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vendredi 5 avril 2019

25 ans après le génocide des Tutsi au Rwanda: l'implication française doit être reconnue et jugée.



                                          Marche à Paris le 7 avril 2019



Mise à jour du 15 mai 2019

Offensive rageuse des fidèles de François Mitterrand à propos du génocide des Tutsi: ils adressent une lettre à Olivier Faure, dirigeant du Parti socialiste,  afin de mettre en cause Raphaël Glucksmann, tête de la liste commune PS-Place Publique pour les élections européennes. A leurs yeux, il a péché en osant rappeler le rôle de l'ancien président et de son entourage dans l'aide apportée par les autorités françaises aux génocidaires .

Parmi les signataires de ce texte, Jack Lang, Michel Charasse l'auto-proclamé "flingueur" de l'ancien président, Hubert Védrine, principal suspect dans ces décisions (voir ci-dessous) mais également Roland Dumas, ancien ministre des Affaires étrangères de Mitterrand. Or Dumas est depuis fort longtemps passé du côté des dictateurs en Afrique, fait appel à des thèmes antisémites et assistait au meeting-spectacle de Dieudonné au Zénith de Paris dès 2006, en compagnie de ses amis de la famille Le Pen.

Cette lettre de menaces montre à quel point les amis de Mitterrand sont soucieux d'empêcher que la vérité se fasse jour à propos de ce génocide et des responsabilités françaises.

C'est ce que nous avions également rappelé lors d'une allocution de Memorial 98 le soir du 7 avril, dans le cadre de la veillée organisée comme chaque année par l'association Ibuka-France en mémoire des victimes du génocide. 
Nous y appelions à la vigilance face aux nombreuses tentatives pour bloquer un accès complet aux archives, voir ici la vidéo de cette intervention: https://www.youtube.com/watch?v=MaYgH39DV4Y

La lettre des Védrine, Dumas et autres Cazeneuve est une mauvaise action qui déshonore ceux qui l'ont écrite et publiée.

MEMORIAL 98

A l'occasion du 25e anniversaire du début du génocide des Tutsi au Rwanda, un ébranlement est en train de se produire en France, concernant à la fois la mémoire de cet immense crime et également la mise en lumière des responsabilités des autorités françaises avant, pendant et après le massacre. La multiplication des articles de presse en témoigne.

La chape de plomb qui entoure la mise à jour ces responsabilités est en train de craquer de toute part. Ce mouvement se produit grâce à la détermination des survivants du génocide et à des militaires français qui ont décidé de témoigner.

Le pionnier a été Guillaume Ancel, ancien officier de l’armée de terre qui a affirmé que les militaires français  ont laissé faire des massacres et ont reçu l'ordre de "livrer des armes aux génocidaires dans les camps de réfugiés."
Cet officier a pris part à l'opération dite Turquoise au Rwanda, en 1994, en tant que capitaine du 2e régiment étranger d'infanterie.
Son livre Rwanda, la fin du silence montre que les troupes envoyées par Paris lors de cette opération avaient pour mission de "stopper le FPR, donc d'empêcher la victoire de ceux qui combattaient les génocidaires"
Un général qui se trouvait au Rwanda a également témoignéAujourd'hui âgé de 84 ans, Jean Varret est nommé fin 1990 chef de la Mission militaire de Coopération (MMC). A Kigali, le colonel rwandais Pierre-Célestin Rwagafilita, chef d'état-major de la gendarmerie, vient lui demander des armes lourdes pour faire du maintien de l'ordre, en lui expliquant: «Je vous demande ces armes, car je vais participer avec l'armée à la liquidation du problème. Le problème, il est très simple : les Tutsi ne sont pas très nombreux, on va les liquider». De retour à Paris, le général Varret rend compte du risque de soutenir un pouvoir obsédé par la menace d'une «cinquième colonne» tutsi, au moment où le Front patriotique rwandais (FPR, tutsi) mené par Paul Kagame tente d'entrer au Rwanda depuis l'Ouganda. Le général est lu, mais personne ne l'écoute, affirme-t-il.

Face à ces révélations et au scandale qui menace, Emmanuel Macron louvoie. Il reçoit à l’Élysée les responsables de l’association Ibuka mais refuse de se rendre au Rwanda pour ce 25e anniversaire.
Il crée une commission d’historiens censée faire la lumière sur la période des années 1990-1994 mais en élimine l’historienne du CNRS Hélène Dumas, spécialiste du Rwanda dont elle maîtrise la langue.  
Nous soutenons la protestation contre cette exclusion qui laisse penser que la commission ne sera pas indépendante et appelons à en signer l'appel .
La composition de la commission a d'ailleurs  fait réagir la communauté historienne ces derniers jours, après l’annonce de la mise à l’écart de deux des principaux spécialistes français du sujet : Hélène Dumas seule experte à maîtriser le kinyarwanda et Stéphane Audoin-Rouzeau directeur d’études à l’EHESS. 
Ce dernier, qui dit avoir été reçu par la cellule Afrique de l’Élysée quelques jours avant l’annonce, explique qu’on lui a laissé entendre que « certains de [ses] écrits sur le rôle de l’armée française au Rwanda avaient pesé dans la balance et que [sa] présence serait une source de blocage. Et ce, après m’avoir expliqué au préalable que mes travaux avaient contribué à motiver la création de cette commission ».  
Il n’y a d’ailleurs aucun spécialiste du Rwanda dans la commission.
Le  doute subsiste également sur la capacité qu’auront les chercheurs à avoir accès aux archives de François Mitterrand. C’est Dominique Bertinotti, ancienne ministre déléguée à la famille, qui est la mandataire des archives du double septennat de l’ancien président français. Elle peut, à ce titre, s’opposer à la consultation du fonds. 
On comprend donc  la prudence de Marcel Kabanda, président d’Ibuka qui déclare: " J'ai le sentiment que la France est largement impliquée, mais jusqu'où ? Ce sont peut-être ces archives qui vont nous l'apprendre.
"Je pense aussi que tout ne se trouve pas dans ces papiers. Nous avons souvent été déçus, ou trahis. Donc j'ai des craintes »

1994, le génocide 
Le 7 avril 1994 marque le début du génocide des Tutsi du Rwanda et des "jours de sang" du mois d'avril:
C'est à ce génocide que revient  chaque année le triste privilège d'ouvrir les commémorations du mois d'avril, au cours duquel est honorée la mémoire des victimes des trois génocides majeurs du XXe siècle : celui des Tutsi du Rwanda le 7 avril, date du début des massacres en avril 1994, celui de la Shoah le 19 avril correspondant au début de la révolte du ghetto de Varsovie le 19 avril 1943, celui des Arméniens le 24 avril, correspondant aux premières arrestations des intellectuels arméniens à Constantinople/Istanbul en avril 1915.
Nous y associons le premier génocide du XXe siècle commis en 1904 par l'Allemagne impériale  contre les peuples Herero et Nama en Afrique australe, les actions génocidaires en Bosnie à Srebrenica, au Darfour, le génocide des Roms, les actions génocidaires du régime khmer rouge au Cambodge et la récente tentative d’extermination des Yézidis d’Irak par Daech, les actions génocidaires contre les Rohingya en Birmanie ...


Memorial 98 appelle à participer aux initiatives de commémoration et de solidarité organisées dans différentes villes par nos partenaires de l'association de rescapés Ibuka .


C'est en effet le 7 avril 1994 que débutèrent au Rwanda les massacres qui allaient voir la mort d'au moins un million de personnes jusqu'à juillet de la même année: des individus définis comme Tutsi, constituant la majorité des victimes, mais aussi des Hutu opposés aux partisans de l'idéologie raciste dite "Hutu Power"
D'une durée de cent jours, ce fut le génocide le plus bref et concentré de l'histoire et celui de la plus grande ampleur quant au nombre de morts par jour de tuerie.
Fruit d'une idéologie raciste mise en œuvre sur des décennies, ce génocide s'est appuyé, pour diffuser la haine, avant et pendant, sur une forme perverse d'humour, notamment à la Radio Télévision des Milles Collines, mais aussi sur les caricatures déshumanisantes de la propagande génocidaire .
Comme pour tous les projets génocidaires, celui-ci s'accompagne de campagnes négationnistes, de difficultés à faire reconnaître les responsabilités entre autres les responsabilités françaises et à faire vivre la mémoire. Il a fallu attendre 20 ans pour qu'enfin une stèle au Père Lachaise à Paris commémore ce génocide et encore 2 ans avant que soit inauguré un Jardin de la Mémoire dans un parc parisien.
Des progrès limités ont aussi été réalisés dans le domaine de la justice puisque enfin des génocidaires ont été jugés et condamnés en France. Ces procès doivent beaucoup à l’action de nos amis du Collectif des parties civiles pour le Rwanda qui poursuivent un combat incessant pour que le Parquet et les tribunaux jouent enfin leur rôle. En effet la justice demeure très partielle, lente et laborieuse. Des génocidaires présumés lui échappent.
Les habitants de nôtre pays ont un devoir particulier en ce qui concerne le Rwanda. En effet, une partie du combat est aujourd'hui celui de la pleine reconnaissance par l’État français de ses responsabilités. Cet État qui prétend parler en notre nom, persiste aujourd'hui à garder un silence complice sur l’implication de l’armée française dans le génocide des Tutsi.
Or le pouvoir Hutu extrémiste a reçu de manière continue et appuyée le soutien des autorités françaises tant au plan politique, militaire que financier, avant, pendant et après le génocide. Toute la vérité doit être faite au sujet de cette implication : tous les documents doivent être rendus publics.
Les preuves s'accumulent maintenant quant à la participation des pouvoirs publics français et d’institutions financières à l’exécution du crime.
Nos amis et partenaires des associations Ibuka, qui regroupe des rescapés tutsi et du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) qui mène un énergique combat judiciaire ainsi que l'ONG Sherpa, ont porté plainte contre la banque BNP. Ils l’accusent d’avoir favorisé le génocide en finançant la livraison d’armes, malgré l’embargo décidé par l’ONU.

En même temps les mises en cause se multiplient à propos de l’implication de dirigeants français de l’époque. L’attention se concentre sur Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères et surtout à l’époque secrétaire général de l’Élysée à l'époque du génocide, déjà plusieurs fois cité.


A ce moment (1993-1995) Mitterrand était président et Balladur chef d’un gouvernement de cohabitation, suite aux élections de 1993. Védrine jouait un rôle capital et bénéficiait de l’entière confiance du président.    

Selon le journaliste Patrick de Saint-Exupéry,  spécialiste du Rwanda, fondateur de la revue XXI et qui a dénoncé le génocide dès 1994, un haut fonctionnaire chargé d’examiner les archives de l’Elysée de 1990 à 1994 affirme que les autorités françaises ont bien donné l’ordre de réarmer les auteurs du massacre, alors que ces derniers venaient d’être mis en déroute par le Front patriotique rwandais (FPR).
Le fonctionnaire, anonyme mais manifestement très bien informé, qui a eu accès aux archives au moment de leur ouverture par François Hollande en 2015, évoque un document faisant état d’une fronde de certains militaires français contre la décision des autorités françaises de réarmer les génocidaires.
En marge de ce document et concernant le trouble de ces militaires, une note manuscrite d’Hubert Védrine insistait sur la nécessité de «s’en tenir aux directives fixées» et donc de livrer les armes.

 
Selon un autre spécialiste du Rwanda, Jacques Morel, cité par Libération, on retrouve la signature de Védrine en bas d’une note sur une dépêche officielle citée par l’agence Reuters et datée du 15 juillet 1994.
La dépêche était titrée: «Paris prêt à arrêter les membres du gouvernement intérimaire rwandais.», eux qui avaient orchestré le génocide et qui s’étaient repliés dans les zones sous contrôle français.
En marge de la dépêche, Hubert Védrine avait écrit: «Lecture du Président (Mitterrand): ce n’est pas ce qui a été dit chez le Premier ministre (Balladur).»
L’arrestation fut donc annulée.

Mitterrand et Védrine étaient particulièrement complaisants à l’égard des chefs Hutu, considérés comme favorables à la France car francophones, alors que les dirigeants Tutsi, qui avaient dû se réfugier en Ouganda étaient considérés comme favorables au monde anglophone.
De plus Mitterrand défendait la thèse négationniste du « double génocide », selon lequel les torts étaient partagés entre génocidaires et victimes. Ainsi après le sommet franco-africain de Biarritz en 1994, il lance à un journaliste qui l’interroge : “De quel génocide parlez-vous, monsieur ? De celui des Hutus contre les Tutsis ou de celui des Tutsis contre les Hutus ? ”
                                          
Védrine a de son côté défendu l’auteur négationniste Pierre Péan en 2008 lors du procès de ce dernier après la parution de son livre sur le Rwanda « Noires fureurs, blancs menteurs ». Le déroulement de ce procès démontre les ressorts et arguments des négationnistes, si proches de ceux qu’on retrouve dans des cas semblables (lire ici le compte rendu qu'en fit Memorial 98)
   
C’est dans cette sphère du déni qu’avait aussi agi le juge « anti-terroriste » Jean-Louis Bruguière chargé d’une enquête sur l’attentat qui le 6 avril 1994, toucha l’avion transportant le président du Rwanda Habyarimana,  abattu par deux missiles à son approche de l’aéroport de  la capitale Kigali.
Bruguière conclut, au terme d’une enquête partiale conduite depuis Paris, sans déplacement sur les lieux de l’attentat, à la responsabilité des rebelles tutsi (FPR) ; il lança des mandats d’arrêt internationaux contre de hauts responsables du FPR au pouvoir à Kigali.
Suite aux  conclusions du rapport Bruguière, les thèses négationnistes se renforcèrent et obtinrent une sorte de droit de cité dans le discours public, notamment français. L’attribution au FPR de la responsabilité de l’attentat du 6 avril a servi  à protéger des questions embarrassantes les dirigeants politiques de cette époque de cohabitation : Mitterrand, Balladur, Léotard, Juppé,  Roussin, Hubert Védrine, les responsables militaires et tous les officiels ayant joué un rôle dans la complicité militaire, politique, diplomatique et financière de la France dans le génocide.
Bruguière, parti à la retraite avant une carrière politique dans les rangs de l’UMP, son successeur, le magistrat anti-terroriste Marc Trévidic se rendit à Kigali en 2012, ce que n’avait jamais fait Bruguière, et aboutit à des conclusions totalement inverses sur le déroulement de qui allait constituer le prétexte de la mise en œuvre du crime.

Les habitants et les pouvoirs publics de notre pays ont un devoir particulier en ce qui concerne le Rwanda.
En effet, une partie du combat est aujourd'hui celui de la pleine reconnaissance par l’État français de ses responsabilités.
Cet État qui prétend parler en notre nom, persiste aujourd'hui à garder un silence complice sur l’implication de l’armée française dans le génocide des Tutsi.
Or le pouvoir Hutu extrémiste a reçu de manière continue et appuyée le soutien des autorités françaises tant au plan politique, militaire que financier, avant, pendant et après le génocide. Toute la vérité doit être faite au sujet de cette implication : tous les documents doivent être rendus publics. C’est pourquoi nous soutenons et partageons pleinement le combat de nos amis et partenaires de Ibuka, du CPCR et de Survie afin que la vérité se fasse jour et que les coupables éventuels soient jugés. On notera que Védrine est toujours présent sur la scène politique et médiatique. Il semble qu’il soit écouté par le nouveau président français. Il serait même  à l’origine du tournant consistant à s'allier avec Bachar El Assad sous prétexte de « lutter contre le terrorisme » alors que Assad en est le principal responsable et parrain. Védrine a aussi beaucoup de sympathie « réaliste » envers Poutine. 
Dans ce domaine de la responsabilité des États la justice des Pays-Bas a émis un verdict historique, bien qu'incomplet et frustrant. Elle juge que les autorités de son pays ont laissé se dérouler le génocide de Srebrenica (un an à peine après celui des Tutsi), sans permettre le sauvetage des personnes qui tentaient de se réfugier dans l'enclave des Casques Bleus néerlandais présents sur place. C'est le résultat d'une longue bataille des victimes et de leurs avocats avec le soutien d'ONG néerlandaises et internationales, mobilisées pour la justice et contre l'impunité.
Cette reconnaissance est importante car elle trace la responsabilité des gouvernements qui laissent se dérouler des génocides et crimes contre l'humanité et n'interviennent pas pour sauver des vies humaines. C’est dans le même sens que nous devons agir afin que soit levée la chape de plomb de la dissimulation au nom de la raison d’État.

En effet, à l’inverse, l'impunité des auteurs des génocides et massacres représente un facteur évident de récidive et de perpétuation des actes génocidaires.  On se souvient notamment du propos de Hitler trouvant un encouragement dans la manière dont le génocide arménien de 1915 était nié :
« Mais qui se souvient encore du massacre des Arméniens ? » déclarait-il dans une allocution aux commandants en chef de l'armée allemande le 22 août 1939, quelques jours avant l'invasion de la Pologne.
 
C'est pourquoi, plus que jamais et en permanence,  la mémoire des génocides nourrit nos combats. 

Le génocide des Tutsi est également le récit d'une horreur absolue, dans laquelle des voisins massacrent ceux qu'ils connaissent et fréquentent. Des victimes supplient qu'on les tue avec une arme à feu  afin d'échapper à la machette et au gourdin mais pour cela les massacreurs exigent qu'ils payent le le prix de la balle. De manière croissante des livres et témoignages rendent compte de ces atrocités. Les femmes subirent un sort particulier avec les très nombreux viols et tortures particulières. Les survivantes luttent pour leur dignité et se regroupent comme celles de la maison de Kigali qui ont écrit le récit de leurs souffrances et de leurs combats.

A l'orée du 25e anniversaire, c'est un immense champ de mémoire et de solidarité qui est en train de s'ouvrir et auquel nous appelons à participer, pour que justice soit faite. 



MEMORIAL 98


Mise à jour du 21 avril 2019:
"Retour à Kigali ": un documentaire programmé le 25 avril sur France, à voir dès maintenant en suivant le lien ci-dessous, avec les témoignages de Guillaume Ancel et d'autres lanceurs d'alerte et des entretiens avec les chefs militaires Lanxade et Quesnot. On comprend clairement l'importance de l'engagement de l'armée française dans la formation militaire de l'armée génocidaire https://www.telerama.fr/television/a-voir-sur-telerama.fr-retour-a-kigali,-un-documentaire-implacable-sur-le-genocide-au-rwanda,n6221374.php?fbclid=IwAR1CRqUqvpTsiUvHlSfsLAFIo9lOQGgA5sGVibK8ZSNfTu0a1iQtph0JfLU





mercredi 28 septembre 2016

Au début de la Shoah: Babi Yar septembre 1941




                                      Le ravin de Babi Yar

Le 29 et 30 septembre 1941, trente-trois mille sept cents Juifs ukrainiens de tous âges et des deux sexes ont été tués par les nazis au lieu-dit Babi Yar (le «ravin de la vieille femme» en russe) à proximité de Kiev. 

Ce massacre est le plus important de cette première phase de la Shoah; il dépasse même les chiffres des tueries quotidiennes dans les camps de la mort.

Ce crime de masse survient dix jours après l'entrée des troupes nazies dans ce qui était alors la capitale de l'Ukraine soviétique. La ville de Kiev comptait 900.000 habitants, dont environ 120.000 Juifs .

Ces derniers ont été convoqués par les autorités allemandes à Babi Yar le 28 septembre, veille cette année là de la grande fête juive de "Yom Kippour"  et menacés d'exécution sur place en cas de désobéissance. 

Croyant d'abord à un départ vers un camp quelconque, les Juifs sont immédiatement conduits par groupes de dix vers le bord du ravin, obligés de se dévêtir et massacrés à la mitrailleuse. Les rescapés de ce premier massacre vont être tués à leur tour et jetés dans le ravin au cours des mois suivants, au rythme de deux jours de tuerie par semaine.


Le site de Babi Yar a été jusqu'en 1943 le théâtre d'exécutions massives: jusqu'à 100.000 personnes y ont été tuées, parmi lesquelles des Juifs, des Tziganes, des combattants de la résistance et des prisonniers de guerre soviétiques.

Après la guerre, la mémoire de ce début de la Shoah fut longtemps masquée.

Le carnage des 29 et 30 septembre 1941 a certes été révélé lors des grands procès de Nuremberg en 1946, mais les dirigeants de l'URSS, dont l'Ukraine faisait  alors partie, ont toujours cherché à minimiser ce drame, pour ne pas avoir à admettre que les victimes étaient juives. 

En effet, les autorités soviétiques staliniennes niaient et dissimulaient le caractère antisémite des exactions nazies, ajoutant ainsi  une occultation au génocide lui-même. 
Dans le cas de Babi Yar , les victimes juives étaient ainsi présentées comme des « citoyens soviétiques pacifiques » sans mention de leur judéité et de l'acharnement des nazis contre elles.  
Pendant des décennies, les rassemblements de commémoration furent interdits dans le ravin.
La publication en 1961 du poème  "Babi Yar" , du poète  russe contestataire Evgueni Evtouchenko, fit l'effet d’un choc salutaire, car il proclamait que les victimes étaient  exterminées parce que juives et il évoquait les pogroms en Russie. 

Le poème débute ainsi : 

" Non, Babi Yar n'a pas de monument.
Le bord du ravin, en dalle grossière.
L'effroi me prend.
J'ai l'âge en ce moment
Du peuple juif. Oui, je suis millénaire.
Il me semble soudain-
l'Hébreu, c'est moi, ..."

En 1966, les autorités soviétiques érigèrent sur place un monument qui ne mentionnait toujours pas les victimes juives. 
Ce n’est qu’en 1991, après la chute de l'URSS, que le gouvernement ukrainien autorisa la création d'un monument spécifique à ces victimes. Ce monument fut inauguré 10 ans plus tard, en septembre 2001, soit soixante ans après les faits.

L'exécution de Babi Yar s'est déroulée le jour de la fête la plus importante du calendrier juif, Yom Kippour. 
Les nazis, dans leur rage antisémite, utilisaient souvent les dates des fêtes religieuses juives afin de procéder à des persécutions particulières.

Ni oubli, ni pardon: la mémoire des crimes du nazisme inspire nos combats


         






jeudi 18 février 2016

Simone Lagrange: victime de Klaus Barbie et combattante de la mémoire


    









Hommage à Simone Lagrange,  décédée le 17 février 2016





Le 19 juillet 1998, lors d'une cérémonie du souvenir  à Izieu (Ain), Simone Lagrange apostropha publiquement le président du conseil régional Rhône-Alpes de l'époque,  Charles Millon (maintenant soutien de François Fillon) et lui ordonna de quitter la commémoration, en raison de son alliance avec un parti raciste et négationniste, le Front National. 
Simone Lagrange agissait en tant que présidente régionale de l'Amicale des déportés d'Auschwitz, mais aussi en tant que victime de Klaus Barbie, initiateur de la déportation des enfants réfugiés à Izieu  .

Ainsi devant la stèle qui commémore le sort  de 44 enfants et 7 adultes juifs raflés dans ce village et morts pour la plupart en 1944 à Auschwitz, Charles Millon fut mis en cause et  conspué.
 

Quelques mois plus tard  en novembre 1998, il fut  exclu de l'association du Mémorial des enfants d'Izieu alors qu'il était membre de droit de sa direction, en raison de ses fonctions électives.
Son allié et compère frontiste était le dirigeant du FN Bruno Gollnisch, déjà négationniste  et condamné plus tard à une peine de prison pour ses déclarations sur les chambres à gaz. Aujourd'hui Golnisch fait des conférences pour le compte du néo-nazi Soral. Un autre pilier de l'alliance était Pierre Vial, fasciste et antisémite avéré, animateur du courant dit « païen » du FN, qui fut nommé vice-président de la commission culture du conseil régional. On notera que Gilbert Collard, chantre du FN "dédiabolisé" continue à profaner la mémoire des enfants d'Izieu en prétendant être leur représentant. 

L'interpellation de Simone Lagrange s'inscrit dans le long combat de celle qui fut déportée à Auschwitz à l'âge de 13 ans. Cela inclut son témoignage lors du procès Barbie en 1987 et ses très nombreuses interventions auprès de jeunes:  elle ne cessa jamais de lutter pour la mémoire du génocide et contre ses négateurs. 
 
Née au sein d'une famille juive originaire du Maroc, Simone et sa famille s'étaient installées dans les années trente à Saint-Fons (métropole de Lyon). À l'âge de 13 ans, Simone a été arrêtée avec ses parents au domicile familial, sur dénonciation, le 6 juin 1944 jour du débarquement allié en Normandie.
Conduits dans les locaux de la Gestapo à Lyon, fille et parents furent  interrogés et torturés par son chef local Klaus Barbie, qui voulait la contraindre à révéler le lieu où étaient cachés les plus jeunes des enfants de la famille. Incarcérées  à la prison de  Montluc, Simone et sa mère seront transférées à Drancy le 23 juin, puis déportées sept jours plus tard vers Auschwitz-Birkenau par le convoi n° 76. Mère et fille avaient été sélectionnées à leur arrivée pour le travail dans le camp des femmes de Birkenau, mais la mère de Simone avait été gazée dès le 23 août. Son père avait été déporté par le convoi parti de Lyon le 11 août 1944, avec deux des enfants de sa fille aînée âgés de 5 et 7 ans.
Seule Simone avait survécu au travail forcé et aux "marches de la mort", au cours desquelles son père fut tué sous ses yeux le 19 janvier 1945. De retour en France fin mai 1945, elle retrouva ses jeunes frère et soeur qui avaient été cachés dans une institution religieuse. Simone Kadoshe, devenue ensuite Simone Lagrange, sera un des témoins-clés du procès de Klaus Barbie, tenu à Lyon en 1987. Tout au long de sa vie, elle fut aussi  une infatigable témoin de la Shoah auprès des jeunes, dans les classes. Elle avait relaté son parcours dans un livre, Coupable d'être née: honneur à sa mémoire






Nous associons à cet hommage la mémoire de deux autres rescapés de la Shoah qui n'ont cessé de lutter pour le châtiment des criminels.

Il s'agit d'une part de Mme Rosa-Ida Halaunbrenner (décédée en 1988) qui manifesta à la Paz avec Beate Klarsfeld en mars 1972 (ci-dessous), en pleine dictature militaire, pour exiger  que Klaus Barbie soit jugé. Il était directement responsable de la mort de son mari et de 3 de ses enfants. Ses deux filles Claudine, cinq ans, et Mina, neuf ans, faisaient partie des quarante-quatre enfants juifs raflés à Izieu le 6 avril 1944 par la Gestapo.

Elle témoigna également lors du procès Barbie, jugé  en 1987 après avoir été extradé en 1983, 11 ans après la manifestation de La Paz. Il faut rappeler que
Klaus Barbie fut récupéré et protégé par l’armée américaine dès 1947 dans le cadre de la lutte contre le "communisme". 
Quand, à  partir de 1948, la France réclama l'extradition de Barbie, le Counter Intelligence Corps qui l’employait refusa, puis l’exfiltra vers l’Argentine avec le concours des réseaux d’évasion de l’Église catholique qui servirent à de très nombreux nazis.



                 La Paz 1972: BK et Rosa-Ida Halaunbrenner s’enchainent sur un banc



Et  d'autre part Michel Slitinsky décédé en 2012, symbole de l'affaire Papon dont il fut à l'origine. C’était aussi un ami de Memorial 98 dont il lisait les articles.

Le 19 octobre 1942  son père, Abraham Slitinsky, est raflé par les services de police de la préfecture de Gironde, puis déporté et gazé à Auschwitz. Sa mère restera cachée pendant trois ans dans une cave. Michel Slitinsky, âgé de 17 ans, aura juste le temps de s'enfuir par les toits lors de l'arrestation nocturne de sa famille.
                                          Michel Slitinsky durant le procès Papon

Il entre en clandestinité et intègre un réseau de résistance qui le mène dans les maquis d'Auvergne. Dès son retour à Bordeaux, à la Libération, il  porte plainte contre les policiers qui étaient venus l'arrêter. L'affaire est classée sous des prétextes fallacieux. Slitinsky poursuit ses recherches. Il reconstitue l'histoire de la Résistance en Gironde, collectant témoignages et documents consignés dans des livres parus en 1969 et 1972. 
Il fouille les archives, reconstitue les carrières et les organigrammes. Il réunit suffisamment de preuves pour démasquer des hauts fonctionnaires de Vichy responsables des déportations et des spoliations. En 1981 l’universitaire  Michel Bergès, qui effectue des recherches dans les archives de la préfecture de Gironde, retrouve le procès-verbal de police qui relate l'arrestation la famille Slitinsky.
D'autres documents portent le nom de Maurice Papon alors ministre du Budget et qui était, entre 1942 et 1944, secrétaire général de la préfecture de Gironde. La communication par Slitinsky de certaines de ces documents au Canard enchaîné, qui les publie, est à l'origine de l'« affaire Papon ». Celui-ci protégé par ses amis haut-placés ne sera jugé qu'en 1997. Condamné à 10 ans de réclusion, il fut  libéré de prison dès septembre 2002 sur la base d'une "expertise " de médecins complaisants. 
Ces experts l'avaient déclaré "grabataire". Cette expertise permit à Papon-le-grabataire de sortir seul et à pied de la prison, de rentrer sans encombre chez lui en septembre 2002, puis et d’y vivre tranquillement jusqu’en Février 2007. 

Le combat de Michel Slitinsky, se sera heurté à la solidarité des hautes sphères de l’État.

Leur combat  demeure d'une actualité brûlante 

Mise à jour du 14 mai 2017:

A l'occasion du 30e anniversaire du procès Barbie, qui débuta  le 11 mai 1987 à Lyon, une importante exposition s'ouvre au Memorial de la Shoah à Paris .

Au mémorial d'Izieu, une commémoration s'est déroulée le 14 mai .

Rappelons que Laurent Wauquiez, le très droitier président LR de la région ARA, avait entrepris de baisser la subvention du Mémorial d'Izieu. Il a soulevé un immense tollé qui l'a fait reculer.  

MEMORIAL 98


Actualisation 5 mai 2016: le témoignage particulièrement fort de Simone Lagrange, notamment lors du procès Barbie, à voir ici jusqu'au 10 mai : http://pluzz.francetv.fr/videos/infrarouge.html




MEMORIAL 98 

mardi 1 décembre 2015

Shoah: quand les nazis déportaient en Norvège et en Lettonie.






Imaginez la scène: dans le froid intense de cette fin de novembre, un groupe de personnes se retrouve sur un quai du port d'Oslo. Ils semblent abattus et en même temps déterminés. L'un d'entre eux lit une liste de noms puis ils se recueillent et repartent dans la nuit qui est tombée si rapidemment.

Ce groupe commémore ainsi chaque année, le 26 novembre à 16 h, la déportation de 768 Juifs de Norvège, raflés puis expédiés vers l'extermination. Parmi ces personnes, se tient Leif Knutsen. C'est lui qui a initié cette commémoration. Il l'a débutée tout seul en 2009, puis peu à peu d'autres personnes l'ont rejoint.
Depuis, il est présent sur le port d'Oslo chaque 26 novembre dans la nuit et le froid. Il lit avec les autres, à voix haute, le nom des 768 personnes déportées  par les nazis. Peu ou pas de discours dans cette cérémonie sobre.

Dans la nuit du 25 au 26 novembre 1942, la police norvégienne qui s'est mise au service des nazis    procède à une rafle dans les domiciles, les hôpitaux, les camps et emmène vers Oslo 768 Juifs, y compris des  enfants et des malades hospitalisés.
Le nombre total des Juifs de Norvège est  alors de 1800. 
Le lendemain matin, le 26 novembre, un bateau nommé le Donau, chargé de 532 Juifs prisonniers, quitte le port d'Oslo pour Auschwitz, en passant par le port de Stettin en Pologne. Les autres prisonniers seront déportés sur différents bateaux, durant les jours suivants. Parmi les 768 raflés du 26 novembre, seuls 34 survivront.

La police et la milice ont agi sur ordre du gouvernement pro-nazi qui a été mis en place sous la direction du fasciste norvégien Vidkun Quisling (sur la photo ci-dessus avec Hitler). Le nom "Quisling"  est d’ailleurs devenu le symbole de la collaboration avec un occupant. 
Pour les nazis, la Norvège revêtait une importance particulière, car les Norvégiens étaient censés faire partie, comme les Allemands,  d'une "race aryenne". 

70 ans après les faits, la police norvégienne a, en 2012,  présenté des excuses officielles et demandé pardon pour sa participation à cette déportation.
De son côté la résistance norvégienne était venue en aide aux Juifs qui cherchaient à s'enfuir vers la Suède neutre. Neuf cents d'entre eux  parviennent à franchir la frontière. 42 Norvégiens ayant participé aux sauvetages seront plus tard reconnus comme Justes parmi les Nations

Le passé du régime nazi en Norvège devait ressurgir le 22 juillet 2011, quand le terroriste d’extrême-droite Breivik massacra 77 personnes à Oslo et dans l’ile d'Utoya. 
Actualisation du 31 décembre  2016:

Profanation de la Shoah par  la télévision publique de Norvège.

La télévision publique norvégienne NRK a été contrainte de présenter ses excuses pour avoir fait référence aux camps d'extermination nazis et au génocide des Juifs dans un dessin animé "satirique" sur la situation financière des étudiants. 
Il présentait des jeunes personnages pris en charge par une personne plus âgée dans ce qui apparaissait être un camp nazi similaire à Auschwitz-Birkenau. Le groupe arrivant devant un four rempli de cendres avec des restes d'ossements humains, l’un des étudiants demande avec enthousiasme si le four sert à préparer des pizzas.
La vidéo, qui a ouvert le best-of de la plate-forme en ligne Satirik de NRK pour l’année 2016, s’achève avec les mêmes jeunes gens brandissant un contrat de location. La justification de la chaîne de télévision est pire encore : "Cette vidéo animée évoque la situation économique des étudiants, qui est souvent désespérée”, a écrit NRK. « Pour expliquer cela, nous avons utilisé des références visuelles évoquant un camp de concentration. » 

 Perversité, négationnisme, je m'en-foutisme ? Sans doute un mélange de tout cela



Lettonie 
Ce jour là
 Le 30 Novembre 1941, 2 mois avant la conférence de Wansee à Berlin qui marqua une nouvelle impulsion à l'exécution de la Shoah dans toute l'Europe, 10 600 Juifs du ghetto de Riga ( capitale de la Lettonie) furent chassés vers la  forêt voisine de Rumbula, où ils seront fusillés par l'"Einsatzgruppe A" (commando spécial d'exécution) des SS.
Dans l'hôpital du ghetto, situé dans la rue Ludzac, les SS tuèrent une trentaine d'enfants en les précipitant par les fenêtres du deuxième étage.

Actualisation du  30 novembre 2016
Une grande et émouvante cérémonie a eu lieu à l'occasion du  75e anniversaire du massacre de la Forêt de Rumbula, près de Riga.
Le président letton Raimonds Vejonis a évoqué la mémoire des vingt-cinq mille juifs assassinés dans ce bois à partir du 30 novembre 1941. Il a souligné que si cet assassinat de masse avait été organisé par les nazis, des citoyens lettons avaient collaboré à cette horreur. Il a relevé l’ampleur du massacre qui s’est déroulé en à peine deux jours.

Mais surtout, il a avoué que durant des années, ces événements tragiques de l’histoire de la Lettonie ont été laissés sous silence. Durant l’époque soviétique, les communautés juives de Lettonie avaient à peine obtenu de Moscou que soit placée une plaque à la mémoire des « victimes du fascisme ». La même censure s'est exercée en Ukraine sur le lieu du massacre de Babi Yar (voir ici)
Il ne reste aujourd’hui plus que quelques milliers de Juifs en Lettonie.

Ni oubli, ni pardon; la mémoire des crimes du fascisme et  nazisme inspire notre combat, avec le souvenir de toutes les victimes de génocides.

C'est pourquoi Memorial 98 organise à Paris chaque année le 9 novembre la commémoration du pogrom nazi de la Nuit de Cristal qui constitua en 1938 une étape importante vers le génocide des Juifs.

MEMORIAL 98 

Mise à jour 30 novembre 2019
Dossier sur le massacre des Juifs de Liepaja (Lettonie) par le site PHDN

https://phdn.org/histgen/einsatzgruppen-shoah-par-balles/liepaja-skede.html