lundi 11 mai 2015

Abolition de l'esclavage: il faut réparer vraiment les crimes commis.




                                        

L'héritage de l'esclavage poursuit son œuvre destructrice dans les DOM et aussi en métropole.
On trouve aux Antilles, à la Réunion, en Guyane, les taux de pauvreté parmi les plus hauts de France et  d’"Europe". Ainsi à la Guadeloupe, c'est 60 % des jeunes de moins de 25 ans qui sont au chômage, c'est pratiquement 30 à 33 % de la population active qui est au chômage, c'est un taux d'illettrisme qui dépasse 25 % de la population.

Une des racines de ces inégalités provient de la manière dont s'est déroulée l'abolition.
Des indemnisations ont  accordées en 1848  non pas aux esclaves mais à leurs propriétaires.
 En Haïti, le pays dut s'endetter de 1825 à 1946 afin de payer à la France l'équivalent de 21 milliards de Dollars en échange de l'indépendance et de la libération des esclaves.
Cette indemnisation des colons dans les DOM leur a permis d'asseoir leur domination économique et sociale, de créer des banques et de faire en sorte que l'économie coloniale soit préservée. C'est pourquoi Elie Domota, porte-parole du collectif LKP (contre l'exploitation outrancière), demande avec d'autres l'abrogation de ces textes de 1848 et 1849 qui ont indemnisé les colons, car ils ne sont pas conformes à la Constitution française.

Les enjeux de la mémoire et de la réparation sont cruciaux. Ainsi l’esclavage est reconnu comme un « crime contre l’humanité » depuis la loi Taubira de 2001  alors que la loi UMP du 23 février 2005 voulait valoriser notamment dans l'enseignement les "aspects positifs" de la colonisation. Elle fut finalement amendée sur ce point.

Les propos de François Hollande en Guadeloupe sont à ce titre doublement critiquables. D'une part il a tenté de clore le débat sur les réparations, en manipulant une phrase d'Aimé Césaire qui avait fort justement stigmatisé "  la nature irréparable du crime" de l’esclavage, comme si il s'agissait ainsi de la part de Césaire de rejeter la réparation. 
Au contraire, comme dans toute indemnisation d'un crime de masse, cette mesure de justice élémentaire ne clôt pas pas la réflexion sur les conséquences humaines et historiques de cet événement violent et  traumatique . D’autre par Hollande a cru bon établir un parallèle entre la traite négrière et les "passeurs " en Méditerranée aujourd'hui. C'est à la limite de l'abjection de comparer ainsi l'immense industrie meurtrière de l'esclavage réalisée au profit du travail forcé des colonies et les tentatives des migrants de fuir les situations de guerre (Syrie), de dictature (Érythrée, Soudan...) ou de pauvreté structurelle.

Ces débats vont rebondir avec la mise en cause directe de fortunes construites sur l'exploitation des esclaves.   
L'ancien président du MEDEF et patron  du groupe Wendel, Ernest-Antoine Seillière,  a été assigné en justice par le Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) pour ses liens avec la traite négrière à la veille du 10 mai.
Le président du CRAN, Louis-Georges Tin, a annoncé le dépôt, jeudi 7 mai lors d’une conférence de presse à Bordeaux, auprès du tribunal de grande instance de Paris, d’une « assignation pour crime contre l’humanité et recel de crime contre l’humanité » contre Antoine-Ernest Seillière de Laborde, dont « la fortune est en bonne partie issue de la traite négrière », mais aussi « solidairement contre le fonds Wendel », pour « demander réparation » au nom des victimes de l’esclavage et de la traite négrière.
Le CRAN ayant « tenté en vain d’établir un dialogue avec le baron Seillière qui n’a pas abouti, a donc choisi la voie judiciaire », a expliqué son président. « Les descendants des esclavagistes ne sont pas coupables mais ils sont bénéficiaires et leur fortune est faite de biens mal acquis, a-t-il souligné. Et en refusant toute réparation, ils deviennent solidaires de fait du crime dont ils essaient de se démarquer en vain. »

L’an dernier, lors des commémorations du 10 mai 2014, le CRAN avait décidé d’interpeller de grandes institutions financières à propos de leurs liens historiques avec la traite négrière. Il avait cité comme exemple Demachy-Seillière, un fonds d’investissement fondé par la famille Seillière de Laborde, propriétaire au XVIIIsiècle « de trois plantations dans l’ancienne colonie française Saint Domingue, [devenue Haïti] et de vaisseaux négriers ayant déporté des esclaves, hommes, femmes et enfants, d’Afrique vers les Antilles », selon le CRAN. On suivra avec attention le sort de cette procédure.

La lutte contre l’esclavage a vu se dresser, contre les colons et leurs soutiens, contre les propagandistes de "l'infériorité des Noirs"  des personnalités remarquables.
 Au premier  plan figurent les esclaves révoltés dont le soulèvement fut réprimé dans le sang et la grande figure de Toussaint Louverture. Ce dernier, né en Haïti, mort en captivité en France en 1803, lui-même descendant d'esclaves noirs, eut un rôle de premier plan en tant que chef de la Révolution haïtienne (1791-1802). Il devint une des grandes figures des mouvements anticolonialiste, abolitionniste et d'émancipation des Noirs.
 Ce fut aussi le cas de Victor Schoelcher et Victor Hugo en France, de  Lincoln aux États-Unis dont nous avons cité l'échange de correspondance avec Karl Marx.

Ainsi, en 1860, Victor Hugo défend la cause abolitionniste et prend la défense de John Brown, un Blanc qui fut pendu dans le Sud des États-Unis le 2 décembre  1859 pour avoir encouragé la révolte des Noirs.
Trois mois plus tard Hugo écrit au président noir de la République d'Haïti, dans l'esprit religieux qui lui est propre, la lettre ci-dessous:

"Le 1 mars 1860
Vous êtes, monsieur, un noble échantillon de cette humanité noire si longtemps opprimée et méconnue.
D’un bout à l’autre de la terre, la même flamme est dans l’homme; et les noirs comme vous le prouvent. 
Y a-t-il eu plusieurs Adam ? Les naturalistes peuvent discuter la question ; mais ce qui est certain, c’est qu’il n’y a qu’un Dieu. Puisqu’il n’y a qu’un père, nous sommes frères. C’est pour cette vérité que John Brown est mort; c’est pour cette vérité que je lutte. 
Vous m’en remerciez, et je ne saurais vous dire combien vos belles paroles me touchent. Il n’y a sur la terre ni blancs ni noirs, il y a des esprits ; vous en êtes un. Devant Dieu, toutes les âmes sont blanches. J’aime votre pays, votre race, votre liberté, votre révolution, votre république. Votre île magnifique et douce plaît à cette heure aux âmes libres ; elle vient de donner un grand exemple ; elle a brisé le despotisme. Elle nous aidera à briser l’esclavage.
Car la servitude, sous toutes ses formes, disparaîtra.
 Ce que les États du Sud (des États-Unis Ndlr) viennent de tuer, ce n’est pas John Brown, c’est l’esclavage. Dès aujourd’hui, l’Union américaine peut, quoi qu’en dise le honteux message du président Buchanan, être considérée comme rompue. Je le regrette profondément, mais cela est désormais fatal ; entre le Sud et le Nord, il y a le gibet de Brown. La solidarité n’est pas possible. Un tel crime ne se porte pas à deux. Ce crime, continuez de le flétrir, et continuez de consolider votre généreuse révolution. Poursuivez votre œuvre, vous et vos dignes concitoyens. Haïti est maintenant une lumière. Il est beau que parmi les flambeaux du progrès, éclairant la route des hommes, on en voie un tenu par la main d’un nègre.
Votre frère, VICTOR HUGO."
                                              Dessin de Victor Hugo en hommage à John Brown

Memorial 98




Mises à jour
1er septembre 2016:

Bonne nouvelle aux États-Unis dans la réparation des crimes de l'esclavage, après une longue mobilisation. C'est l'occasion de rappeler  la situation dans les DOM et les revendications concernant l'indemnisation. 
C'est aussi l'occasion de lire le cri de Victor Hugo contre le crime de l’esclavage.

La fameuse Université de Georgetown, au cœur de la capitale Washington, présente le 1er septembre des excuses officielles pour la vente de près de 300 esclaves noirs dont elle a tiré profit au 19ee siècle, ainsi que des mesures concrètes consistant notamment à faciliter l'admission de leurs descendants.
L’université,  fondée en 1789 par des prêtres jésuites, est l'une des plus anciennes aux États-Unis et son président avait mobilisé il y a un an un groupe de travail pour se pencher sur son passé esclavagiste.
Ces étudiants, personnels et anciens de l'université ont publié en ligne des archives documentant la vente en 1838 de 272 esclaves, dont une partie des recettes - qui équivaudraient à quelque 3,3 millions de dollars aujourd'hui - avait été utilisée pour régler des dettes de l'établissement. 
La réflexion engagée sur le passé de l'université avait donné lieu à des manifestations d'étudiants en novembre dernier. Ils avaient popularisé le hastag #GU272, en référence à la vente de 272 esclaves.
En compensation, le président de l'université  prononcera un discours d'excuses et deux bâtiments, qui portaient auparavant les noms de présidents d'université impliqués dans la vente de ces esclaves, seront rebaptisés en l'honneur d'un ancien esclave et d'une enseignante noire qui œuvrait à l'éducation des jeunes filles au début du XIXe siècle.
Un nouvel institut de recherche sur l'esclavage va également ouvrir ses portes et un Mémorial sera érigé en l'honneur des anciens esclaves, a annoncé l'université en se basant sur un rapport d'une centaine de pages présenté par le groupe de travail.
« La façon la plus appropriée pour nous de compenser la participation de nos ancêtres à l'esclavage est de réparer (ses) conséquences de nos jours », a fait valoirle président de l'université.
D'autres universités américaines comme Brown, Columbia ou Harvard ont déjà reconnu publiquement avoir participé au commerce d'esclaves. Georgetown s'est elle spécifiquement engagée à faciliter l'admission des descendants d'esclaves. 
Mais il faut noter les limites de la réparation: à ce stade l'université ne propose pas d' aide financière aux potentiels candidats.
« Justice et vérité »
Cette forme de "discrimination positive" signifie que les descendants seront « pris en considération de la même manière » que les candidats dont les parents sont d'anciens élèves de Georgetown, a précisé l'université dans un communiqué.
La plupart des universités privées américaines favorisent en effet l'admission des candidats dont les parents sont diplômés du même établissement.
« Parce que nous avons des noms, des familles, des histoires et que nous pouvons cibler directement des personnes et leurs descendants aujourd'hui (...) nous nous sommes trouvés dans une position très particulière pour répondre » au passé esclavagiste de l'université, a commenté un membre du groupe de travail.
Le travail sur les archives a permis de découvrir que l'université avait tiré un large profit de l'esclavage. Le travail dans des plantations jésuites et la vente d'esclaves généraient des revenus, et des esclaves ont aussi probablement construit les premiers bâtiments du campus.
« Nous devons comprendre que notre histoire est en partie celle de la possession et du commerce d'esclaves (...) Et cela nous ouvre les yeux sur les problématiques sociales plus larges qui ne sont pas encore résolues dans notre pays », a commenté David Collins, président du groupe de travail.
« Nous nous trouvons dans une période critique de notre histoire en ce qui concerne les relations raciales et la manière de faire face sur le long terme aux conséquences des inégalités », a souligné une autre membre du groupe, l'historienne Marcia Chatelain. Elle fait ainsi référence  aux protestations contre les bavures policières à l'encontre de jeunes Noirs.


11 mai 2015
La journée nationale 2015 de la mémoire de l'abolition de l'esclavage en 1848 a vu se dérouler plusieurs événements importants. 
Il s'agit notamment de l'inauguration du musée ACTe en Guadeloupe et de la plainte déposée contre le baron Seillière et le groupe financier Wendel.


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