverse, l'impunité des auteurs des génocides et massacres représente un facteur évident de récidive et de perpétuation des actes génocidaires.  On se souvient notamment du propos de Hitler trouvant un encouragement dans la manière dont le génocide arménien de 1915 était nié :
« Mais qui se souvient encore du massacre des Arméniens ? » déclarait-il dans une allocution aux commandants en chef de l'armée allemande le 22 août 1939, quelques jours avant l'invasion de la Pologne.
 

C'est pourquoi, plus que jamais et en permanence,  la mémoire des génocides nourrit nos combats. 

 

Le génocide des Tutsi est également le récit d'une horreur absolue, dans laquelle des voisins massacrent ceux qu'ils connaissent et fréquentent. Des victimes supplient qu'on les tue avec une arme à feu  afin d'échapper à la machette et au gourdin mais pour cela les massacreurs exigent qu'ils payent le le prix de la balle. De manière croissante des livres et témoignages rendent compte de ces atrocités. Les femmes subirent un sort particulier avec les très nombreux viols et tortures particulières. Les survivantes luttent pour leur dignité et se regroupent comme celles de la maison de Kigali qui ont écrit le récit de leurs souffrances et de leurs combats.

C'est un immense champ de mémoire et de solidarité qui est en train de s'ouvrir et auquel nous appelons à participer, pour que justice soit faite. 

Nous poursuivrons ce combat, avec nos amis d’Ibuka et de toutes celles et ceux qui veulent combattre le négationnisme et faire éclater la vérité.

Voir d’autres textes et dossiers de Memorial 98 sur le génocide des Tutsi:


http://info-antiraciste.blogspot.com/2019/04/genocide-des-tutsi-au-rwanda-le.html ( le tournant du 25e anniversaire et la contre-offensive de Védrine appuyé par d'anciens ministres socialistes)

 http://info-antiraciste.blogspot.com/2020/05/genocide-des-tutsi-lorganisateur-et.html
sur les génocidaires qui ont trouvé refuge en France

 https://info-antiraciste.blogspot.com/2020/04/genocide-des-tutsi-au-rwanda-un-26e.html





MEMORIAL 98

 

 

Nous reproduisons ci-dessous des extraits du rapport de la Commission Duclert publiés dans la pres

« La crise rwandaise s’achève en désastre pour le Rwanda, en défaite pour la France, écrivent-ils. La France est-elle pour autant complice du génocide des Tutsi ? Si l’on entend par là une volonté de s’associer à l’entreprise génocidaire, rien dans les archives consultées ne vient le démontrer. La France s’est néanmoins longtemps investie au côté d’un régime qui encourageait des massacres racistes. Elle est demeurée aveugle face à la préparation d’un génocide par les éléments les plus radicaux de ce régime. Elle a adopté un schéma binaire opposant d’une part l’ami hutu, incarné par le président Habyarimana, et de l’autre l’ennemi qualifié d’“ougando-tutsi” pour désigner le FPR [Front patriotique rwandais]. Au moment du génocide, elle a tardé à rompre avec le gouvernement intérimaire qui le réalisait et a continué à placer la menace du FPR au sommet de ses préoccupations. Elle a réagi tardivement avec l’opération Turquoise, qui a permis de sauver de nombreuses vies, mais non celles de la très grande majorité des Tutsi du Rwanda, exterminés dès les premières semaines du génocide. La recherche établit donc un ensemble de responsabilités, lourdes et accablantes. »

La commission rappelle que « les autorités françaises ont fait preuve d’un aveuglement continu dans leur soutien à un régime raciste, corrompu et violent, pourtant conçu comme un laboratoire d’une nouvelle politique française en Afrique, introduite par le discours de La Baule », prononcé en juin 1990 par François Mitterrand. Pourquoi ce soutien ? L’analyse est faite depuis longtemps.

Après son indépendance en 1962, faisant suite à la domination belge, le Rwanda a développé une grande proximité avec la France. Juvénal Habyarimana, arrivé au pouvoir en 1973, et François Mitterrand vont nouer une vraie connivence, qui se manifeste notamment par un appui aux Forces armées rwandaises (FAR). Déclenchée en octobre 1990, l’opération Noroît a officiellement pour mission de protéger les ressortissants français au Rwanda face à l’offensive du Front patriotique rwandais (FPR). Des violences ciblent déjà les Tutsi et l’opposition, des appels à la délation sont lancés, des exécutions ont lieu.

La France prétend proposer une relation transactionnelle : un soutien politique et militaire au régime, seul légitime pour Paris car représentant la majorité hutu, en échange d’une démocratisation bien improbable. L’« ennemi » tutsi, lui, est qualifié de menace étrangère, de guérilla extérieure. Cette présentation va servir pendant quatre ans à délégitimer le FPR, qui ne serait qu’une excroissance de l’Ouganda anglophone. Ce qui est en jeu, c’est à la fois la défense d’un régime ami, et celle de la francophonie, de la zone d’influence française.

« La commission a démontré l’existence de pratiques irrégulières d’administration, de chaînes parallèles de communication et même de commandement »

Alors que le cercle des extrémistes hutu autour du président Habyarimana est identifié très tôt par le colonel René Galinié, attaché de défense à Kigali, le soutien au dirigeant rwandais demeurera jusqu’au bout inconditionnel. Le Front patriotique rwandais, lui, est présenté comme « un parti manipulateur, insincère, faussement politique et national », « ethnique et étranger », bref « un ennemi de la France », selon le rapport Duclert. « Fortement investie au Rwanda à partir d’octobre 1990, la France adopte la vision racialiste sans réaliser la contradiction qu’elle installe avec le projet de démocratisation » qu’elle prétend promouvoir en appuyant les accords d’Arusha, entre pouvoir et opposition.

La coopération militaire avec le régime hutu est si étroite que ce dernier continue, après le déclenchement du génocide, à réclamer des armes à la France, comme une évidence, un partenariat indéfectible. Une fiche de la Direction du renseignement militaire (DRM), en date du 15 avril 1994, « fait remonter des demandes précises de munitions et d’aide au transport d’armements achetés en Israël et en Pologne », formulées par l’attaché de défense de l’ambassade du Rwanda à Paris.

« La réponse apportée n’est pas connue », reconnaît la commission. Les archives étant très parcellaires, « il est impossible de rendre compte avec certitude de l’existence de flux d’armes transitant de la France vers le Rwanda » après le 7 avril. Mais, le 25, une nouvelle demande rwandaise de fourniture d’armements est signalée, dans une note du Quai d’Orsay. Sur cette question très sensible, aux nombreuses zones grises, les historiens atteignent les limites de leur exercice.

« L’ordre par la voix »

L’une des occurrences importantes dans le rapport est le mot « parallèle », comme hiérarchie ou circuit parallèle. La confiscation du dossier rwandais par François Mitterrand est allée jusqu’à un contournement des ministères et des administrations figurant dans les chaînons habituels de la prise de décision. « La commission, écrivent les historiens, a démontré l’existence de pratiques irrégulières d’administration, de chaînes parallèles de communication et même de commandement, de contournement des règles d’engagement et des procédures légales, d’actes d’intimidation et d’entreprises d’éviction de responsables ou d’agents. » Derrière la façade démocratique et institutionnelle de l’Etat français se dessinent des pratiques qui ne relèvent ni de l’une ni de l’autre.

« L’implication très grande des militaires français dans la formation des Forces armées rwandaises », d’octobre 1990 jusqu’au génocide d’avril 1994, et la transformation de ce pays africain en « laboratoire » – autre occurrence du rapport – portent la marque personnelle du président. Le secrétaire général de l’Elysée est alors Hubert Védrine. Il lit tout, annote souvent de quelques mots secs, organise la circulation de l’information. Il veille à la mise en musique des directives présidentielles. « A chaque moment de crise, une note vient radicaliser les options, cliver les situations », dit le rapport, au sujet de la remontée des écrits des conseillers, civils et militaires, sur le Rwanda.

En principe, l’état-major particulier répond directement devant le président. Il n’a pas de fonction opérationnelle, en dehors de la dissuasion nucléaire. « Le dossier rwandais démontre l’inverse », note le rapport, qui insiste sur une pratique du pouvoir opaque : « L’ordre par la voix », qui ne laisse pas d’empreintes. Il « pose incontestablement problème », car il « transfère sur l’exécutant (…) la paternité de la décision ».

Les archives exhumées par la commission sur ce point sont surtout signées par le général Jean-Pierre Huchon, adjoint au chef d’état-major particulier auprès de l’amiral Jacques Lanxade puis du général Christian Quesnot. L’emprise de l’EMP s’exerce sur toutes les administrations, et même à l’Elysée, sur les conseillers de la cellule Afrique, où Bruno Delaye a remplacé Jean-Christophe Mitterrand. C’est le syndrome de la pièce close enfumée. Même ceux qui ne tirent pas sur une cigarette en véhiculent l’odeur.

« Des pratiques d’officine »

Le général Huchon envoie des courriers directement « à des agents de l’Etat aux fins de les influencer voire d’exiger d’eux un alignement sur la politique élyséenne ». Même chose sur le terrain, au Rwanda. Le rapport évoque notamment « une collection de télécopies adressées confidentiellement, et toujours hors circuit officiel, à l’attaché de défense à Kigali ». Dans certains cas, il lui est demandé instamment de les détruire sur le champ. D’où le manque d’archives complètes dans ce domaine sensible. Un grand nettoyage a été opéré.

L’état-major particulier du président de la République « exerce un pouvoir direct et permanent sur l’engagement militaire français au Rwanda, jusqu’à ses aspects matériels et opérationnels »

Objectif de ces envois : s’assurer de la conversion du colonel René Galinié, sur le terrain, à la grille de lecture idéologique promue par l’Elysée. En octobre 1990, celui-ci est conseiller militaire et politique officieux du régime rwandais. Il rencontre le président Habyarimana à quatre reprises en huit jours. Ce qu’exige le général Huchon du colonel Galinié « pourrait s’apparenter à des pratiques d’officine », explique le rapport. Il lui demande ainsi, dans un fax du 27 octobre 1990, d’organiser une « manipulation (…) que l’on peut qualifier d’“intoxication” », résument les historiens. Il s’agit d’inventer, de brandir des « preuves » (les guillemets autour du mot figurent dans le fax lui-même) de l’emprise de l’Ouganda anglophone sur l’offensive lancée par le FPR. Si l’opinion internationale était convaincue de l’existence d’une agression extérieure, alors l’intervention militaire française en serait légitimée.

Mais le rôle de l’état-major particulier dépasse largement la coordination et la partition idéologique. L’EMP « semble s’être transformé en acteur direct du dossier rwandais, au moyen de pratiques irrégulières », sous l’approbation du président, « marginalisant de fait les institutions légalement en charge du commandement opérationnel, l’état-major des armées et la mission de coopération militaire. » La situation est sans précédent. L’EMP « exerce un pouvoir direct et permanent sur l’engagement militaire français au Rwanda, jusqu[e dans] ses aspects matériels et opérationnels ».

L’Elysée en liaison téléphonique directe

L’année 1991 est celle du développement des « liaisons parallèles ». Sont alors mis en place « des dispositifs de communication entre les unités sur le terrain, c’est-à-dire le DAMI “Panda” [Détachement d’assistance militaire et d’instruction], armé par les opérateurs du 1er RPIMa, et une chaîne de commandement qui apparaît au premier regard polycéphale ». Le rapport cite notamment un fax du 26 juillet 1991, envoyé de Ruhengeri, une ville du nord du Rwanda, par le chef du DAMI « Panda ».

Il fait mention de deux types de liaisons, radioélectriques et téléphoniques, chiffrées et cryptées, qui relient le détachement à l’opération Noroît, également au Rwanda, et à une double tutelle à Paris : le ministère de la coopération et l’état-major des armées. Puis, entre juillet et octobre 1991, la liaison avec la mission militaire de coopération « disparaît au profit de l’Elysée, à savoir l’EMP ». L’Elysée se trouve donc en liaison téléphonique directe avec les soldats français déployés auprès des Forces armées rwandaises. A notre époque, la sophistication des communications permet tout, y compris un dialogue par messagerie instantanée entre chefs d’Etat. Mais, il y a vingt-sept ans, la mise en place d’un tel dispositif était chargée de sens politique et opérationnel.

« Le danger est grand, pour la France, […] de passer pour complice de l’actuel gouvernement rwandais », met en garde la DGSE dans une note du 11 mai 1994

Autonomie et surveillance, opacité. Tout cela, Pierre Joxe le met en cause. Début février 1993, le ministre de la défense – rare homme politique dont les positions de principe républicaines sont saluées dans le rapport – propose une réorganisation de la prise de décision militaire. Il s’agit de revenir à une pratique plus conventionnelle et normée. Les comités restreints de défense qu’il envisage doivent permettre, selon les historiens, « de réformer des pratiques d’opacité, de communication orale, et des phénomènes de déresponsabilisation tant politique qu’administrative, qu’il constatait particulièrement sur le dossier rwandais ». Joxe propose ainsi à Mitterrand de « préserver le pouvoir présidentiel » sur la défense, alors que la cohabitation se profile. Il réclamera un enregistrement écrit des propositions faites au président, des objectifs visés et des décisions prises. En vain.

De rares voix divergentes

Au sein de l’appareil d’Etat, la dissidence n’est pas de mise par rapport à la ligne décidée à l’Elysée. Pourtant, dès octobre 1990, sous l’autorité du ministre Jean-Pierre Chevènement, le Secrétariat général de la défense nationale (SGDN) émet une note sur les « limites de l’engagement français ». En réponse à l’offensive du FPR de Paul Kagamé, les 300 hommes de l’opération Noroît viennent d’être déployés trois semaines plus tôt. Le document souligne les intérêts « très limités » de la France sur place et suggère que Habyarimana, pour sauver son régime, risque de « relancer les vieilles rivalités en appelant à une sorte de “guerre sainte” contre les Tutsi ». L’analyse est transmise à l’Elysée. Sans effet aucun.

Le rapport Duclert relève, au cours de ces quatre années, d’autres écrits divergents. Comme l’ont déjà montré de nombreux articles et ouvrages, la DGSE se distingue par une approche nuancée. Une forte tension traverse ses notes, qui essaient de tout concilier, la doctrine et la réalité, l’obéissance et la droiture. Elle relativise fortement, pendant ces années, le soutien apporté par l’Ouganda au FPR. A plusieurs reprises, elle souligne l’absence d’éléments tangibles allant dans ce sens. En outre, le service « renvoie une image critique » de Habyarimana, doute de sa volonté de démocratisation.

Après le 6 avril 1994 et l’attentat contre l’avion du président rwandais, très vite la DGSE met en cause les responsables génocidaires : « Munies de listes préétablies, les militaires de la garde présidentielle ont entrepris de massacrer tous les Tutsi, ainsi que les Hutu originaires du sud ou soutenant les partis d’opposition. » Dès le 2 mai, elle estime que le FPR est « très certainement étranger » à l’attentat. Le 11 mai, le service affirme que le pouvoir paraît être « entièrement sous la coupe de la faction hutu la plus extrémiste ». Puis, à l’aube de l’opération Turquoise, le service dit : « Le danger est grand, pour la France, […] de passer pour complice de l’actuel gouvernement rwandais ».

« L’approche générale oscille entre la minimisation des faits ou tout simplement un silence complice », dit la commission

Mais toutes ces subtilités d’analyse, nourries par les faits relevés sur le terrain, ont été délibérément ignorées par l’Élysée. Globalement, note le rapport, « la lecture ethniciste du Rwanda domine », ainsi qu’un soutien à « un régime raciste, corrompu et violent ». Les faits clairement établis et les noms des coupables, lorsque les tueries de masse sont déclenchées, « n’apparaissent pas toujours clairement » dans les télégrammes et les rapports envoyés à Paris. Nommer la réalité sans verres idéologiques correcteurs obligerait l’Etat à remettre en cause sa stratégie, ses analyses, son engagement. « L’approche générale oscille entre la minimisation des faits ou tout simplement un silence complice », dit la commission.

Ceux qui contestent cette vision – cette « minorité d’hommes libres », auxquels les historiens rendent un hommage appuyé – sont écartés ou mal notés, comme le rédacteur du Quai d’Orsay Antoine Anfré, ou le général Jean Varret, chef de la mission militaire de coopération jusqu’en avril 1993. De la même façon, lors des retours sur expérience et autres analyses commises à partir du second semestre 1994, l’autocritique est peu en cour. La grille d’analyse de l’Elysée l’emporte, face aux révélations qui émergent.

MEMORIAL 98

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