Dans le ghetto, pendant la révolte
Le 19 avril, date du
début du soulèvement du ghetto de Varsovie en 1943, symbolise l'extermination des Juifs d'Europe par les nazis.
Elle est commémorée cette année dans les conditions particulières de la
pandémie du Covid19, comme les autres génocides, marqués chaque année en avril.
La pandémie donne d'ailleurs lieu à un déferlement de propagande antisémite et complotiste, reprenant les thèmes les plus archaïques et nauséabonds en la
matière.
La révolte d'avril 1943 se produisit dans les conditions
terribles d'un ghetto déjà en partie vidé de ses habitants.
En effet, depuis le 23 juillet 1942, jour après jour, cinq à six mille personnes sont emmenées
par les nazis, du ghetto vers la "Umschlagplatz" ou "place
du transbordement" puis déportées vers le camp
d'extermination de Treblinka.
Le début du ghetto et l'œuvre immense d'Emmanuel Ringelblum
Le ghetto de Varsovie a été instauré le 12 octobre 1940, qui
correspondait cette année-là à la grande fête juive de Yom Kippour.
Les nazis,
dans leur rage antisémite, utilisaient souvent les dates des fêtes religieuses
juives afin de procéder à des persécutions particulières ou de marquer leur
"connaissance" du judaïsme.
Les nazis annoncèrent
à la population juive qu'elle devait déménager dans ce "quartier
juif" exigu qui fut ceint de barbelés. Le 16 novembre, on y transfère de force les Juifs, soit un tiers de la population de la ville, qui doivent se concentrer sur sur 2,4 % de sa superficie : 450 000 personnes sont alors coupées du reste du monde.
L"Aktion" comme
l’appelaient les nazis, de déportation vers la mort, débuta le 22 juillet 1942. Cette date correspondait au jour de
Tish'a Beav, qui commémore par le deuil et le jeûne la destruction du Temple
juif de Jérusalem par l'armée romaine en l'an 70 de notre ère.
Chaque 22 juillet à Varsovie, une
marche démarre du monument de l'"Umschlagplatz", lieu d'où partaient
les convois de déportés puis parcourt l'ancien espace du ghetto, dont il ne
subsiste strictement rien.
Au
moment où la Pologne est envahie par les Allemands en 1939, Emmanuel Ringelblum a trente-neuf ans, c'est
un spécialiste reconnu de l’histoire du peuple juif.
Il vit alors à Varsovie avec sa famille et a
très vite compris le sort que les nazis réservent aux Juifs d’Europe.
Il aurait
pu quitter la Pologne avec sa famille mais sa femme et lui décident de rester
pour témoigner «pour les générations futures». Leçon de courage, terrible choix,
puisqu’en allant jusqu’au bout de sa mission d’historien, d’écrivain et de
témoin, il meurt assassiné par les nazis dans la prison Pawiak en 1944 avec sa
femme et son fils.
Ringelblum avait créé un groupe de
travail culturel du nom d’« Oyneg Shabbos » ( c'est à dire le
plaisir du Shabbat).
Ce nom était en fait une couverture. L’objectif était de
décrire précisément les terribles conditions de vie des Juifs dans le ghetto. Les
activistes encouragèrent tous les habitants du ghetto à écrire eux-mêmes ce
qu’ils vivaient au quotidien et à leur remettre leurs écrits. En janvier 1943,
alors que sévissait la seconde grande rafle du ghetto, sentant «l’inéluctable
fin», Emmanuel Ringelblum et les membres d’Oyneg Shabbos enfermèrent les
milliers de documents et de témoignages recueillis pendant toutes ces années
dans des bidons de lait en fer qu’ils cachèrent sous la terre, avec l’espoir
qu’ils seraient retrouvés «un jour». Après la guerre, grâce à la ténacité de
Rachel Auerbach, rescapée du ghetto, membre du groupe, une partie des archives fut
retrouvée. Elles ont été classées au Patrimoine Mondial de l’Unesco.
Un livre récemment paru du
philosophe Georges Didi-Huberman commente les images contenues dans ces
archives.
Une révolte préparée
La déportation des Juifs de Varsovie s’inscrivait dans le
cadre de la plus vaste "Aktion
Reinhardt", organisée par les nazis en Pologne occupée; celle-ci
inclut la construction des camps d'extermination de Belzec (mars
1942), Sobibor (mai 1942) et Treblinka (juillet 1942).
Ce dernier camp joue un rôle particulier dans
l'extermination des Juifs de Varsovie. 280 000 Juifs déportés de la capitale
polonaise y seront assassinés.
L'Aktion de Varsovie prit fin temporairement le 21
septembre suivant, à nouveau durant le jour de la plus importante fête juive,
Yom Kippour.
Après cette grande déportation, le ghetto de Varsovie est
réduit à un camp de travail où 36 000 Juifs survivent officiellement et
où 20 à 25 000 clandestins se cachent. Son sursis tenait d’une part à la
pénurie de main-d’œuvre gratuite dont l'administration nazie voulait disposer,
et d'autre part à la nécessité d’une pause afin de recenser et d’expédier vers
le Reich les biens volés dans le ghetto.
Quelques jours après le début de la déportation de juillet,
la résistance juive s’unifie dans un « Bloc antifasciste » et se dote d’une
branche armée, l’Organisation juive de combat (OJC), fondée le 28 juillet 1942. Cette démarche débouchera plusieurs mois plus tard sur le soulèvement du ghetto
Les premières opérations de l'OJC sont dirigées contre les
responsables de la "police juive" et autres collaborateurs.
En janvier 1943, une seconde Aktion visant à liquider le reste du ghetto est interrompue par les
nazis eux-mêmes au bout de quatre jours, face à la résistance et au fait que la
population se cache dans un réseau souterrain creusé durant des mois.
Le 19 avril 1943, correspondant cette année là au début de
la fête juive de Pessah, les unités SS chargées de liquider le ghetto
sont repoussées par les combattants. Ceux-ci ne disposent que de quelques
revolvers et grenades. Quand le millier de soldats allemands pénètrent en
force dans le ghetto, les résistants les attendent barricadés dans leurs
bunkers et leurs caves. Au nombre de 1000 environ, ils sont regroupés
principalement dans l'Organisation des Combattants Juifs, (OJC, ZOB en polonais)
commandée par le jeune Mordehaï Anilewicz, membre de l’organisation de jeunesse Hachomer Hatzaïr.
Dès l’invasion de la
Pologne par les nazis, Anilewicz avait
rejoint avec des membres de son groupe l’est de la Pologne, pour aider à
retarder l'avance allemande. Après l'invasion de ces régions orientales de la
Pologne par les armées de Staline, à la suite du pacte germano-soviétique, les
Soviétiques l'arrêtent et l'emprisonnent. Il est libéré peu de temps après, et
retourne alors à Varsovie
Face à l'insurrection, le commandant allemand est relevé de
ses fonctions, le général SS Jürgen Stroop lui succède. Il est
lui-même est pris de court par la rébellion des "sous-hommes"
ainsi que les nazis qualifiaient les Juifs. Dès lors, les troupes SS vont
incendier systématiquement les immeubles et propulser du gaz dans les
souterrains afin d'en déloger les résistants.
Ces derniers vont tenir pendant un
mois, malgré leur très faible niveau d'armement et de nourriture. Plus de
deux mille SS, soutenus par de l‘artillerie et des blindés, incendient le
ghetto, maison après maison. Les Juifs sont asphyxiés, carbonisés, enterrés
vivants dans les abris où ils sont retranchés.
Six mille Juifs présents dans le ghetto
trouvent la mort dans les combats ou se suicident. Sept mille sont fusillés sur
place. Les autres sont déportés. Une poignée de miraculés échappe à la mort en
s'enfuyant par les égouts.
Le 16 mai 1943, Stroop fait dynamiter la grande synagogue du ghetto. Il annonce à Himmler : « Il n’existe plus de
quartier juif à Varsovie. »
Cette
photo célèbre provient du rapport adressé par le général SS Stroop à
Himmler après l'écrasement de la révolte. Elle a donc été prise et diffusée dans
le cadre de la propagande nazie.
Elle porte la mention " forcés hors de leurs caves"
Le testament de Mordehaï Anilewicz
La rébellion se termine à la
mi-mai. Mordehaï Anilewicz se suicide le 8 mai avec une partie de la
direction de l'OJC ; il a 24 ans.
Le 23 avril 1943, il avait écrit
dans une dernière lettre :
«Les Allemands ont
fui par deux fois du ghetto. L'une de nos compagnies a résisté 40 minutes et
une autre s'est battue pendant plus de six heures... Nos pertes en vies
humaines sont faibles et ceci est également une réussite...
Grâce à notre radio, nous avons entendu une merveilleuse émission relatant
notre lutte. Le fait que l'on parle de nous hors du ghetto nous donne du
courage.
Soyez en paix, mes amis de l'extérieur ! Peut-être serons-nous témoins d'un
miracle et nous reverrons-nous un jour. J'en doute ! J'en doute fort !
Le rêve de ma vie
s'est réalisé. L'auto-défense du ghetto est une réalité. La résistance juive
armée et la vengeance se matérialisent. Je suis témoin du merveilleux combat
des héros juifs...»
Quelques
jours plus tard, le 12 mai, Szmuel Zygielbojm, représentant du mouvement
ouvrier juif Bund dans le
gouvernement polonais en exil à Londres, se suicide dans cette ville.
Il proteste ainsi contre l’inaction des
gouvernements alliés, dûment avertis de la situation en Europe de l'Est et
notamment en Pologne.
Lui-même avait alerté publiquement sur l'extermination en
cours.
Il laissa une lettre dont voici des
extraits :
« Derrière les murs du ghetto se
déroule à présent le dernier acte d’une tragédie sans précédent dans
l’Histoire. La responsabilité du forfait consistant à exterminer la totalité de
la population juive de Pologne retombe au premier chef sur les exécutants;
mais, indirectement, elle rejaillit également sur l’humanité tout entière. Les
nations et les gouvernements alliés n’ont entrepris jusqu’ici aucune action
concrète pour arrêter le massacre.
En acceptant d’assister passivement à
l’extermination de millions d’êtres humains sans défense - les enfants, les
femmes et les hommes martyrisés - ces pays sont devenus les complices des
criminels.[...]. Mes camarades du ghetto de Varsovie ont succombé, l’arme au
poing, dans un dernier élan héroïque. Il ne m’a pas été donné de mourir comme
eux, ni avec eux. Mais ma vie leur appartient et j’appartiens à leur tombe
commune. Par ma mort, je désire exprimer ma protestation la plus profonde
contre la passivité avec laquelle le monde observe et permet l’extermination du
peuple juif.
Je suis conscient de la valeur infime
d’une vie humaine, surtout au moment présent. Mais comme je n’ai pas réussi à
le réaliser de mon vivant, peut-être ma mort pourra-t-elle contribuer à
arracher à l’indifférence ceux qui peuvent et doivent agir pour sauver de
l’extermination — ne fût-ce qu’en ce moment ultime — cette poignée de juifs
polonais qui survivent encore. Ma vie appartient au peuple juif de Pologne et
c’est pourquoi je lui en fais don… »
(Londres, mai 1943)
Nos pensées vont vers les victimes de cette extermination et
vers ceux qui au cœur des ténèbres, entamèrent la préparation de leurs actes
héroïques qui apparurent au grand jour dans les mois qui suivirent.
L'extrême-droite parrainée et soutenue par Trump et Poutine, pèse lourdement dans de nombreux pays d’Europe.
Nous en appelons plus que jamais au combat contre les
idéologies et actes racistes et antisémites quels que soient leur prétextes, ainsi que pour la
mémoire des génocides et crimes contre l'humanité
MEMORIAL 98